A la grimaud ou à la grimod ?

 En référence à un village, à un oiseau ou à un gastronome ?

Je trouve une recette dite « à la grimaud » : est-ce une recette qui viendrait de Grimaud, village du Var ? Ce serait possible, puisque je vois une version de cette préparation pour des crevettes, avec une sauce typiquement provençale… mais dans un livre allemand.

Ou bien aurait-on cuit de la chouette ? Là, nous avons une nouvelle hypothèse puisque le mot « grimaud » désigne les chouettes, et, plus précisément, les hulottes.

Le Larousse gastronomique, lui, ne dit rien de cette préparation à la grimaud. Le Guide culinaire ? Il est également muet à ce propos. Dans un tel cas, il faut patiemment remonter le temps, livre après livre, mais en nous focalisant quand même, au risque de rater une belle information, sur les livres les plus connus, ceux des cuisiniers les plus célèbres. Urbain Dubois, Joseph Favre, etc.

Pour le Dictionnaire universel de cuisine pratique de Favre, je n’y vois pas de « grimod », mais des « cailles à la Grimod », qui évoquent Alexandre Balthazar Grimod de la Reynière, aristocrate excentrique qui se reconvertit dans la littérature après la Révolution française. Hélas, la recette n’est pas donnée. En revanche, cette orthographe de « grimod » plutôt que de « grimaud » nous remet sur une autre piste… et c’est ainsi que l’on trouve, dans l’Heptaméron des gourmets de ce merveilleux Edouard Nignon des « friantines de volaille à la Grimod », dont voici la recette :

«  Préparez cinq cents grammes de feuilletage à six tours que vous abaisserez et taillerez en deux bandes de cinquante centimètres de long sur vingt centimètres de large. Etalez une bande sur une plaque ; placez-y, à des distances égales, des petits tas d’une fine purée de blanc de volaille liée de sauce Suprême. Posez, sur chaque petit tas, trois fines lames de trulfe fraîche. Vous vous servirez, pour cette opération, d’une douille de la grosseur du petit doigt, et d’une poche. Puis recouvrez le tout de la seconde abaisse que vous dorerez au jaune d’œuf. Donnez à chaque friantine la longueur et la grosseur d’une allumette (terme culinaire). Dessinez une feuille sur chacune d’elle avec la pointe d’un couteau. Séparez-les et cuisez-les très croustillantes et de belle couleur. »

Est-ce Nignon celui qui a nommé la recette en l’honneur de Grimod ? Je ne trouve rien dans les ouvrages d’Urbain Dubois, ni chez Jules Gouffé, en 1867…. mais je vois chez André Viard, en 1806, un «  Potage à la Grimaud de la Reynière », fait d’un chapon et de deux pigeons flanqués de laitues entières, servis avec des légumes et le bouillon, le tout cuit avec du lard.

La recette figure ainsi du vivant de Grimod (mort en 1837), de sorte que ce n’est guère nécessaire d’aller chercher plus loin. Mais signalons aussi une « sauce à la Grimaud », qui est une sauce portugaise (beurre, jaunes d’oeufs, jus de citron où l’on râpe de la noix muscade, des gousses de piment enragé, du safran

Et, pour compliquer un peu, Viard donne une autre recette, mais cette fois « à la Reynière », sans que lle mot « Grimod » (qu’il écrit Grimaud) n’apparaisse : une terrine de quenelles de Lapin à la La Reynière.

Il s’agit de faire une farce à quenelle de lapin un peu serrée, avec moins de beurre ; on poche, on égoutte, et l’on pique les quenelles avec de la truffe. Puis on met dans une casserole avec des rognons, des crêtes de coqs, des petites noix de veau, des ris d’agneau, des truffes. On verse ensuite deux cuillères à pot de velouté dans une casserole, une pareille cuillerée de fumé de gibier, une demi-bouteille de vin de Madère sec, un maniveau de champignons tournés et sautés dans un jus de citron et de l’eau ; on fait réduire la sauce à moitié, avant d’ôter les champignons que l’on met avec les garniture ; enfin on lie au jaunes d’oeufs.

Finalement, ni chouette ni village provençal, mais un hommage à Grimod de la Reynière, dont les écrits méritent d’être lus et relus : l’Almanach des Goumands ou le Manuel des Amphytrions, par exemple.

Hervé This