Une fois franchies les portes de l’Imperial Treasure, les repères se brouillent. Le tumulte parisien s’estompe, les souvenirs de la grande Chine surgissent, et les sens s’éveillent. Installée discrètement rue de Bassano, dans le 8ᵉ arrondissement, cette table d’exception est l’unique représentation française d’un groupe gastronomique singapourien au rayonnement international. À Paris comme à Shanghai, à Londres comme à Tokyo, Imperial Treasure incarne une idée élevée de la cuisine chinoise : noble, savante, ancrée dans un art de vivre millénaire.
LE FILM

Né en 2004 à Singapour sous l’impulsion d’Alfred Leung, le groupe compte aujourd’hui plus de vingt établissements dans les grandes capitales asiatiques et européennes. Il décline la richesse des traditions culinaires chinoises ; cantonaises, shanghaïennes, teochew, Huaiyang, vapeur ou grillades, en autant de déclinaisons raffinées. Une singularité précieuse dans un monde culinaire standardisé.
Six de ses établissements sont étoilés au Guide Michelin, dont deux à Shanghai et Guangzhou, auréolés de deux étoiles chacun. À Paris, la maison a pris ses quartiers dans un élégant hôtel particulier repensé par Jean-Philippe Nuel. L’architecture haussmannienne y rencontre la tradition chinoise dans une esthétique épurée, feutrée, presque méditative. Les clins d’œil à la culture Miao ponctuent les espaces sans folklorisme, offrant un écrin à une expérience totale.

Le service, à l’image du lieu, est exemplaire. En salle, la figure d’Henry Chan est le trait d’union entre les cultures franco-chinoise et le guide culinaire d’un repas avec pédagogie et respect. Assistant manager passé par Le Shang Palace du Shangri-La, il évoque avec émotion l’influence de son père, précurseur en France dans les fonctions de Grand-Maître. « Il n’y a pas d’école de cuisine en Chine. Il faut trouver un grand maître qui vous forme », explique-t-il.

Cyril Manceau est le directeur général adjoint. Il a longtemps officié au Shang Palace, seul restaurant chinois étoilé de France durant plus d’une décennie. « Pour être honnête, à L’Impérial Treasure, nous visons clairement une étoile Michelin. Depuis 2020, nous sommes recommandés par le guide, mais « l’assiette Michelin » n’existe plus. Ce serait une reconnaissance pour toute l’équipe. Et une manière de faire rayonner la gastronomie chinoise en France. Nous avons les compétences, les produits, l’exigence. Il ne manque plus que la consécration. »
Entretien avec Cyril Manceau

Formé au lycée Jean-Drouant, il a démarré comme commis au room service du Shangri-La avant de gravir chaque échelon au Shang Palace : « On m’a dit que j’étais fou, que j’allais troquer des horaires continus pour des coupures. Mais je pensais à l’avenir. » En 2019, il rejoint Imperial Treasure à son ouverture. Dix ans d’expérience en restauration chinoise plus tard, il veille aujourd’hui sur une maison d’excellence où la cuisine, le service et la pédagogie culturelle se conjuguent à parts égales.
Le chef exécutif, Yu Gang, originaire du Jiangxi et formé à Suzhou et Shanghai, orchestre avec rigueur une carte impressionnante. Maître de la tradition Huaiyang (découpes minutieuses, bouillons limpides, douceur maîtrisée), il imprime à chaque plat une précision presque chirurgicale. À la carte, les incontournables xiao long bao, dim sum à la truffe noire, aubergines laquées, nouilles Dan Dan ou bar frit à la sauce aigre-douce côtoient soupes de maïs au crabe et raviolis croustillants.

Mais c’est dans le canard laqué pékinois que la maison touche au sublime. « Il y a 24 heures de préparation avant qu’il soit servi devant les clients », explique Cyril Manceau. « On sèche le canard, on le nettoie à la pince, on l’arrose d’huile brûlante pour créer cette peau caramélisée, dorée, ultra-croustillante. » Le cérémonial de découpe à table, le contraste entre peau et chair, les crêpes maison, la sauce soja fermentée, le concombre et la ciboulette : tout concourt à faire de ce plat signature un moment suspendu. Jusqu’à 30 canards sont servis chaque jour dans un ballet millimétré« , témoigne-t-il.

La brigade est intégralement chinoise, avec 60 % d’expatriés. « En cuisine française, les postes tournent. En cuisine chinoise, chacun est à sa place. Le chef de la section barbecue fait le canard, la poitrine de porc, la pluma ibérique. Le chef dim sum arrive dès 9h pour préparer la farce et la pâte. »

Les xiao long bao, dont Cyril Manceau avoue raffoler, illustrent cette quête de perfection. « C’est très compliqué à réussir. Il faut une pâte fine, un bouillon goûtu. À Paris, on trouve beaucoup de versions bâclées, pâte épaisse, bouillon absent. Chez nous, c’est une signature. » Parmi ses autres coups de cœur : les crevettes sautées façon Kung Pao, le bœuf croustillant au poivre noir, les « Liu Sha Bao » , ou encore les mochis maison
Pour les ingrédients, la maison privilégie l’exception. « On travaille avec des canards d’Irlande, des poissons de l’Atlantique, du pluma ibérique d’Espagne… Et si un produit typiquement chinois ne peut être importé avec qualité, on préfère s’abstenir plutôt que de décevoir. »

La carte des vins est à l’avenant : 300 références, des domaines confidentiels aux flacons mythiques, en passant par les champagnes de prestige (Krug, Salon, Dom Pérignon) et des spiritueux rares comme le Kweichow Moutai 30 ans ou le Karuizawa 1981. Au Liu Ling Bar, clin d’œil au poète amateur de vin, les cocktails aux accents asiatiques prolongent le voyage.
Deux menus rythment l’expérience : un déjeuner en six temps à 86 € et un menu signature en huit temps à 175 €. Une immersion dans la gastronomie chinoise telle qu’elle s’exprime avec virtuosité, loin des clichés, entre savoir-faire ancestral et haute exigence contemporaine.

« En Asie, la table doit déborder. Il faut que chacun y trouve son bonheur. J’aime cette générosité, cet esprit de partage. C’est un art de vivre. » L’âme d’Imperial Treasure est peut-être là, dans cette volonté inlassable de créer des ponts, entre les cultures, les palais, et les générations.
Par Sandrine Kauffer
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