Daniel Zenner dans le jury dégustation des produits "Alsace" avec le Gault & Millau ©Sandrine Kauffer-Binz

Joyeuses Pâques ou l’art de la publicité…

Autrefois nommé “réclames”, ce mode de communication a envahi notre quotidien. La publicité pollue nos écrans et engorge nos boites aux lettres. Elle s’insinue partout, pénétrant à notre insu, par les ondes, à la radio et à la télévision. Elle étale outrageusement des images collées sur d’immenses panneaux. Certain clignotent toute la nuit en vomissant la lumière acide et violente des néons incrédules. Les fabricants de panneaux verts-fluo pour signaler les pharmacies rivalisent d’imagination car ces lumières criardes et agressives ne peuvent échapper à un myope astigmate, hypermétrope, presbyte, daltonien, avec un bon début de cataracte.

Aucun espace ne lui échappe : les bus, les voitures, les trains, les vêtements des cyclistes et de tous vrais sportifs en général, les événements culturels, les magazines, et même le sac papier des baguettes achetées chez votre boulanger. Mais le pire est le démarchage téléphonique : on vous dérange surtout pendant les sacro-saintes heures de repas pour vous vendre une assurance ou un produit anti-acariens. Je n’ai aucune pitié pour les malheureux vendeurs. Et quand je leur hurle que le téléphone c’est pour le boulot, la famille, les amis et les urgences, et non pas pour faire de la publicité, on me répond du tac au tac que ce n’est pas de la publicité mais de l’information… J’ai vraiment l’impression qu’on nous prend pour des cons !

Quel bonheur ! j’ai enfin eu par voie postale (ça existe encore), mon catalogue annuel de la Mitrine Vagique, 148 pages d’objets totalement inutiles, de chocolats chers et industriels, de tartelettes fondantes aux groseilles, d’outils de jardin pour compliquer la tâche et d’une collection unique de figurines pour Pâques : nain moyen en polyrésine nommé “un petit berger très charmant”, lapins sauteurs souriants, cache-pot modèle agneau, serviettes papier décor poussins, guirlande oeufs de Pâques lumineux, un lapin polycarbonate XXL à lunettes, un mignon “nagneau” polyester qui fait “bêêê” et un bijou lapis-lazuli-pierre-précieuse-des-rois pour à peine 9.99€.

Côté cuisine, vous serez comblé : un moule spécial anti-éclaboussures pour cuire un poulet au micro-ondes, une protection anti-salissures pour protéger la cuisinière (mais vous serez quand même obligé de nettoyer la protection anti-salissures…), des emporte-pièces en forme de lapin pour cuire des oeufs au plat, un moule à kougelhopf en silicone en forme de rose, une “Cuillère écumoire et louche à la fois” et une “Passoire, écumoire, pince de cuisine Multi-usage” (allez comprendre…).

Pour les obsédés du rangement et les disciples de la propreté à outrance, n’hésitez pas à acheter le chiffon magique anti-rayures pour briquer votre voiture, la brosse spéciale poil de chat, la boite spéciale pour éclairs vanille, la boite plastique maline pour ranger pleins d’autres boites moins malines, la boite pliante repliable et un spray désinfectant ultra-performant-recette-unique en exclusivité. Mais le top des ventes est page 59 : “Tendance déco; herbes aromatiques”. Un plant de romarin, d’estragon ou de laurier dans un pot façon toile de jute. Pour les chrétiens il y a aussi du basilique. Vous semez la graine et vous avez une basilique. Rien que pour vous. Chez vous. C’est Saint Pierre qui va être content !


Mais quand on nous prend vraiment pour des cons, c’est le fait que tous les prix affichés se terminent par 99. En effet, les promoteurs de ce dépliant vraiment rigolo, pensent tout simplement que les acheteurs potentiels possèdent le QI d’un agneau de Pâques. Pour 9.99 € on pensera 9 € et non pas 10 €. Il paraît que cette technique fonctionne.

