“Faire son lard” (2) par Daniel Zenner

Je me réjouis pour le lard, pour les lards devrais-je écrire. Car il y a le lard de poitrine et le lard blanc prélevé dans le gras du dos. Il est encore appellé bardière. Ce dernier n’est constitué que de gras ferme et bien blanc. En Italie, il est transformé en lard de Colonnata. Tous les gastronomes le connaissent et les meilleurs cuisiniers le mettent en scène.

Salés et agrémentés d’herbes aromatiques, les morceaux sont rangés dans de vastes sarcophages en marbre de Carrare. Une alchimie secrète, secondé par le temps, s’opère alors. Plus de six mois seront nécessaires pour parfaire l’œuvre succulente.

Inspiré par les gastronomes transalpins, et constatant l’importance et l’abondance du gras que mon cochon de 340 kilos a mis à ma disposition, je décide de singer la méthode italienne…

Voilà donc que je sale ces blancs et épais morceaux pendant cinq jours. Puis je recouvre chaque pièce d’un véritable tapis de romarin frais, d’origan et de sarriette. J’empile les morceaux, couenne sur gras, dans un épais pot en grès. Chaque jour, je soulève le couvercle pour renifler les suaves effluves. Ma cave voutée est parfumée. Merci Monsieur cochon. Mais en attendant de laisser fondre ce gras noble sous ma langue, il me faudra patienter encore quatre mois, le temps que les chairs brutes se réincarnent en nourriture rare et exquise.

Maintenant passons au lard de poitrine. J’aurais pu détailler des pans de taille réglementaire, mais devant la générosité de ces chairs, j’ai décidé de réaliser La pièce, comme une œuvre éphémère et gourmande, lui conférant par ses mensurations hors du commun, un potentiel de maturation exceptionnel. Jugez: 87 cm de longueur, 48 cm de largeur, 10 cm d’épaisseur. Poids après salage et fumage: 21 kilos. Et sans les cartilages s’il vous plait! Car je haïs les cartilages dans un morceaux de lard. Ils ne sont laissés que pour augmenter le poids du morceaux de lard. De toute façon, on les jette. Qui s’amuse à récupérer les chairs trop salées et trop fumées adhérentes aux os blancs et souples?

Dans mon lard, il n’y a que la couenne à retirer et encore, elle parfume un bouillon ou joue son rôle au fond d’une braisière.

Pendant huit jours, matin et soir, je caresse et masse la pièce. Un kilo de sel parfumé suffiront amplement à l’assaisonner. Puis j’installe le morceau, suspendu dans le fumoir. Cette année, il y est resté un mois. La prise de fumée dépend de la température extérieure et de l’humidité de l’air. Plus il fait froid, moins la pièce s’imprègne de la quintessence de la fumée, car je pratique de façon intégriste le fumage à froid. A la scierie du village, je cherche de la sciure de résineux, mêlée suivant les coupes et les arrivages de bois, de quelques essences feuillues. Un tas de sciure se consume généralement en une vingtaine d’heures et ne dégage pratiquement pas de calories. Dans ce fumoir que j’ai construit, pas de tirage et point d’évacuation des fumées. Celles-ci s’échappent entre l’interstice des planches.

Un peu de diététique!

Comme dans toutes les graisses animales ou végétales, les jaunes d’oeufs, les abats ou les crevettes, bref les bonnes choses riches en mauvais cholestérol, ce n’est pas l’ingestion de ces aliments qui est dangereux pour la santé mais bien leur consommation excessive et surtout ce qui enrobe, parfume, conserve ces chers aliments. Le vrai lard, dégusté parcimonieusement n’est pas dangereux pour la santé. On peut même en donner aux enfants et aux femmes enceintes. Mais fuyez les produits industriels. Non seulement ils sont fabriqués avec des mauvaises viandes stressées, mais ils contiennent des nitrites et nitrates, des polyphosphates de sodium et de potassium, des antioxydants, des épaississants, des améliorants, des gélifiants, des colorants, des galates d’octyle, des benzoates (qui entraineraient des troubles digestifs). Puis il y a toute la série des E. Mais là, il faut un décodeur. Les E 250 à 252 retiennent l’eau dans les chairs mais exposeraient à l’hypertension artérielle. Et si les Alsaciens détiennent le record de France des cancers du colon, c’est la faute aux charcuteries nitritées et autres saloperies ajoutées aux farces fines.
Depuis un mois, je tente de suivre un régime car cet hiver j’ai fait mon lard: je me sentais un peu gros lard et voulais en perdre un peu. Véritable tête de lard, je défendrais mon bout de gras jusqu’au bout. Et si quelqu’un m’exaspère, je lui rentre…dans le lard. Fini les longues siestes à se dorer la couenne au soleil, j’ai acheté un vélo avec le conseil avisé de mon lardon. Depuis un mois, j’ai perdu 120 grammes mais je garde espoir. Concernant mon régime, mes amis ne savent plus si c’est du lard ou du cochon…

“Frotter le lard ensemble”. Cet expression, un peu brute de décoffrage il est vrai, signifie faire l’amour. Rabelais (le papa de Gargantua…) l’emploie dans Pantagruel: “(…) qu’il sera heureux celui à qui vous accorderez la grâce de prendre dans ses bras cette femme, de l’embrasser et de frotter son lard contre le sien”…

Par Daniel Zenner

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