Les roïgabrageldi à la Wassmatt

Gratin : du mot au plat

Un séminaire récent consacré aux dorures des pâtisseries, nous a montré comment innover en analysant. Ici, on fait de même : le mot conduit à la technique.

La dorure d’une pâte ? Si c’est doré, c’est que c’est jaune, d’une part, et brillant de surcroît. D’ailleurs, l’argenté, c’est du gris brillant ; le cuivré, c’est du rouge brillant, et ainsi de suite. Pour les pâtisseries, les expérimentations que nous avons faites ont montré que c’est bien le jaune, et surtout lui, qui fait les dorures : il apporte à la fois la couleur jaune et le brillant… parce qu’il contient de la matière grasse, qui s’étale, formant une couche régulière, qui réfléchit la lumière, et des protéines, qui, lors du séchage, forment une sorte de résine où la matière grasse est tenue.Innover ? Il suffit de mettre un colorant alimentaire avec de la matière grasse et des protéines, telles celles du blanc d’oeuf ou de la gélatine.

Mais arrivons à notre « gratin ». Le mot est employé au moins depuis 1564 pour désigner la « partie de la bouillie (ou autre mets) qui s’attache et rissole au fond ou sur les parois du récipient dans lequel on l’a fait cuire, et qu’on détache en grattant ». Ah, la bouillie, si oubliée aujourd’hui alors qu’elle a fait l’essentiel de l’alimentation de nos ancêtres ! Alors qu’elle était encore consommée quasi quotidiennement dans certaines parties de la Bretagne il y a une ou deux générations. Alors qu’elle est peut-être la préparation d’où sont nées nos crêpes et galettes : ces dernières ne sont-elles pas des bouillies qui ont séché ?

Quoi qu’il en soit, le mot « gratin » n’a guère changé de sens avec le temps, et il désigne aujourd’hui la « partie des aliments qui reste attachée en croûte brunie au fond et aux parois du récipient de cuisson ».

Bon, et alors ? Alors, analysons quelques gratins pour comprendre comment les faire mieux. Les Alsaciens connaissent bien les Roigebrageldi… mais on ne dit pas assez qu’il en existe deux principales sortes : les très moelleuses, d’une part, et les gratinées, d’autre part. Personnellement, je préfère les secondes, que l’on obtient en étalant les dés ou les rondelles de pomme de terre sur une plaque, avec oignons, lard et beurre. Et tout cela gratine, quand la chaleur assèche la surface des dés ou des rondelles.

Autre exemple : la confection d’un Strudel, avec beurre et de sucre, qui gratine, parce que le mélange de ces deux derniers ingrédients vient sécher sur la place de cuisson. Ou la confection d’un pâte ou d’une tourte, avec le jus de la viande qui, chargé de protéines, vient sécher sur la plaque.

Dans tous les cas, il y a un système liquide qui sèche et qui attache, avec, souvent, de l’amidon ou des protéines pour faire « coller », de la matière grasse ou du sucre, et, surtout, le goût qui se concentre. Le fromage, évidemment, a tout cela à la fois : de la matière grasse, des protéines, et de l’eau qui s’évapore lorsqu’on le fait gratiner.

Tout cela étant bien établi, on comprend que l’on peut faire gratiner par dessous ou par dessus. Pour gratiner par dessus, il y a le gril, ou la salamandre. Pour gratiner par dessous, on posera la place de cuisson sur la sole du four, qui sera chauffée. Et, dans tous les cas, on évitera de chauffer trop fort, sans quoi l’on obtiendrait un charbonnage, au lieu d’avoir le gratinage : le gratin est une question de temps !

Par Hervé This