Avant d’être croqués, les Bredele sont déjà une véritable fête pour l’œil ! -DR

Traditions gourmandes de Noël en Alsace

La période de Noël est aussi le temps de réjouissances gourmandes tant attendues qui, cycliquement, reviennent avec les premiers frimas. Début décembre, Saint Nicolas donne le coup d’envoi. Début janvier, les Rois mages clôturent les festivités. Pendant un bon mois, les boulangers-pâtissiers sont sur la brèche, les éleveurs gaveurs d’oies et de canards ne comptent pas leurs heures ; les bouchers- charcutiers découpent, salent et fument ; les traiteurs et les restaurateurs sont surexcités comme les ménagères, du Sundgau à l’Outre-Forêt en passant par le Kochesberg. Car les spécialités culinaires dégustées en Alsace pendant les fêtes de Noël sont nombreuses. Elles reflètent la richesse de notre terroir et de notre culture gastronomique.
Recette du Mannele en pâte briochée

Le 06 décembre, la production des mannala atteint son paroxysme lors du manala owa, une soirée célébrée dans toute l’Alsace. Elle consiste à dévorer le plus grand nombre possible de ces brioches en forme de petit bonhomme en les trempant dans du chocolat chaud pour faciliter l’ingestion. Cette tradition encore bien vivace me réjouissait fort quand j’étais enfant, car j’avais l’impression de prendre le petit déjeuner au dîner. Mes parents, venant de Belfort, ne parlaient pas l’alsacien. Ils nommaient donc ces mannala des Jean-bonhommes, appellation que l’on retrouve encore en Franche Comté.

Concernant le sexe des mannala, sujet souvent abordé en Alsace, me voici ignorant. Quelques essais réalisés par des boulangers audacieux ont tenté de donner à la brioche un peu moins de brioche au niveau du ventre mais plus au niveau de la poitrine. Ces essais n’ont pas eu l’engouement voulu, car en Alsace, on ne badine pas avec les traditions. Je pense tout simplement que les mannala sont comme les anges : asexués, malgré un taux de fécondité remarquablement élevé !

L’histoire du Saint-Nicolas

Dans ma famille, le 06 décembre, à la tombée du jour, mes frères et sœurs mettions des assiettes vides sur le perron. Saint Nicolas et Hans Trapp (le Père Fouettard), annonçaient leur visite à l’aide d’une clochette. Quelques fois nous entendions les curieux braiements de son âne apparemment atteint de bronchite chronique. Nous étions terrorisés, car Hans Trapp tambourinait sur les volets roulants de la grande salle.
Nous ne les avons jamais vus et curieusement, pendant ce temps douloureux, mon père n’était jamais présent pour nous rassurer…Cancre à l’école, j’étais encore plus inquiet que mes frères et sœurs par le passage du patron des écoliers.Puis, nous sortions prudemment pour chercher les assiettes. À la lueur faiblarde et vacillante de petites bougies, les assiettes regorgeaient de mandarines, de chocolats, de pains d’anis, de sucreries enveloppées dans des papiers colorés et brillants et des fameux pains d’épices en forme de Saint Nicolas avec son effigie collée au sucre.
Traditions gourmandes de Noël en Alsace
À l’école maternelle, la gentille maîtresse m’avait raconté l’histoire des petits enfants mis au saloir par un boucher de campagne, puis sauvés et ressuscités peu après par le brave Saint Nicolas qui passait par là. Heureusement pour les petits enfants qui s’en étaient allés glâner aux champs. Quand j’accompagnais ma maman chez le boucher-charcutier du village, j’étais terrorisé. Je serrai très fort la main de ma mère, m’agrippant à sa jupe. Étions-nous sûr d’acheter du porc ? Car je connaissais bien le saloir de la famille Ambruster à Eguisheim. C’était un grand baquet en bois recouvert d’un couvercle à sa taille. Dans ce vaste récipient, les morceaux de cochon prenaient le sel et le parfum des épices. Curieusement, la période du sacrifice du cochon correspondait à peu près, à celle de la venue de Saint Nicolas. Lorsque mon père allait acheter du vin, je ne pouvais m’empêcher d’aller voir cet énorme saloir dans une pièce sombre, sous l’escalier, juste avant la grande cave qui contenait plusieurs dizaines d’immenses foudres remplis de vin d’Alsace.

