Mon Paris gourmand (2/3)

Ou retour sur le salon de l’agriculture.

Après la petite promenade de la semaine dernière dans les quartiers indiens, juifs et chinois, je vous convie, avant d’aborder la gastronomie japonaise et coréenne, à revenir sur le salon de l’agriculture de Paris.

Je le fréquente depuis dix ans. Sans vouloir tenir un discours d’ancien combattant, ce n’est plus ce que c’était. Avant, dans le pavillon des régions, les exposants festoyaient jusqu’à point d’heure. Je me rappelle de soirées arrosées en Alsace et en Aubrac, car la magie de ce salon, c’est de pouvoir passer d’une région à l’autre, en quelques mètres, en compagnie des autochtones descendus de leur montagne avec bêtes et fromages.

On riait facilement autrefois. Un autrefois d’il y a à peine une décennie car le monde agricole, lié à celui de l’économie et à la mondialisation a subi de profonds bouleversements. Si je vous demande ce que mange une vache, la plupart d’entres vous me répondrez “de l’herbe” Faux. Archifaux. La majorité des bêtes élevées en France, pour leur viande ou leur lait, se nourrissent de maïs et de soja produits en Asie ou en Amérique ! Imaginez la révolution ! Mais je m’éloigne de mon sujet

Pour des raisons de sécurité, on ne peut plus festoyer dans nos espaces. Soit on va au lit, soit on sort prendre le pouls de la vie parisienne, soit on s’organise. Chaque année, avec un noyau dur d’irréductibles Gaulois Alsaciens, je me laisse enfermer dans le hall 1 après la fermeture au grand public. Dans cet espace immense, hommes et bêtes vivent neuf jours ensemble. La nuit, les vêlages ne sont pas rares, au petit matin la traite est assurée, les éleveurs soignent leur cheptel. Ils dorment non loin de leurs protégées, prêt à intervenir si besoin. Voir les animaux en journée est mission impossible : il faut se frayer un passage dans la foule et les bêtes sont stressées. La nuit, nous avons le hall pour nous. J’ai admiré les superbes volailles et lapins, caressé la croupe des Blanc-bleu, admiré les énormes testicules du roi des taureaux charolais, caressé le pie tendre et chaud, les tétons en érections d’une Prime Holstein ayant gagné cette année la mamelle d’or. J’ai imaginé la quantité de saucisses que je pouvais endosser avec ce superbe porc Gascon, évalué le poids d’un jambon d’un “Large White” et observé d’un œil connaisseur le gras de lard d’un goret de Bigorre.

Toute la nuit, un restaurant basque est ouvert. Enfin, un espace sous une tente composé de tables et de bancs dans lequel on mange et on boit. Un seul menu, une carafe de vin par personne. Et on chante. Dans toutes les langues. D’abord les vrais basques, au chant puissant qui vous prend aux tripes, un peu comme les polyphonies corses. Après quelques carafes, l’équipe alsacienne chante aussi en basque. On rit, on se prend par les épaules, on s’aime, on aime. Le cochon est servi avec une compotée de chou et des patates : quel bonheur !

Voilà, nous y sommes dans le hall 1. Les copains et moi-même avons décidé d’être ce soir pique-assiette. Nous n’avons plus très faim, mais qu’importe ! Une revanche envers tout les mange-mange et boit-boit que nous accueillons toute la journée. Après avoir effectué notre promenade, nous cherchons une réception à laquelle nous inviter. Car dans ce hall, les nuits sont agitées. Il y a encore comme un espace de liberté permise. Le savoyard, l’auvergnat, le gascon et le breton peuvent ici se lâcher, gueuler leur terroir. De puissantes régions organisent des réceptions pour vanter leur produits, exacerber leur chauvinisme ! Chaque soir il y a d’autres événements : la plus grande ferme du monde respire. Un vent franchouillard, qui sent si bon le terroir, souffle doucement dans le hall 1. Les bêtes sont au repos, leurs maîtres dansent, boivent aux médailles raflées à grand coup de soins et de sélection génétique.

L’an dernier, nous somme invités chez les Savoyards. Simplement en disant que nous étions Alsaciens ! Une immense fondue pour cinq cent personnes embaumait l’espace. Les p’tits vins blancs du pays étaient au rendez-vous. Un peu plus tard, nous étions chez les Alsaciens, mais là, c’était plus sérieux. Les loges étaient propres et rangées, les roïgabrageldi et le collet excellent, le vin blanc honorable. Mais coté fête, il y avait pas encore Gérard l’Alsacien !

Au petit matin, on a aussi bu un coup chez les Normands, du moins je crois. A cette heure, c’est peut être des Bretons, ça n’a que peu d’importance. Des jeunes agriculteurs dormaient pêle-mêle sur des matelas de fortune au milieu de tables improvisées jonchées de bouteilles vides…

Nous tentons une approche vers l’espace de la région Midi-Pyrénées ou une immense réception rassemble au moins mille personnes. Les discours sont terminés, nous voyons les écaillers ouvrir des milliers d’huitres. Des tables entières supportent des centaines de bouteilles ! Nous faisons de l’œil aux vigiles qui gardent les entrées de ce temple de Comus. Que nenni, les cerbères inflexibles ne nous laissent point pénétrer en ce lieu saint.

