" On ne peut être et avoir été, je ne suis plus sommelier " ©SandrineKauffer

Jean-Marie Stoeckel ; «Nous sommes toujours en chemin»

«On ne peut être et avoir été, je ne suis plus sommelier…», constate Jean-Marie Stoeckel, Meilleur Sommelier de France en 1972, fondateur de la Wistub du Sommelier à Bergheim. Aujourd’hui, c’est dans sa Villa La Sapinière, sur les hauteurs de Thannenkirch, qu’il gère avec son épouse Geneviève 3 gites et chambres d’hôtes. Il anime également des sortie oeno-touristiques dans les vignes avec dégustations. Philosophe et serein, Jean-Marie Stoeckel, installé dans son jardin, raconte avec humilité, de celle qui caractérise les grands sommeliers, ce qu’il appelle son chemin de vie.

Une trajectoire déviée

Né en 1944 à Thannenkirch, son avenir semblait tout tracé. Ses grands-parents tenaient l’actuel Clos des Sources et ses parents Annelise et Achille, le restaurant Unterlinden à Colmar. Du haut de ses 13 ans, il se faufile en salle et en cuisine. Diplômé en viticulture-agricole, il saisit le lien intrinsèque agri-culinaire, son palais affûté et son goût du vin avéré. En 1959, il créé sa première carte des vins au restaurant Unterlinden. «Mon père avait hurlé», s’amuse-t-il. «J’avais osé mettre des grands noms comme Rothschild ou un Pétrus 1953 qui valait 19 francs à l’époque».

En 1968, il participe aux sélections régionales du concours du meilleur sommelier de France et «à ma grande surprise je sors 1er dans ma région. C’est une révélation!», reconnaît-il. «Je suis un autodidacte». En 1972, c’est la consécration, Jean-Marie Stoeckel devient le premier Alsacien à décrocher le titre de Meilleur Sommelier de France. « Observant l’admiration de certains, j’étais gêné», dit-il «Je ne pensais pas le mériter, je ne faisais que mon métier».

Jean-Marie Stoeckel, Meilleur Sommelier de France en 1972 ©SandrineKauffer
Sollicité pour reprendre l’affaire familiale de son grand-père à Thannenkirch, Jean-Marie Stoeckel, en poste chez Alain Chapel, démissionne. Mais arrivé en Alsace, il refuse cet héritage. «Ce n’était pas mon rêve», dit-il simplement. Il intègre alors la brigade de l’auberge de l’Ill, 3* Michelin à Illhaeusern dans la famille Haeberlin. Chef de rang, son commis ne sera autre que Serge Dubs futur Meilleur sommelier du Monde en 1989.

La rencontre avec Emile Jung

«Cette rencontre a influé, indéniablement, le cours de ma vie professionnelle», souligne-t-il. «Je l’admirais. A 23 ans, il était le plus jeune chef étoilé de France à Maseveaux et moi je rêvais d’étoiles. Nous avons appris ensemble, nous nous sommes présentés à des concours chacun dans notre catégorie, moi en professionnel et lui en tant que restaurateur. En 1973, nous sommes membres fondateurs de l’ASA, association des sommeliers d’Alsace et en 1974, Emile Jung me fait une proposition que je ne peux pas refuser. Ayant repris le crocodile avec Monique Jung, ils ont créé un poste de Sommelier. Le jour où j’ai dit oui, je savais que ma vie changerait. Tous les automnes nous partions déguster et réserver des millésimes. C’est au croco qu’on a lancé le vin au verre, et notamment le Muscat de chez Schlumberger. Ce fut fulgurant», se rappelle-t-il enjoué.

La Winstub du Sommelier

De la Villa, vue sur la vallée de Thannenkirch ©SandrineKauffer

Dix belles années ont permis de créer une des plus belles cartes des vins et de vivre l’expérience des trois étoiles Michelin. En 1984, à 40 ans «le diable du changement» le reprend. Deux possibilités s’offrent à lui ; rester au Crocodile ou se lancer dans la restauration. C’est à Bergheim qu’il s’installe avec Géneviève pour ouvrir la Wistub du Sommelier. C’est dans un décor sobre, mais heimlich qu’il installe son style avec des assiettes épurées, «simplissimes». Si le vin tient une place prépondérante, le sommelier enfile aussi son tablier de cuisinier. S’appuyant sur une cuisine vapeur, il transitait avec facilité de la salle en cuisine. «Je préparais les terrines ou le fois gras, le soir après le service. «J’ai conscientisé mon parcours ; le vin est au carrefour reliant l’agriculture à la cuisine, la cuisine à la salle, le vin synthétisant l’unité, s’appuyant sur une psychologie inhérente pour appréhender les clients».

A 55 ans, Jean-Marie Stoeckel se remet une nouvelle fois en question. Investir dans la Wistub du sommelier ou partir ? En 2000, il cède son affaire et développe les gites à La Sapinière. «J’ai eu une vie professionnelle à laquelle je ne m’attendais pas. Représentant la 4ème génération d’hôteliers-restaurateurs, en plus d’être l’ainé, je pensais être bridé par l’atavisme familial», observe-t-il, constatant que parfois le chemin de vie mène sur une autre voie, celle du libre choix.

Par Sandrine Kauffer
Crédit photos ©SandrineKauffer
Avec Geneviève, il vous accueille à la Villa la Sapinière ©SandrineKauffer
présentation de l’article dans le PASSION VIN N°15