Les fameux beraweka

J’ai passé mon enfance à Horbourg. Mon meilleur copain était fils d’agriculteur. En automne, les pommes, poires, mirabelles et quetsches séchaient au soleil sur de vastes planches en bois. Quelques semaines avant de déguster les beraweka, ces fruits macéraient dans du schnaps, mélangés à quelques autres, secs et confits, ainsi que des épices et du miel. De la pâte à pain de seigle était ensuite mêlée à la masse, puis celle-ci était façonnée en forme de gros boudins. Ces fameux beraweka, coupés en fines tranches et servis après les grands repas, se trouvaient sur presque toutes les tables des Alsaciens pendant les fêtes de l’Avent. Ces pains de fruits, emballés dans du papier d’argent, se bonifiaient avec le temps. Dans la vallée de Masevaux, on trouvait autrefois le bierawecka, préparé avec plus de fruits confits et de la farine blanche.
Recette du Berawecka de Christine Ferber ©Sandrine Kauffer-Binz

 

Les Pains d’épices

En automne toujours, Bernard et moi montions quelques fois dans le grenier pour goûter une pâte qui reposait depuis plusieurs mois dans une grande poterie en terre de Soufflenheim. Celle-ci était simplement recouverte d’un gros linge : c’était la base de la pâte à pain d’épices qui fermentait, matûrait doucement pendant au moins trois mois dans le silence des combles.

Le village de Gertwiller, non loin de Barr, jouissait déjà d’une bonne réputation pour ses pains d’épices dès le 14ème siècle. En 1900, neuf fabricants se partageaient un marché florissant, surtout pendant les fêtes de l’Avent. Au début du 18ème siècle, la production s’industrialisa. Il ne subsiste à ce jour que deux pains- d’épiciers à Gertwiller. Une visite s’impose au musée du Pain d’Epices et des Douceurs d’Autrefois, créé par la famille Habsiger qui réalise aussi de succulents et traditionnels pains d’épices sous la marque Lips. Mais la famille des pains d’épices est grande. Les lebkueche, leckerli ou autres sebzelter possèdent tous un secret : celui d’un mélange d’épices savamment dosé. Le leckerli de Strasbourg (Strossburjier leckerli), très aromatique et fleurant bon le vrai miel, est connu de longue date. Le chainon manquant entre le pain d’épices et le bredala est probablement le pfeffernüsse, une recette très ancienne d’un petit gâteau aux noix et au poivre.

Les pains d’épices alsaciens

L’engouement des Bredele

Les bredele ou bredala connaissent aujourd’hui un engouement qu’ils n’avaient pas autrefois. Des concours, des marchés, une multitude de livres leur sont dédiés. Les boulangers, pâtissiers ou amateurs gourmands rivalisent d’audace, pour en inventer chaque année de nouvelles variétés.

Je vous propose une petite balade dans les bredala authentiques préparés autrefois pour les fêtes de Noël. Ceux-ci étaient la plupart du temps accrochés au sapin de Noël, avant l’invention des boules et autres décorations.
Les anis-brod ou anisbraedala sont parfumés aux graines d’anis vert. Ceux, réalisés à Sainte-Marie-aux- Mines, étaient autrefois particulièrement renommés. Ils peuvent posséder un socle grâce à un séchage d’au moins une nuit, ou être préparés à l’aide d’un moule à springerle. Concernant les springerle, ou petits sauteurs, ce sont des gâteaux secs élaborés à partir de diverses recettes, dont les formes sont données par des moules à empreintes, en creux ou en relief. Leur nom vient du fait que pour les démouler, il fallait donner un coup sec sur le moule : certains springerle sautaient alors jusqu’au bout de la table… Ils sont connus dès le 16ème siècle en Alsace. Le Musée Alsacien de Strasbourg en possède une belle collection. Le brunsli, ou brun de Bâle, petit gâteau aux amandes et cacao connu dans la région de Bâle est adopté depuis fort longtemps par les Alsaciens.

