Julien Binz, Emmanuel Macron, et Côme de Chérisey ©BercyDHSimon

Julien Binz invité par le Gault Millau à Bercy

Le mardi 24 mai 2016 est une date historique pour les chefs de cuisine. Pour la première fois et c’est inédit des restaurateurs ont été invités par Come de Chérisey, directeur du Guide Gault Millau à venir échanger avec Emmanuel Macron, Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, au cours d’un diner servi à Bercy.

Tour de table de la situation conjoncturelle, présentation des jeunes chefs restaurateurs-entrepreneurs, bénéficiaires de la dotation Gault-Millau et conclusion portée par le ministre.

Les aspects positifs

« C’est un immense honneur que d’avoir été choisi et invité par Côme de Chérisey et Marie-Laure Jarry à Bercy », reconnaît Julien Binz qui vient d’ouvrir son restaurant éponyme à Ammerschwihr (68) en décembre 2015.
« C’est un privilège d’avoir pu diner à Bercy et d’avoir rencontré le Ministre, soucieux d’entendre ce qui freine notre investissement et notre développement. Evidemment notre profession souffre, la conjoncture n’est pas au beau fixe, mais dans l’ensemble, j’ai souligné à quel point nous étions satisfaits de notre démarrage et de la chance d’avoir pu bénéficier de la dotation Gault Millau. Contrairement à d’autres récipiendaires, elle ne fut pas décisive pour l’obtention du crédit. Nous avons rencontré un banquier réactif, compétitif, qui nous a apporté sa confiance, un taux et des conditions défiant toute concurrence . Les avantages financiers de la dotation, estimés entre 25 et 30.000€, avec parfois de la marchandise offerte et revendue, sont une aide précieuse et constitue une bouffée d’oxygène dans la trésorerie. De même la visibilité médiatique dont nous avons profité est importante. Dès l’ouverture, nous avons eu la chance que les médias régionaux se penchent sur notre berceau ; les dna,l’Alsace, l’hôtellerie-restauration, le Chefmagazine, France 3 Alsace venu faire un reportage le jour de l’ouverture, grain de sel de NicolasRieffel. Puis, le guide nous a proposé d’organiser chez nous, le GaultMillau Tour Grand Est alors que nous étions une jeune structure pas tout à fait rodée. Ils nous ont une nouvelle fois fait confiance. Ce nouveau coup de projecteur nous a fait connaitre auprès d’une clientèle tout comme ce 4ème prix remis (technique d’Excellence) et la 3ème toque.
Le Ministre a rencontré 10 restaurateurs sélectionnés par Gault Millau ©SandrineKauffer

Il y a 20 ans, j’étais “apprenti cuisinier”, aujourd’hui je suis un “apprenti-restaurateur”

Quel message transmettre à Monsieur le Ministre, telle est la question ?
Inutile de tergiverser sur la TVA ou le coût des charges de la masse salariale, la nébuleuse RSI, ce sont des questions transversales inhérentes à de nombreux secteurs d’activités. J’ai attiré son attention sur la complexité du millefeuille administratif, véritable parcours du combattant, chronophage et décourageant. Il est impératif de simplifier. Il y a 20 ans, j’étais apprenti cuisinier, aujourd’hui je suis un apprenti restaurateur.Lors de ce débat, un chef a proposé qu’il y ait des tuteurs pour nous accompagner et pourquoi ne pas multiplier le principe de la dotation ? L’envisager telle une bourse au mérite comme les étudiants bénéficient d’une bourse pour financer leur projet d’études ?

