Dans ses Eloges de la cuisine française, ce très bel artiste culinaire qu’était Edouard Nignon discute des « œufs à la Mancelle » : on cuit des œufs durs, on les taille dans le sens de la longueur, on prélève les jaunes et on les remplace par des rillettes d’oie additionnées d’un tiers de purée de foie gras ; on place sous un tamis et on passe le jaune dessus. A l’aide d’un fin cornet, on quadrille alors les œufs durs d’un fil réseau de gelée de volaille à demi-prise. On dresse en couronne dans un plant et on place, au centre, une salade de haricots verts cuits à grande eau.
Pourquoi ce nom « à la Mancelle » ?
Est-ce la présence des rillettes qui fait le nom ? Cherchons dans d’autres livres de cuisine. Dans le Guide culinaire, du tout début des années 1900, il y a un « potage à la Mancelle » fait de purée de marrons un peu forcée en céleri, avec un litre un quart de consommé de gibier à plume, bien clair, une prise de sucre en poudre, une pointe de Cayenne et 100 grammes de beurre ; cela se sert garni de filets d’un perdreau fraîchement rôti, détaillés en fines escalopes. Enquête faite dans d’autres livres plus anciens, il s’avère que cette recette est copiée sur celle d’Urbain Dubois, mais il n’y a pas de rapport avec les œufs précédents.
D’ailleurs, toujours chez Urbain Dubois, on trouve un salmis de faisan à la Mancelle : on braise des faisans avec jambon cru, bouquet garni, vin blanc, fonds de volaille ; on réduit le liquide tandis qu’on finit la cuisson des faisans à la broche. Puis, quand les faisans sont à point, on les découpe et on réserve les chairs, tandis que l’on cuit les parures, les carcasses et les pilons dans la casserole de leur cuisson, mouillées avec du fond, du vin blanc, des truffes ; on passe et on ajoute de l’espagnole en réduction, de façon à obtenir une bonne sauce succulente, liée à point.
Mais d’où vient cette recette ?
Rien n’est dit, mais on trouve quelque chose d’analogue, quelques années avant (1867), chez Jules Gouffé, et pour de la bécasse. Là, le titre est plus explicite, puisque les filets sont dits « au foie gras, dits Mancelles ». On étale une farce de foie gras et de champignons sur les filets, on les replie sur eux-m^mes et on let fait sauter au beurre, avant de servir avec une croustade garnie d’escalopes de foies gras, le tout nappé d’une espagnole réduite au fumet de bécasse, avec truffes hachées cuites au vin de Madère et une cuillerée à bouche de duxelles.
Là, on y est presque : un gibier à plume, du foie gras, des truffes. Mais d’où cela sort-il ? On ne trouve rien chez Carême, ni chez Nicolas de Bonnefons, mais c’est dans la Suite des dons de Comus que je trouve la plus ancienne « sauce à la Mancelle », qui est la suivante : « Hachez & mettez dans une casserole, avec la viande que vous voulez servir à cette sauce, une truffe, une pincée d’échalotes, un peu d’huile, un verre de vin de Champagne & deux cuillerées de blond de veau, sel & poivre. Faites bouillir sur le feu, en servant jus de citron ». On trouve la truffe, le vin, le blond de veau, dont dérive l’espagnole.
Reste la question : pourquoi le Mans s’est-il distingué par cette sauce ? Sauf si un historien a la chance de trouver des textes restés inconnus, cela demeurera un mystère !