Et puis Jimmy, reconnait quelqu’un. Il l’appelle et celui-ci nous laisse entrer par une porte officielle !

La délégation alsacienne, tel le Cheval de Troie entre dans l’arène ! Je ramène des plateaux d’huitres grasses à souhait. Quel bonheur ! Le vin coule à flot. Un orchestre joue, les gens dansent, probablement une bourrée car tous les gens semblent l’être…

Nom de nom, que c’est bon d’être Français, libre et en bonne santé, on se sent en famille.

Un coup de corne de brume retentit. A quelques encablures des vaches, un solide marmiton soulève d’une immense gamelle en alu une rame de bateau à plus de trois mètres de hauteur, emportant avec elle un gros fil jaune : l’aligot file ! On y va ! Sur le chemin, des gaillards tranchent des jambons de “Noir de Bigorre”. Ce n’est pas de refus, quelles fesses mortifiées exquises !

Le vin coule à flot, les gâteaux Basques arrivent en fanfare, les chants s’amplifient, tout le monde parle à tout le monde. Nous trinquons avec un berger venu de ses lointaines prairies, nous dansons, nous célébrons la joie de vivre avec un député de la région ayant enlevé sa cravate, ouvrons des Madirans et Marcillacs à la gloire de l’agriculture !

Le lendemain matin, on ne fait pas trop les fiers. A 21 heures, la délégation alsacienne est au lit car j’en connais un qui, la veille, et à cinq heures du matin s’est retrouvé dans un parking souterrain à chercher une bouche de métro !

J’ai assez peu de temps pour flâner au salon et je n’en ai souvent guère l’envie. Pourtant, toutes les régions de France se mobilisent. Les paysans sont là, les associations de défense des saucissons sont présentes, les confréries chantent, les antis OGM sillonnent les allées, les industriels distribuent des tracts, les restaurateurs haranguent le chaland, les Bretons crient leurs bolées de cidre, les Normands vantent leur crème, les boulangers d’île de France nous apportent du bon pain, les Corses pressent leurs olives, les Francs-Comtois détaillent le morbier et les Chtis tirent leurs bières.

Eh oui, le salon c’est encore quelque chose, mais pour combien de temps ? Le tarif de la location d’espace est devenu déraisonnable. Les régions participent au financement, mais pour combien de temps ? Les exposant en ont marre d’être pris en otage par les dirigeants de cette énorme structure du Parc Expo de Paris. La révolte gronde. A force d’avoir voulu le beurre et l’argent du beurre, le salon de l’Agriculture ne deviendra plus que l’ombre de lui-même. Les grands groupes et les industriels de tous types grignotent un peu plus chaque année les espaces. Ce ne seront bientôt plus qu’eux qui pourront financer de tels coûts. Le petit producteur ne peut plus venir, même aidé par la chambre d’agriculture. Les grands groupes de bidochards et de sauciflards, les industriels du lait, les vendeurs de soja et de mais, de pesticides et d’OGM ont la voie libre. Mac Do est présent dans le hall 1 : Mac Beurk profite de la venue en nombre du bon peuple pour communiquer, c’est-à-dire étourdir encore un peu plus le consommateur irresponsable. Les producteurs d’œufs produits à la chaine, dans un irrespect total du bien-être animal, redorent leur blason. En permanence, sur le site, ces grosses boites font éclorent des poussins que les enfants peuvent voir : quoi de plus beau qu’un poussin d’un jour ? Une boule de duvet jaune à pleurer tellement c’est mimi…Mais ce poussin, incarnation de l’innocence sert à merveille l’appétit des industriels de la protéine.

D’année en année, les exposants viennent moins nombreux. Le hall 7/2 est à moitié plein et le 7/3 est totalement vide. Qui tire donc les ficelles d’un salon qui aurait besoin d’un souffle nouveau ?

Je suis triste de voir l’énergie qui est dépensée par toutes les régions de France, pour valoriser leur terroir au travers des spécialités et des hommes qui les créent. Le petit producteur de fromages de brebis des Causses, l’apiculteur Alsacien, le gaveur-éleveur Landais, le producteur de plantes médicinales du Quercy, le micro-brasseur Auvergnat, le fermier-aubergiste du Gers, le confiturier Lorrain ou le charcutier de Sologne n’ont plus leur place. Si ce salon est une vitrine de l’agriculture, quel prix doit t’on y mettre ?

Mais je m’éloigne de mon sujet. Avec toutes ces aventures relatées, je ne vous ai pas encore parlé de mes restaurants Japonais et Coréens. Tant pis, ce sera pour la semaine prochaine…

 

Par Daniel Zenner