Décembre est le point d’orgue de l’année des cavistes. Les fêtes de fin d’année sont capitales car leur chiffre d’affaires avoisine les 30 % des ventes annuelles. Mais face à une concurrence accrue, des clients de plus en plus informés, et un marché évolutif, les cavistes jouent la carte de l’expertise, devenant de véritables coachs en achats, à l’écoute des besoins, pour mieux conseiller de manière pédagogique. Démystifier l’univers du vin et rendre la dégustation plus accessible, permet aux clients de mieux apprécier et comprendre ce qu’ils dégustent.
A l’approche des fêtes de fin d’année, le caviste affine sa sélection. Elle se veut rassurante, iconique, prônant les incontournables. Pour la finaliser, il réalise une lecture attentive des ventes des mois précédents et des tendances, anticipe ses réservations pour renforcer ses stocks. Il travaille avec ses fournisseurs, pour garantir une sélection exclusive, ainsi qu’avec ses producteurs locaux, pour valoriser le terroir et l’authenticité, souvent en quantités limitées, ce qui apporte une valeur ajoutée.
« Un mois à ne pas louper »
« Le mois de décembre est vraiment le mois à ne pas louper », s’exclame Pierre Jacob, qui a ouvert l’ÉcriVins à Molsheim en 2021, et sacré Meilleur caviste de France bronze 2024. « Les années se suivent, mais ne se ressemblent pas. Novembre me donne les tendances d’achats de décembre, surtout pour les spiritueux, pour lesquels je reste prudent ». « C’est une période stressante, de grande affluence, parfois frustrante pour nos conseils », reconnait Rachel Gay, qui a décroché le Prix Spécial du Meilleur Jeune Caviste de France 2024 à La Planque Caviste à Thônes (Auvergne-Rhône-Alpes). « Mais la magie de Noel est très galvanisante, car nos clients se lâchent dans leurs achats ». C’est aussi l’opportunité pour les cavistes, d’accueillir des néo-clients, avec pour défi de les fidéliser et les faire revenir. « A Noël, nous vendons tous types de produits, surtout des coffrets cadeaux», explique Argan Lanoë, employé aux Caves du Pélican, à Lannion. « En spiritueux, ce sont les whiskies que nous vendons le plus avec 150 références. Nos bons cadeaux font succès car ils portent sur tous nos produits ; de l’épicerie fine à nos soirées dégustations mensuelles ».
Le conseil des experts
Le caviste crée une relation de confiance avec le client, avec un conseil personnalisé et une mémoire de ses préférences. Il définit avec lui son style (sec, fruité, tannique, etc.), pour affiner ses suggestions, apportant une aide précieuse pour les fêtes de fin d’année. Il suggère le vin parfait pour le plateau de fruits de mer, le foie gras, la dinde de Noel, ou la bûche, conjugué aux préférences de style et de budget du client. Du sur-mesure ! Il lui déniche des vins de petits producteurs, des cuvées limitées, et des découvertes locales ou bio, lui permettant d’élargir ses horizons et d’épater ses invités. « Notre force, c’est le conseil et notre expertise », affirme Éric Fèvre, propriétaire de Millésimes et Saveurs à Reims. « Je réalise 25% de mon chiffre annuel, en décembre, sans réduction ni animation », raison pour laquelle, il ne fait aucune promotion ni dégustation pendant les fêtes de fin d’année. « Il y a trop de monde et les clients viennent pour des conseils cadeaux et des accords mets et vins précisément », explique le Maître caviste, un titre décerné par la fédération des cavistes indépendants. Son ticket moyen augmente de 70 à 88€. Il note également que le packaging est de moins en moins important, les coffrets n’ont plus la cote et c’est déjà la fin des paniers garnis.
