La grande rencontre annuelle du Collège Culinaire de France s’est tenue le lundi 6 octobre 2025, comme chaque premier lundi du mois d’octobre, au Ground Control à Paris, de 11h à 17h. Plus de mille membres, venus de toute la France, se sont retrouvés autour d’un programme dense mêlant conférences, menus complices, tables rondes dans l’espace LAB, débats et Assemblée générale.
Aux côtés des membres fondateurs Alain Ducasse, Gilles Goujon, Eric Briffard, Michel Roth, Stephane Jego, Laurent Petit, Marc Haeberlin et Alain Dutournier, cette journée a célébré la vitalité d’un collectif unique qui fédère restaurateurs, producteurs et artisans autour de valeurs communes.

Le Collège Culinaire de France, (3 000 membres) défend le concept d’intelligence artisanale: une réponse humaine et collective à l’intelligence artificielle, fondée sur la main, le cœur et la coopération. Prochaine étape : la création d’un Institut de l’intelligence artisanale, pensé comme une bibliothèque d’expériences et un lieu d’échanges entre acteurs de la gastronomie artisanale.
« La qualité n’a pas de frontière, mais l’identité d’un territoire, oui », souligne Célia Tunc, secrétaire générale du Collège Culinaire de France, rencontrée à l’occasion de cette journée. « L’intelligence artisanale, c’est celle de la main, du cœur et de la coopération », ajoute-t-elle, rappelant que « la durabilité, c’est aussi la capacité à vivre de son métier ».

Je fais mon sourcing et mon marché les yeux fermés
« Je viens pour la première fois, confie ce restaurateur, « et au-delà des retrouvailles conviviales entre chefs, c’est surtout la rencontre avec les producteurs et les artisans qui donne tout son sens à cette journée. Ici, je peux faire mon marché les yeux fermés : chacun d’eux a été sélectionné par des chefs référents, garants d’une exigence partagée.
Je goûte leurs produits, j’instaure un véritable dialogue, j’échange sur les procédés de fabrication et les usages culinaires. C’est un moment de sourcing d’une rare qualité, qui me fait gagner un temps précieux et nourrit ma réflexion. L’an prochain, je viendrai avec mon équipe. On en ressort enrichi, curieux, stimulé, tant les découvertes et les innovations sont nombreuses. J’ai notamment dégusté un étonnant caviar marin végétal à base de spiruline, de Spiru’Marine. »

Entretien avec Célia Tunc
Sandrine Kauffer : Comment se porte aujourd’hui le Collège Culinaire de France en termes de membres et de dynamique ? Disposez-vous de quelques chiffres clés ?
Célia Tunc :
Aujourd’hui, le Collège Culinaire de France compte un peu plus de 3 000 membres. C’est un chiffre stable depuis l’an dernier, qui n’a pas beaucoup évolué. Le contexte reste compliqué pour les restaurateurs, et nous avons constaté de nombreuses fermetures ces derniers mois, ce qui impacte également les artisans et les producteurs.
Mais malgré ces difficultés, nous recevons chaque mois entre 40 et 50 nouvelles demandes d’adhésion, venues de restaurateurs ou de producteurs souhaitant rejoindre le Collège Culinaire. C’est plutôt encourageant pour la gastronomie artisanale et pour tous ces acteurs engagés, même si, clairement, le nombre de fermetures s’est nettement accéléré depuis 18 mois.
Sandrine Kauffer : Cette rencontre annuelle constitue un temps fort, mais y a-t-il d’autres grands événements dans l’année ?
Célia Tunc :
Oui, bien sûr, tout au long de l’année. Cette grande rencontre est notre moment fédérateur, le bilan annuel où tous les membres se retrouvent. Mais cette édition a eu une dimension internationale, car nous avions des participants venus de Belgique.

En effet, nous avons officiellement ouvert le Collège Culinaire de Belgique le 1er juillet 2025, à la demande de restaurateurs et de producteurs belges. Cela faisait déjà plusieurs années que des Belges postulaient au Collège Culinaire de France, et nous répétions souvent que la qualité et l’artisanat n’ont pas de frontières. Cependant, utiliser le mot “France” et le drapeau français en Belgique n’avait pas beaucoup de sens.
C’est donc après la candidature du cinquième restaurateur belge, dont Sang-Hoon Degeimbre, du restaurant L’Air du Temps, que j’ai proposé de créer une structure dédiée, avec des référents sur tout le territoire belge. Aujourd’hui, le Collège Culinaire de Belgique compte déjà près de 100 membres.
Quant au Collège Culinaire du Japon, il a été créé il y a environ deux ans et demi, en 2023, et réunit aujourd’hui près de 300 membres. Ces ouvertures ne sont pas des stratégies d’expansion, mais des réponses à des demandes locales fortes. Nous accompagnons ces projets uniquement lorsqu’il existe sur place une personne capable de les faire vivre dans le même esprit, en toute indépendance.
Sandrine Kauffer : Justement, quelles sont les spécificités du Collège par rapport aux autres associations gastronomiques ?

