À seulement 32 ans, Valentin Cavalade, directeur de salle du Jules Verne, perché à 125 mètres de hauteur au deuxième étage de la Tour Eiffel, a reçu en 2025 le Grand Prix du Service du Guide Michelin. Une distinction rare, inattendue mais méritée, qu’il dédie aussitôt aux 140 collaborateurs qui font battre le cœur du restaurant, doublement étoilé Michelin en 2024, dirigé par le chef Frédéric Anton, son mentor depuis plus de dix ans.
Le Jules Verne n’est pas un restaurant comme les autres. Plus sécurisé qu’un aéroport, avec portique à l’entrée, ascenseur privatif et logistique déployée jusque sous le Champ-de-Mars, où se trouvent la cave et le laboratoire de pâtisserie, il propose une expérience hors norme : dîner suspendu au-dessus de Paris, face à ses monuments, avec la sensation intime que la ville entière vous appartient. Rencontre au sommet dans ce lieu d’exception, assis au Comptoir, pièce intimiste et feutrée face à l’horlogerie mécanique de la tour Eiffel, avec Valentin Cavalade, pour dresser son portrait, recueillir sa vision du métier, de cette organisation millimétrée, d’un service façonné par l’exigence et l’humanité, rigoureux et bienveillant, précis et chaleureux, héritier des codes du service français avec élégance et fluidité.
Entretien avec Valentin Cavalade
Un pur produit Frédéric Anton
Originaire de Guadeloupe, arrivé à Paris adolescent, il s’oriente très tôt vers les métiers de l’accueil. À 17 ans, en 2010, il intègre le CFA Médéric pour un bac professionnel puis un BTS MHR, et fait son apprentissage au Tokyo Eat, restaurant du Palais de Tokyo qui servait alors près de 500 couverts par jour. Une expérience intense, avant de rejoindre le Pré Catelan, où il découvre la haute gastronomie auprès de Frédéric Anton, triplement étoilé, et de Jean-Jacques Chauveau, directeur de salle emblématique.
« Ce sont eux qui m’ont appris l’exigence, le service à la française, la haute gastronomie et la passion du monde de l’étoilé », confie Valentin. L’expérience le marque profondément : il y reste quatre ans, deux en apprentissage puis deux comme chef de rang. Un socle fondateur, où il apprend à conjuguer raffinement et chaleur humaine, rigueur et générosité.

En 2016, il choisit de s’expatrier à San Francisco pour perfectionner son anglais. Il rejoint le restaurant Michael Mina, une étoile Michelin, situé dans le quartier financier. Fondé par le chef éponyme, le groupe Mina exploite 45 restaurants à travers le monde. « Redescendu tout en bas de l’échelle », Valentin y découvre une approche différente, faite de rigueur mais aussi d’esprit d’équipe et d’ouverture commerciale. Il en revient bilingue, enrichi de cette double culture.
Le retour au sommet de la Dame de fer
En 2019, Frédéric Anton le rappelle pour la réouverture du Jules Verne, un projet exceptionnel au 2ᵉ étage de l’édifice de Gustave Eiffel. Aux côtés de René Carbonnière, alors directeur de salle, il prend le poste de premier maître d’hôtel. La première étoile tombe dès janvier 2020, six mois seulement après l’ouverture, une reconnaissance partagée avec toute l’équipe.

La pandémie interrompt brutalement l’élan, avant une réouverture en octobre 2021, marquée pour lui par une promotion au poste de directeur de salle. À la tête de près de 90 collaborateurs, il impose un management attentif au bien-être. Ouvert 7 jours sur 7 et 364 jours par an (le restaurant ferme uniquement le 14 juillet pour laisser place aux artificiers), il met en place pour la salle la suppression des coupures, une organisation en quatre jours travaillés et deux jours de repos, avec un samedi-dimanche libéré par mois. « On bénéficie aujourd’hui d’un noyau solide de collaborateurs qui portent l’établissement vers le haut », souligne-t-il. Une stabilité qui a contribué directement à l’obtention de la deuxième étoile en mars 2024.
Jean-Jacques Chauveau, la rencontre décisive
Impossible d’évoquer le parcours de Valentin Cavalade sans parler de Jean-Jacques Chauveau. Arrivé au Pré Catelan en 1980, il y passa 39 ans au service de la maison, avant de quitter en 2019. Figure respectée, il fut élu directeur de restaurant de l’année par Gault&Millau en 2007. Sa bienveillance et son expérience ont été déterminantes pour le jeune apprenti qu’était Valentin. « C’est lui qui m’a donné ma chance et m’a transmis la passion du métier », se souvient-il. Cette rencontre décisive a façonné sa vision du service : un mélange d’exigence et d’humanité, de codes respectés et d’ouverture d’esprit.

Un service invisible mais essentiel
Pour Valentin Cavalade, l’excellence du service repose sur l’héritage français et ses codes, mais aussi sur une approche plus naturelle et bienveillante. « Nous sommes les porte-parole des cuisines, et cela restera toujours irremplaçable », affirme-t-il. Il supervise une brigade cosmopolite sans rompre l’intimité de la salle. Chaque geste est calibré : anticiper un besoin, ajuster la vue, doser le tempo. Sa force est de rendre le spectaculaire accessible, de faire oublier la mécanique derrière la fluidité. C’est cette authenticité vivante, faite d’écoute et d’attention, qui a frappé les inspecteurs Michelin et lui a valu le Grand Prix du Service.
Transmission et jeunes générations
La formation et la transmission occupent une place centrale dans son parcours. « Il faut que les anciens réussissent à intégrer les jeunes avec bienveillance. Aux jeunes, on demande discipline et curiosité. » Ancien du CFA Médéric, il a à cœur de partager son expérience. Aujourd’hui, il encadre six apprentis en service, quatre en sommellerie et quatre stagiaires en Bachelor. « La place des jeunes est primordiale dans mon équipe », insiste-t-il. Une conviction qui fait du Jules Verne une véritable école, autant qu’une table d’exception.

L’avenir du service à l’heure du digital
Conscient des évolutions de la société, Valentin Cavalade ne nie pas l’importance croissante du digital et de l’intelligence artificielle. Mais il revendique avec force l’irremplaçable lien humain : « La salle restera toujours le lieu du contact. Le digital ne pourra jamais remplacer le regard, l’écoute et la bienveillance. »
Être au sommet de la Tour Eiffel, c’est vivre chaque jour dans un cadre unique. « Quand vous avez le privilège de voir, durant les Jeux Olympiques, les épreuves de beach volley de votre lieu de travail, vous vous dites que vous avez une chance extraordinaire », sourit-il. Cet été 2024, lors de la cérémonie d’ouverture, Céline Dion et son équipe ont réservé le Jules Verne : un moment inoubliable pour les convives, mais aussi pour les collaborateurs qui ont pu assister en direct à la performance de la chanteuse.
Recevoir le Grand Prix du Service Michelin 2025 est une consécration, mais pour Valentin Cavalade, elle honore d’abord l’ensemble de ses équipes. Sa vision du service est celle d’une œuvre collective, où chacun contribue à transformer une soirée suspendue au-dessus de Paris en souvenir intime. « En récompensant Valentin Cavalade, le Michelin rappelle que la gastronomie se vit autant dans l’assiette que dans l’attention portée à celui qui la savoure. Au sommet de la Tour Eiffel — la sentinelle qui veille sur la Seine, le phare de Paris qui scintille la nuit — le service orchestré par Valentin Cavalade donne à la capitale un supplément d’âme. »
Par Sandrine Kauffer
©Marie-Line Sina et Sandrine Kauffer