Ma boite aux lettres regorge encore de trésors. Les supermarchés rivalisent d’audace à coup de promotions et d’arguments tendance et dans l’air du temps. L’économie locale et les circuits courts ont le vent en poupe. Les agriculteurs sont devenus des paysans qui méritent toute notre attention. Ce satané bilan carbone devient un argument de vente comme le bio. Le naturel revient au galop. Les industriels de la malbouffe ont le nutriscore aux fesses. Ils révisent leurs formules de cordon-bleu et de nuggets. Ils ont de plus en plus la trouille d’afficher les diaboliques E sur les étiquettes. Même écrit en tout petit. Sur une bouteille de bière, j’ai remarqué dernièrement dans la liste des ingrédients du “caramel ammoniacal” qui n’est autre que le dangereux E 150 C… L’oméga 3 damne le pion aux vitamines, le comme-à-la-maison talonne la recette Grand-mère. On mange des alicaments et des nutriments, des oligo-éléments et des minéraux, des fibres et des glucides. On fait ses courses comme on va à la pharmacie. Bientôt on mangera tous sur ordonnance.

Faites gaffe ! Surveillez votre ligne ! gare aux maladies ! Mourir en bonne santé est profondément idiot.
Et attention : quand les gros maigrissent, les maigres meurent !

Sur les prospectus, les agriculteurs sont en photo à côté d’un Jésus de Lyon, d’un cassoulet indigeste, d’un fromage blanc battu (le pauvre), d’une garbure gratinée ou d’un bocal de coq au vin de Bergerac.
La pub sent bon le terroir, l’authenticité ! Après tout, c’est le consommateur qui décide. Les GMS s’adaptent. Le consommateur, par son acte d’achat, dispose d’un droit de vote. Qu’il s’en serve! Et on s’en fout de la marge de l’hypermarché !

Les catalogues “spécial viandes” ou “foire à la viande” me donnent la nausée : un étalement sur dix pages, de chairs flasques, de côtes de porc industrielles à 2.99 € le kg, de cuisses de poulet concentrationnaire à 2.99 € le kg, de bourguignon de vieille laitière à 5.40 € le kg, de jambon entier bourré d’antibiotiques à 2.10 € le kg suivi de la tête de porc sans langue à 1.70 € le kg.
Mais comment font-il ? Comment peut-on produire, puis proposer à si bas prix de telles matières premières ? Grâce aux scandales dans les abattoirs et à la mode veganne et végétarienne, la viande (de bonne ou de mauvaise qualité) est devenue abondante et bien moins chère. Merci donc aux picoreurs de graines germées.

Puis c’est la fête aux saucisses “façon” Toulouse. Bien roses, elles affichent en tout petit, la longue liste des améliorants, intrants, colorants, acidifiants, stabilisants, conservateurs, aromatisants, etc. La lecture de l’étiquette de la tourte “Recette de ma grand-mère” est évocatrice de la malbouffe. Elle est affublée d’un vocable trompeur, sauf si la mémé du traiteur avait un diplôme de chimiste !


J’ignore totalement des pages entières de produits, comme les gammes de produits ultra-transformés, surgelés (sauf les petits-pois et les épinards), sous-vide, prêt à micro-onder, en boite de conserve (sauf les petites boites de concentré de tomate), les rayons gâteaux secs, biscuits apéritifs, céréales du petit-déjeuner et viennoiseries, sucreries et soda, les légumes prêt à l’emploi, lavés au chlore et présentés sous atmosphère protectrice, les produits laitiers transformés (sauf les yaourt et fromages). C’est pourtant meilleur et moins cher de cuisiner à la maison, pour les gens qu’on aime…

Les produits dits “de luxe”, et vendus dans les enseignes bas de gamme (pardon, on dit “entrée de gamme”, c’est l’art de la communication publicitaire m’amusent beaucoup. Ces produits hauts de gamme sont habituellement travaillés par des familles de nobles. De véritables dynasties sans roi sont reconverties dans l’agro-alimentaire. Cela donne des conserves de foie gras : Comtesse du Bairry, Duc de Monfroc, Marquis de Brassac, et des maisons au nom évocateur, comme la maison Gougeât-de-la-Salsepareille. Toujours dans le Sud-Ouest, les armagnacs n’échappent pas à cette règle, comme les terrines de sanglier truffées et le jambon de Bayonne…de Bretagne, présentés sous blister par le Comte de Trouffiniac.


Daniel Zenner dans une cave d'affinage
Daniel Zenner dans une cave d’affinage
Les chocolats sont encore fabriqués par la Marquise de Savigny, les fromages par le Vicomte de la Mimolette et le saucisson sec par l’Archiduc de Montfort. Pour l’instant, seul l’andouillette, le jus d’orange, le steak haché surgelé et la margarine ont échappé à cette boulimie frénétique de la noblesse française.