Rencontre informelle avant le diner ©SandrineKauffer

La nébuleuse adminsitrative

L’ouverture et les travaux, escortée de commissions de sécurité, de bureaux de contrôle, de dossiers en tout genre à déposer auprès des bâtiments de France ralentissent la bonne avancée du projet, parfois pour un coup de tampon. Ce temps est préjudiciable à l’économie du projet. Dans notre cas, nous pensions faire une « reprise », mais ce que nous ignorions c’est qu’après 10 mois de fermeture, l’établissement tombait sous le coup d’une création avec toutes les remises aux normes imposées avant l’ouverture.
Le choc ! De quoi se décourager avec l’obligation de réviser la distribution des dépenses, faire des choix et renoncer à des besoins, d’augmenter notre enveloppe du crédit et de retarder de 6 mois l’ouverture, manquant la pleine saison des marchés de Noel, avec un préjudice financier fragilisant d’emblée notre trésorerie. Heureusement que la municipalité d’Ammerschwihr a fait le nécessaire pour nous soutenir et accélérer dans la mesure du possible tous les documents administratifs.
Autour de la table, 10 chefs, les membres du cabinet d’Emmanuel Macron, son épouse, Marie-Laure Jarry, Côme de Chérisey et 3 journalistes ©SandrineKauffer
Pourquoi ne pas soutenir ceux qui osent investir et entreprendre ? Pourquoi est-ce plus facile à l’étranger ? Pourquoi les chefs Français sont-ils courtisés pour s’y installer avec des affaires « clé en mains » ? Pourquoi les jeunes qui sortent des écoles hôtelières préfèrent partir à l’étranger, où les salaires et les heures travaillées correspondant à leurs attentes ?

Des inégalités qui créent un sentiment d’injustice

de G à D : Maximin Hellio, Julien Binz, Aurélien Crosato, Emmanuel Macron, (?), Come de Chérisey tenant le guide Gault Millau ©SandrineKauffer

J’ai attiré son attention aussi sur l’injustice et l’inégalité concernant l’accessibilité et les normes de sécurité.

Pourquoi imposer sans autre forme de procès, dès l’ouverture, la totalité des normes (sans nous permettre de bénéficier de l’A.D.A.P. prévu sur 3 ans ou d’un étalonnage des investissements) alors que d’autres structures ont pu ou travaillent encore sans être aux normes, sans sortie de secours, sans plafond coupe-feux sécurisant les tiers, sans rampe d’accès ni toilettes handicapées ?
Qui prendra ses responsabilité le jour où un incendie se déclare dans le caveau d’un restaurant touristique sans fenêtre et sans issus de secours car le bâtiment est situé dans un quartier classé ?

 

Il ne s’agit pas de renoncer à ces investissements, mais pourquoi les imposer à une entreprise qui n’a pas encore engrangé la moindre trésorerie? Pourquoi appliquer strictement une loi et ne pas adapter au cas par cas, considérer l’humain au centre du projet et faire confiance à notre sens des responsabilités ?
Ne serait-il pas préférable de différencier les structures dans les obligations de travaux, d’ajuster l’investissement selon les bénéfices ou la taille des entreprises? Est-il judicieux de faire démolir un mur, une entrée parce qu’il manque 2 cm qui correspondent à un cahier des charges drastique, appliqué avec rigueur ? Serait-il possible de nommer un médiateur, dont la priorité serait de trouver un consensus, qui parfois sauvegarde aussi des emplois ?Est-il encore raisonnable de vouloir ouvrir en France un restaurant gastronomique considérant le coût des marchandises, le coût de la masse salariale et de la structure à entretenir ? J’aimerai tellement pouvoir répondre “oui” à tous ceux qui nous ont découragés de nous engager dans cette voie, nous conseillant d’ouvrir une brasserie pour gagner de l’argent ?
Mais l’argent peut-il être le seul moteur de notre épanouissement professionnel  ? Est-ce ainsi que je vais pouvoir rendre hommage aux cuisiniers (Philippe Gaertner, Antoine Westermann et Marc et Paul Haeberlin) qui m’ont formé à la grande cuisine classique, qu’à mon tour je souhaite pouvoir transmettre, former des apprentis et contribuer à sauvegarder une cuisine qualifiée de “patrimoine culturel” puisque le repas des Français est classé à L’UNESCO ?

Par Sandrine Kauffer
Crédit photos ©SandrineKauffer