Pierre Jacob, ancien chef sommelier du Crocodile à Strasbourg, a remporté le titre de Meilleur jeune Sommelier de France 2015 et le trophée Duval Leroy. « Mes titres sécurisent», reconnait-il. Ils sont exposés avec la médaille de bronze du Meilleur Caviste de France 2024. « Des clients me confient avoir peur de se faire avoir chez un caviste. Je leur réponds ; oui je comprends. Moi aussi chez un garagiste. Pour les rassurer, je leur demande leur budget et je m’y tiens en toutes circonstances ». Pour le repas de Noel, Pierre Jacob associe volontiers une volaille à la crème et morilles à un chenin sur schiste de Pierre Menard, par exemple très consensuel ou alors le pinot gris sec Steinacker de chez Moritz Prado. « Avec ses notes de Chardonnay, c’est la lumière céleste qui transcende le plat », commente-t-il.
Benoit Laly caviste d’argent au concours du Meilleur Caviste de France 2024 renchérit ; « Un Meursault du Château de Meursault avec un foie gras et un Chambolle-Musigny ou un Morey-Saint-Denis avec le chapon de Bresse » seront parfaits associés sur une table de Noel. Rachel Gay projette d’ouvrir un champagne de la famille Haton à Damery ou un crémant de Savoie d’Anne Sophie Quenard. Elle conseille un joli Chignin Bergeron comme celui de Noé Quénard pour les fromages et les vins de Brice Aumont, domaine des Ardoisières pour le vin blanc sec avec les huitres et fruits de mers, Philippe Héritier pour ses Mondeuses fines et délicates sur un veau, et les blancs boisés du domaine de Chevillard pour les poissons et plats à la crème. Les Vinsobres du domaine Serre Besson en côte du Rhône, quant à eux, vont escorter les viandes rouges et confites. Rachel Gay est diplômée d’un BTS technico-commercial vins et spiritueux et d’une licence en marketing vins à Montpellier. Elle a privilégié le métier de caviste à celui de sommelier pour le temps de qualité accordé dans le conseil. « Je suis passionnée par la géographie et l’histoire. Le caviste est un lieu de rencontres privilégiées pour parler vin. La conversation se veut passionnante ». Elle a rejoint la Planque en 2022, quelques semaines après son ouverture. « J’ai apporté mon catalogue de vignerons, pour enrichir l’offre de 1500 références, réparties en 1000 vins, 400 spiritueux et 100 bières et cidres».
Chaque titre et palmarès sont mentionnés dans la presse et affichés chez Millésimes et Saveurs, attirant des nouveaux clients en toute confiance. Éric Fèvre, propriétaire-autodidacte, est un ancien compétiteur sportif (rugby, vélo). « Faire des concours est un excellent moyen de se comparer et de mettre à jour ses connaissances. Cette année, je me suis également formé au saké. J’aime dénicher par moi-même et je me rends sur les salons », mentionne le multi-finaliste du concours du Meilleur Caviste de France. Sa cave expose 1400 références, dont 200 champagnes, 700 vins et 500 spiritueux « Avec l’explosion du Rhum, j’ai recruté une personne spécialisée dans les spiritueux ».
Construire sa sélection
Les clients recherchent avant tout des produits festifs, raffinés et parfois rares pour leur repas ou cadeaux. Mais, la demande pour des vins bio, naturels et issus de l’agriculture durable est en hausse, y compris en période des fêtes. Les clients sont de plus en plus sensibles à l’impact environnemental de leur consommation. Chaque caviste fait sa sélection en fonction de sa sensibilité. « Les jeunes générations de vignerons représentent 90% de ma sélection en cave », précise Pierre Jacob. « 35% sont des vins natures avec une dose homéopathique de souffre, mais ils sont stables, et ne présentent pas de défaut. Pour les fêtes de fin d’année, je joue sur deux facettes, le rapport qualité-prix et l’appellation de confiance. Je renforce mes références dans les gammes de 15 à 40€ et les appellations qui rassurent comme les Crozes-Hermitage de David Reynaud, les Corbières, les Saint-Joseph ou encore les chablis, qui se vendent très bien. Je ne ferai pas de promotion, mais plutôt des cadeaux à mes bons clients pour les fidéliser ».
