Philippe Bohrer, à la source de son talent

Le Magazine mensuel ” La Chasse en Alsace” a publié un article sur Philippe Bohrer, propriétaire du restaurant Philippe Bohrer à Rouffach et du Crocodile à Strasbourg, ainsi que de plusieurs autres établissements. C’est au pied des contreforts du massif des Vosges, portant un vignoble réputé entre Colmar et Mulhouse, que s’étend Rouffach. Vous y trouverez l’établissement éponyme de Philippe Bohrer, une étoile Michelin, tête de proue d’une belle affaire.

Il fait grand soleil ce matin-là lorsque nous arrivons à Rouffach, mais l’air n’en est pas moins glacial. Nous demandons le maître des lieux et, en avance sur l’heure fixée, nous nous apprêtons à une attente conséquente. Que nenni ! À peine avons-nous le temps de feuilleter la presse régionale que Philippe Bohrer, tel un chat, est installé face à nous. Tenue décontractée, cheveux mi-longs, l’homme est à 48 ans à la tête de plusieurs hôtels et restaurants du sud au nord de l’Alsace, dont l’institution strasbourgeoise, le Crocodile, depuis juin 2009. Durant notre entretien, les digressions entre les différents établissements sont constantes, avec une concentration particulière sur les deux fleurons : Rouffach et Strasbourg.

Le parcours du cuisinier ? Classique et prestigieux d’abord, avec Bernard Loiseau et Paul Bocuse, dont il évoque ” la passion, la folie, le goût du risque, la forte personnalité, le perfectionnisme et plus que tout leur approche visionnaire “.

Exceptionnel et prestigieux aussi, lorsqu’on sait qu’il fut le cuisinier privé de Valéry Giscard d’Estaing et de François Mitterrand. Une aventure dont il dit que ce fut ” l’expérience de sa vie”.

Peu disert sur cette période – sans doute le devoir de réserve qui sied à l’entourage de tout chef d’État -, il consent néanmoins à révéler que tous deux étaient de fins gourmets, mais aussi des hommes en proie aux mêmes angoisses que le commun des mortels.

Des prix raisonnés

Quittons les ors de la République pour revenir à Rouffach. Racheté en 2006 – bien qu’il soit le fils de la maison -, ce qui fut d’abord un ancien bistrot de village occupe une place particulière dans le cœur de Philippe Bohrer. L’étoile Michelin a beau briller depuis 18 ans sur l’établissement, les prix affichés sont très raisonnables. Ainsi, les entrées commencent avec un Tian d’escargot en émulsion de topinambour à la réglisse, salade de Shizo, à 19 euros et stagnent à 28 euros avec l’Escalope de foie gras de canard poêlée, en streussel de grué de cacao.

Mieux encore, les plats principaux, alignés sous l’intitulé “Terre, Mer, Basse cour “, proposent, par exemple, une Gigue de chevreuil, coing laqué au vin rouge et épices, à 26 euros, un Pigeon de la ferme ” Duwelhof ” cuit à l’os sur une tombée de salsifis à 28 euros, et ne culminent à 35 euros que pour la Noix de St Jacques poêlée et son risotto de céleri-rave et râpés de Truffe noire du Périgord. Notons enfin les menus : le Gourmet express à 27 euros, le Gastronome à 39 euros qui décline un Omble chevalier et streussel de châtaignes, une Côte de cochon fourrée au foie gras, une sélection de fromages et un Millefeuille chocolat aux extraits d’arabica, ou encore, d’une longueur gastronomique plus ambitieuse (5 arrivées), les Agapes à 65 euros.

Les artisans-chefs de cuisine s’appellent ici Arsène Muller, Francis Zeller et Gregory Poirot, respectivement 20, 18 et 10 ans de maison, des ” calibres ” comme les définit leur patron.
Pour les vins, il suffit de savoir qu’elle est supervisée depuis le 1er avril dernier par Gilbert Mestralet du Crocodile.

Mais revenons à Philippe Bohrer. L’homme est volubile, disponible et… fébrile. Et pour cause : le verdict Michelin 2010 tombe dans moins de 48 heures. Philippe Bohrer a beau être cuisinier, il est aussi chef d’entreprise. Marketing, synergie, compétition, qualité et management des hommes font tout naturellement partie de son vocabulaire. Ce profil d’entrepreneur peut certes surprendre, il n’en demeure pas moins que la recette de son succès se trouve justement dans la combinaison avisée du chef de cuisine et d’entreprise. Philippe Bohrer a en effet compris que la gastronomie est une chose, la pérennité d’un établissement une autre, et que les deux sont parfaitement compatibles.

Par Hélène Bertrand