A la crapaudine ? Il y a plus qu’une volaille écrasée

A la crapaudine ? Une crapaudine, c’était une pièce de métal qui reçoit le gond d’une porte, ou encore une pierre précieuse formée par une dent fossile de poisson, employée par les joailliers. Mais en cuisine ? Les dictionnaires modernes nous indiquent : « Se dit d’une manière d’apprêter les volailles (pigeons, palombes, poulets) en les faisant griller, les ailes et les jambes ouvertes et écartées ».

Mais est-ce bien cette définition que le monde culinaire doit avoir ? Le Larousse gastronomique  indique « Manière d’accommoder un poulet, un poussin, ou, surtout, un pigean. La volaille, fendue, panée et grillée, reste savoureuse, car les sucs sont concentrés »… mais c’est à fois arbitraire (pas de référence!)… et faux, car pourquoi les « sucs » seraient-ils concentrés ? On sait en effet que les viandes chauffées se contractent, expulsant des jus. Et la prétendue « cuisson par concentration » a (heureusement !) disparu de l’enseignement culinaire depuis vingt ans.

Consultons donc plutôt le Dictionnaire universel de cuisine pratique de Joseph Favre, qui date du début du 20 e siècle : «  CRAPAUDINE, adj. — A la façon du crapaud; qui a la forme et l’aspect du crapaud. Pigeon, colombe, tourtereUe à la crapaudine. (Voir PIGEON.) ». Là, nous voyons que la panure n’est pas indispensable, pour cette préparation. Et comme les indications sont succinctes, remontons les publications culinaires dans le temps.

On trouve déjà la « crapaudine » chez Urbain Dubois, , élève du grand Carême, en1876, et aussi en 1856… mais d’abord comme une sauce :

« SAUCE CRAPAUDINE. Placez dans une petite casserole 200 gr. de beurre; quand il est chaud, additionnez 125 gr. de mie de pain et faites-lui prendre couleur tout doucement; alors égouttez le beurre, mouillez avec 4 décil. de demi-espagnole réduite à point, donnez quelques bouillons, additionnez en outre ud’ne pointe de-poivre et une cuillerée de persil haché, le jus d’un citron, sans passer à l’étamine, et versez dans la saucière. ». Cette fois, la « panure » est dans la sauce, plutôt que sur la volaille… et j’en profite pour observer que, contrairement à ce que dit l’Académie culinaire, cette sauce ne se confond pas avec la sauce Chateaubriand.

Bien sûr, il y a aussi des poulets à crapaudine, et bien plus élaborés que ceux décrits par le Larousse gastronomique, mais, surtout, ce sont des poulets farcis et cuits dans un sautoir beurré, que l’on sert sur un socle de mie de pain frit, et avec cette sauce crapaudine : la volaille n’est pas aplatie en forme de crapaud. Pour des pigeons à la crapaudine, on le partage en deux, on fait sauter au beurre, on pane, on fait griller, avant, à nouveau de servir avec une sauce crapaudine à part.

Et avant cela ? André Viard, en 1817, propose, pour des pigeons à la crapaudine, de les trousser les pattes en-dedans, de les flamber, de les éplucher, de les couper du bout de l’estomac jusqu’à la poche, d’aplatir les pigeons « en leur battant sur le dos », d’assaisonner et de griller (pas de panure). On sert avec une sauce fait d’échalottes hachées, p de vinaigre, d’eau, d’un peu de sel et de poivre : on fait bouillir le tout ensemble et l’on verse la sauce sur les pigeons grillés. Pas de panure, dans cette recette.

Mais Viard est précédé par François Marin, et sa Suite des Dons de Comus, publiée en 1758 : il sont coupée en deux par les reins sans les séparer, emplis de lard fondu et de beurre, de poivre et de fines herbes, panés et grillés. On les sert en versant dessus « telle sauce que vous voudrez ». Et il est finalement indiqué :  « On peut les couper par le ventre en relevant l’estomac sur la tête et repassant la tête par dedans le brichet. Cela forme le crapaud ».

Tout semble donc clair… à cela que le mot crapaudine se trouve aussi en cuisine à propos… de betteraves : la betterave crapaudine, ou betterave écorce, ou encore betterave Ecorce de Chêne, ou betterave Noire Ecorce de Sapin, est sans doute la plus ancienne variété connue encore cultivée et distribuée ; elle semble remonter au moins au 15e siècle. Elle se repère à son épiderme crevassé qui rappelle l’écorce d’un jeune arbre ou la peau de certains crapauds, d’où son nom. Sa chair est assez reconnaissable, alternance de cercles rouge soutenu et rouge foncé, avec une consistance ferme et un goût sucré.

Rien à voir avec les préparations de volaille, mais tout aussi légitime.

Hervé This