Les moines voient aussi leurs produits galvaudés. La rigueur monastique est un gage de qualité et de confiance. Les noms de moines, d’abbayes, de monastères, de sœurs bénédictines, fleurissent sur les étiquettes, alors que la plupart des moines et leurs consœurs ont depuis bien longtemps fuit la solitude des grands murs en pierres froides des monastères de nos campagnes. Cela donne un camembert au lait pasteurisé baptisé “Euromoine” avec sur le dessus de la boîte, la photo d’un brave moine à le bedaine rebondie, souriant, et à la tonsure réglementaire.


Je guette aussi les catalogues spécial vins. Dans le dernier, spécial Pâques, j’ai relevé un Pays d’Oc Chardonnay “Chevalier de Fauvert” IGP. J’ai entrepris de savoir qui était ce chevalier, afin de mieux boire son vin en connaissant son histoire. Rien sur la toile. Pas un mot sur ce chevalier. Il n’existe que sur l’étiquette d’un vin vendu chez LDLI.

Pour les vins de Bordeaux et de Champagne, on se doit de les écrire en toutes occasions, en lettres majuscules, car ils sont pour la plupart produits dans des domaines avec un château bien bordelais, ou en Champagne dans des domaines sans châteaux, mais avec l’emprunt d’un nom de noble ou de veuve perverse.

Il faut vraiment que je partage avec vous, cher lecteur, les pépites trouvées dans un catalogue de vins par correspondance destiné aux comités d’entreprises. Vous allez rire.

Un vin de France rosé (3.40 €). Accords : blanquette de lapin. 2 cartons achetés, 1 carton offert. Faut aimer le lapin. C’est une des conditions. En période de Pâques, pourquoi pas?
Un vin de France rouge (3.30 €); “Le Chant des Cigales, Maison Charousset”. Accords : charcuteries. Pour accompagner et dissoudre le cholestérol. J’ai chopé un châteaux en Chablis (de Chemilly), un bourgogne passe-tout-grains “les fûts des Moines”, un autre “Fontaine d’Argent”, un santenay avec un nom à particules “Louis de Maizières”, un vin de Savoie avec un nom d’Altesse, et j’en passe. Pour les amateurs, ne pas manquer le champagne Louis de Varancy. En muscadet, il y a le Domaine de la Vieille Cure et en vin de France blanc (2.95 €), “Les vendanges du Roi”. Ne pas passer à côté d’un viognier “Pépite d’automne “, ou d’un merlot “Demeure de Peyrac”. le Domaine de Pellehaut “Harmonie de Gascogne” doit rivaliser avec un “Château Les Jandis, cuvée des Templiers” (4.30 €).

En voyant tous ces noms de châteaux, demeures, nobles, j’ai une larme de nostalgie pour nos merveilleux vins d’Alsace élaborés par une meute de manants secondés par de vils roturiers. Nous avons bien quelques domaines et clos mais pas de châteaux pinardiers. En noble, nous avons bien un Baron de” Froehn” je crois, et dans la vallée de Kaysersberg une distillerie avec un nom à particule. Mais c’est tout. J’ai une pensée compatissante pour les Pierre Schmitt et les Jean-Claude Meyer qui récoltent leur fringant sylvaner issu de leur simples vignes poussant dans une parcelle normale et fermentant dans leur modeste cave. On ne joue pas dans la même cour !
Pour les fêtards, ne pas manquer le cubi de 5 litres de Rosé (assemblage CE), aromatisé framboise, cerise, mirabelle ou pamplemousse à 11.85 €. Idéal pour une biture entre copains. Mal aux cheveux garanti au réveil.
Ben voilà ! nous sommes en fin de catalogue. Il ne reste plus qu’à régler et à payer les frais de port, en espérant que le transport arrivera en temps voulu, sans trop de casse de bouteille.


Agneau de Pâques

 

Pour les fêtes de Pâques, vous trouverez dans de vraies boutiques, l’agneau de Sisteron, du Languedoc, le gigot de 800 grammes de l’agneau des Pyrénées, les premiers chevreaux d’Alsace, le veau de l’Aveyron et les volailles de Bresse. Il y aura peut-être déjà les premières asperges et petit-pois de serre, les délicats navets et carottes primeurs.

Fêter que Diable ! un aliment de qualité ingéré avec plaisir est l’ennemi des médecins !

Joyeuses Pâques !

Par Daniel Zenenr