 

Winachtsbredele rhum-raisins, une recette de Gérard Goetz
Les kipfer sont façonnés en forme de demi-lune, parfumés à la vanille, quelquefois saupoudrés de sucre glace, puis décorés d’un petit bout de cerise confite.
Les himmelsgestirn, de formes diverses, sont connus dans le Sundgau. Les hippe ou cornets aux amandes, sont parfumés à l’eau de rose. Toujours confectionnés aux amandes, voici les mandelbrot, en forme de losange ; les mandelkraentzchen ou mandelherze, sorte de petite meringue connue dans l’ancienne pâtisserie du côté de Mulhouse et enfin les mandelring ou annelets aux amandes, ronds et percés au milieu, dans lesquels est passé un fil pour former une guirlande, accrochée ensuite au sapin de Noël. Ces derniers sont souvent recouverts d’un glaçage coloré. Les pumpernickel sont cuits en plaques, incrustés d’amandes effilées puis détaillés en lamelles.

 

Les Hirschhöernle ou bois de cerf, sont connus dans le coin de Wickersheim. En forme de bois de cerf, ils sont glacés au jus de citron et à l’eau de vie. Les kokosbredle, déjà mentionnés à la fin du 19ème siècle, sont confectionnés à base de noix de coco râpée. Les kapezinerbrot ou pains de capucins, contiennent du miel, de la farine, du sucre, des amandes, des oeufs, des écorces de citron, de la vanille, des clous de girofle et du bicarbonate de soude. Ils sont appréciés de longue date en Alsace bossue. Les schwowebredele, ou petits gâteaux souabes, comportent d’innombrables variantes de la recette originale mais le principe reste le même : ils sont détaillés à l’emporte-pièce et contiennent beaucoup de beurre, des écorces d’orange confite, des amandes, de la farine, des oeufs et de la cannelle. Les spritzbredele sont eux compressés dans un moule à cylindre. Ils adoptent alors diverses formes suivant le modèle de la grille employée. Leur formule contient beaucoup de beurre, comme dans la recette emblématique des butterbredala. Les zimmetschnitte, ou losange à la cannelle, ainsi que les zimmetsterne, étoiles à la cannelle, signent l’engouement que cultivent les Alsaciens pour l’exotique écorce, venue de lointaines contrées depuis l’Antiquité Romaine. Les wolfzahn, ou dents de loup, sont confectionnés à partir d’une noix de pâte disposée à la cuillère, dans des moules en forme de tuile. Ils adoptent ainsi en cuisant, leur forme caractéristique. Les hawerflockebredele sont composés de flocons d’avoine et les düschessle de noisettes en poudre. Quand aux erdäpfelbredala, ils contiennent une pulpe de pomme de terre. Leur origine semble se situer dans la vallée de Munster où l’on peut encore acquérir cette spécialité sur les marchés de Noël.

Le soir de Noël

Dans ma famille, ma mère cuisait le soir de Noël le fameux cugnieu ou ramin, que l’on trempait dans le café au lait le lendemain matin. Il s’agissait d’une pâte à brioche étalée puis recouverte de fruits secs réhydratés dans du rhum, de fruits confits, de figues, de dattes, d’abricots et de raisins secs. L’ensemble était roulé en forme de demi-lune, levé puis enfourné. Cette spécialité, venue par mes parents de la région de Belfort, ne semble pas avoir été connue en Alsace, sauf dans le Pays Welsche, au dessus de Kaysersberg, où l’on a jamais parlé alsacien…En cette contrée à l’exception culturelle alsacienne bien marquée, on le nomme hogey ou hogaye. Les fruits secs sont macérés dans de l’eau de vie pendant au moins 35 jours. Une spécialité apparentée est le schnitzwecke, pain aux fruits de la vallée de Munster, qui est un compromis entre le cugnieu de ma mère et le birawecka… Quand au schnitzlaüwel dégusté après la messe de minuit dans les villages autour de Dambach la Ville, il s’agissait d’une pâte levée en forme de gros chausson, fourrée de fruits secs macérés au schnaps.