Pour tous, c’est une période de gymnastique logistique. « Chez EcriVins, j’entrepose 450 références de vins et 100 spiritueux dans 40m2 de ventes et 30m2 de stockage. Il faut aussi prendre en compte les transports et éviter les ruptures de stock, mais sans m’encombrer, tout en veillant à la trésorerie. C’est en décembre que je reçois mes allocations de la Loire, notamment les vins recherchés de chez Jérôme Bretaudeau, de Martial Angéli ou de Pierre Ménard, des domaines, dont je suis très fier d’être un représentant. Pour tout ce qui est des Spiritueux, j’attendrais la dernière minute pour contacter les agents. J’observe d’abord les ventes, mais elles ont tendance à baisser. Je garde cependant un œil attentif sur le rhum », conclut Pierre Jacob.
Les incontournables
Le champagne est de loin la meilleure vente chez les cavistes en décembre. Les vins effervescents comme le crémant d’Alsace, de Bourgogne ou de Loire, sont également très prisés et plus accessibles. Les vins rouges de prestige, comme les Bordeaux et les Bourgognes, connaissent un fort pic, tout comme les grands crus et millésimes plus anciens. Les spiritueux de qualité, en particulier les versions en édition limitée ou les single malts, sont très demandés, tout comme les grands formats magnums et jéroboams. « Cette année à Noël, je vais ouvrir un de mes vignerons de Champagne préféré, celui de Benoît Marguet avec sa cuvée Shaman blanc », se réjouit Rachel Gay. « Nos best sellers à la Planque, sont le domaine La Grave Figeac à Saint-Émilion grand cru, le domaine Anne Parent situé à Pommard, et les champagnes premiers crus de la Veuve Fourny à Vertus. Ils font partie de nos meilleures ventes en cadeaux, avec les whiskies des Alpes, et les Calvados de Christian Drouin».
Quel cadeau offrir ?
Rachel Gay refuse de conseiller par le genre féminin ou masculin, mais elle résonne en termes de palais, de personnalité et du degré d’épicurisme. « A un grand connaisseur, je recommande un grand rouge du Roc d’Anglade, un Jura de Labet, ou un Calvados millésimé de son année de naissance. A un amateur curieux, je propose un Terrasses du Larzac de chez Montcalmes, pour changer de Pic Saint Loup, ou grand chenin de Loire, Château Yvonne par exemple, pour changer de la Bourgogne, un mezcal au lieu d’une tequila. En quête d’une valeur sure, je dirige vers les classiques de Bordeaux ou de Bourgogne, une chartreuse ou un genépi. A un jeune novice : le coffret de bières ou un rouge de gamme Oscar du Domaine de la Dourbie, sont d’un excellent rapport prix/plaisir. Pour l’aventureux, le Red Art ou le Back to the Serine du domaine de Berguerolles dans les Cévennes, des cépages oubliés ou des liqueurs de fruits ou spiritueux improbables, tel que le gin au géranium Rosat de la distillerie du Salève seront une belle découverte ». Argan Lanoë rajoute ; « En général les hommes vont préférer des vins rouges de garde, un coffret découverte autour de la bière ou des spiritueux comme le rhum, les eaux de vie de fruit ou le whisky, pour lequel je l’orienterai vers la distillerie Twelve dans le Vercors, qui fait une eau de vie très pure et avec des finitions en fûts assez originales. Les femmes se verront offrir des coffrets dégustations de thé, des crèmes de whisky ou de belles bouteilles de vins de Bourgogne par exemple ».
Le caviste est fort sollicité pour les fêtes de fin d’année, réalisant l’exploit de consacrer davantage de temps aux conseils, alors que ce dernier se réduit comme une peau de chagrin. Face à des consommateurs de plus en plus exigeants et informés, les cavistes doivent non seulement séduire, mais aussi fidéliser en offrant bien plus qu’une simple bouteille : une histoire, une expérience, et une ambiance de fête. En combinant tradition et modernité, ils maximisent leurs chances de finir l’année sur une note positive, tout en solidifiant leur réputation pour l’année à venir.
Par Sandrine Kauffer
Un reportage paru dans le magazine The Crafter.
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