Célia Tunc :
Le Collège Culinaire de France se distingue d’abord par deux grandes particularités.
La première, c’est que nous ne sommes pas une association de chefs, mais un collectif qui réunit à la fois des restaurateurs et des producteurs. Et quand je dis “restaurateurs”, cela englobe l’ensemble des équipes, pas uniquement le chef. Ce qui compte, c’est l’esprit collectif et la mise en valeur des collaborateurs, car la gastronomie artisanale est une œuvre d’équipe.
La seconde, c’est notre indépendance totale. Le Collège ne vit que grâce aux cotisations de ses membres. Nous n’avons aucun sponsoring extérieur, ce qui nous permet d’organiser nos événements de manière autonome, avec l’énergie des restaurants, des producteurs et aussi des écoles hôtelières partenaires, une dizaine aujourd’hui.
Cette année, par exemple, l’école Médéric a assuré toute l’animation de la journée : service, accueil, cuisine aux côtés des chefs et producteurs. C’était formidable de voir ces jeunes s’impliquer concrètement. Des écoles comme Ferrandi étaient également présentes, certaines en tant que visiteuses, pour faire découvrir à leurs élèves cette relation entre producteurs et restaurateurs

Sandrine Kauffer : En dehors de la grande rencontre, comment se déploie l’activité du Collège sur le terrain ?
Célia Tunc :
Le Collège Culinaire de France, ce n’est pas seulement ce grand rassemblement annuel. Nous organisons une trentaine d’événements par an, dans différents formats et régions.
Par exemple, le 19 octobre 2025, aura lieu le Marché Complice de Saint-Jean-de-Luz, une manifestation qui réunit une cinquantaine de producteurs et de restaurateurs. C’est déjà la 7ᵉ édition ! Deux semaines plus tard, nous serons à Saint-Bonnet-le-Froid, sur le marché de Régis et Jacques Marcon, où nous animerons un moment d’échange entre les membres d’Auvergne.
Nous essayons de renforcer cette présence régionale. À partir de l’an prochain, j’aimerais structurer cela sous la forme d’une tournée : “une région par mois”, pour favoriser la rencontre et la coopération locale. D’ailleurs, l’Alsace fait partie des territoires où nous aimerions revenir prochainement.

Sandrine Kauffer : Qu’attendent les membres de ces rendez-vous, et quels retours recevez-vous ?
Célia Tunc :
Ce que les membres nous disent, c’est que ces rencontres leur redonnent de l’énergie. Beaucoup de restaurateurs et de producteurs n’ont pas souvent l’occasion de sortir de leur entreprise, alors cette journée est une véritable respiration.
Mais surtout, elle favorise de vraies coopérations. Ce ne sont pas de simples échanges de cartes de visite : des collaborations concrètes naissent. Certains producteurs développent de nouveaux produits avec des restaurateurs, d’autres deviennent ambassadeurs de leurs collègues dans d’autres régions.
C’est aussi un laboratoire d’expérimentation, où l’on partage les difficultés communes et les solutions trouvées. Beaucoup réalisent qu’ils vivent les mêmes réalités, et le fait d’échanger crée une forme d’accélérateur collectif.
Cette année, nous avons organisé deux tables rondes : l’une sur la coopération comme levier économique pour les artisans et producteurs, l’autre sur la transmission intergénérationnelle, comment transmettre un savoir-faire, un savoir-être, une entreprise, dans une logique de durabilité.

La durabilité, pour nous, ne se limite pas à la planète : c’est aussi la capacité à vivre de son métier. Car si les artisans ne peuvent plus en vivre, c’est toute la gastronomie artisanale qui disparaît.
Sandrine Kauffer : Vous avez évoqué “l’intelligence artisanale”. Pouvez-vous préciser ce concept ?
Célia Tunc :
Oui, c’est le grand thème que nous avons souhaité mettre en avant cette année. Après quinze ans d’existence, nous voulons capitaliser sur ce que nous avons construit autour de cette idée : l’intelligence artisanale. Ce terme n’est pas choisi par opposition à l’intelligence artificielle. Au contraire, il s’agit de reconnaître que la technologie est un outil utile, mais qu’il existe une autre forme d’intelligence, irremplaçable : celle de l’humain, du savoir-faire et du savoir-être. Nous avons même créé un stickers “Je suis l’intelligence artisanale”, distribué à tous les participants. Chaque membre du Collège, restaurateur ou producteur, en est un maillon essentiel. Nous réfléchissons d’ailleurs à la création d’un Institut de l’intelligence artisanale, encore à l’état de discussion entre les membres. L’idée serait de constituer une “bibliothèque d’expériences” : un lieu d’échanges, non académique, où l’on apprendrait à réfléchir ensemble autour des valeurs de cette intelligence artisanale

Sandrine Kauffer : Qu’aimeriez-vous que les lecteurs retiennent du Collège Culinaire de France aujourd’hui ?
Célia Tunc :
Je suis très fière de ce collectif d’artisans-entrepreneurs. Le Collège regroupe plus de 120 métiers de la gastronomie artisanale, et leur point commun, c’est le courage d’entreprendre dans un contexte incertain. Je suis également touchée de voir de plus en plus de membres venir accompagnés de leurs équipes. Cette année, par exemple, certains restaurateurs sont venus avec leurs jeunes collaborateurs pour leur faire découvrir cet univers. Cette transmission humaine, directe, me paraît essentielle. Enfin, je rappelle que la participation à la grande rencontre annuelle est incluse dans la cotisation, sans frais supplémentaires, et que les exposants ne paient pas leur stand. Tout est financé par la contribution des membres, 30 € chacun, sans sponsor. Cette indépendance nous permet d’agir librement, selon nos valeurs, et d’accueillir de nouveaux territoires comme la Belgique sans contrainte économique extérieure.
Propos recueillis par Sandrine Kauffer