 

Stolle du nouvel an aux raisins secs©Casserole et chocolat

 

Le christolle, une brioche de Noël, accompagnait le vin chaud. Sa forme de « lange enveloppant » rappelle l’enfant Jésus emmailloté. Sa pâte à biscuit contient beaucoup de raisins secs, ainsi que du citron confit, des épices et beaucoup de beurre. On trouve en son milieu un rouleau de Marcipan (pâte d’amandes ou massepain). Il est mentionné dans une chronique de 1474. Le stollen lui, est apparenté comme le wastle ou waschle cuit dans le Sundgau et la vallée de Munster.
Le neijohrsbretschdell adoptait la forme d’un gros bretzel. Confectionné en pâte briochée, les parrains et marraines avaient coutume de l’offrir à leurs filleuls, le premier de l’An.

 

Le menu de Noël

En entrée, le jour de Noël, on pouvait déguster un beau pâté en croûte, un foie gras d’oie ou son cou farci (g’fiellter gänsehals), un mets très fin confit dans la graisse d’oie. Ma mère cuisait dans un moule en terre de Soufflenheim en forme de carpe, un pâté chaud de saumon à la pâte briochée, tel un Koulibiac, servi avec un beurre citronné. Le boudin blanc, délicatement grillé aux chairs fines de porc, volaille ou veau, enrichi quelquefois de truffes, morilles ou foie gras, nous comblaient pour le réveillon. La dinde s’invitait quelquefois pour les agapes, mais plus souvent c’était une grasse volaille de la ferme voisine, emplie d’une farce aux marrons.
La fameuse bûche de Noël, nommée baümküeche, traditionnellement parfumée au Kirsch, trônait en bonne place sur la table, le 25 décembre.

Le vin chaud

Vin chaud

 

La boisson emblématique des temps de Noël est le vin chaud. Il est aujourd’hui mondialement connu grâce à l’engouement que nourrissent les touristes pour les marchés de Noël alsaciens. Curieusement, les plus vieilles recettes que j’ai réussi à répertorier sont réalisées à base de vin rouge, ce qui me semble suspect, à l’égard de notre vignoble qui, sauf exceptions connues, est d’abord un terroir offrant une multitude de vins blancs.

La galette des rois

La galette des rois vient clôturer le cycle des fêtes de Noël le 06 janvier. Lorentz Fritsch, verrier à Strasbourg, note dans son journal en 1625 : « Le jour des trois saints rois, ils ont coutume de cuire des gâteaux des rois, et dans chacun se trouve une fève, celui qui la reçoit est considéré comme le roi… » Dès le début du 18ème siècle, les boulangers alsaciens avaient coutume d’offrir à leurs clients cette pâtisserie nommée dreykönigskuchen. Mais au milieu du 19ème siècle, ils jugèrent que leurs clients n’avaient qu’à les acheter. En 1828, les boulangers de Colmar décidèrent que les galettes des rois seraient dorénavant payantes, ce qui provoqua une véritable affaire d’état. Les boulangers strasbourgeois les imitèrent en 1829.

La galette des rois, Epiphanie
La galette des rois, Epiphanie

 

La galette des rois, habituellement dégustée aujourd’hui en Alsace, est un Pithiviers, constitué de pâte feuilletée et de crème d’amandes. Cette pâtisserie emprunte son nom de la commune où elle est née, dans le Loiret, en Beauce. Autrefois la fève était une vraie fève, mais celui qui la tirait devait payer la tournée. Les plus radins l’avalaient donc sans rien dire ! La fève fut donc progressivement remplacée par des figurines en porcelaine, moins faciles à avaler et à digérer…

Au seuil de ces belles fêtes de Noël, je vous souhaite donc à tous, de joyeux moments festifs en notre si gourmande Alsace !

Par Daniel Zenner