Entretien avec Maxence Baruffaldi, lauréat du Bocuse d’Or France 2025

7 jours après sa victoire au Bocuse d’or entretien avec Maxence Baruffladi, bocuse d’or France 2025, sélectionné pour le Bocuse Europe, dont le sujet sera dévoilé le 4 novembre, et celui de l’amuse-bouche le 19 décembre. D’ici là, Maxence Baruffaldi et son équipe s’installeront à Lyon pour rejoindre le refuge de la Team France et entamer un nouvel entraînement intensif, dans la continuité d’une victoire qui marque déjà le début d’une nouvelle aventure

Propos recueillis par Sandrine Kauffer

Vous venez de remporter le Bocuse d’Or France. Pouvez-vous décrire précisément la manière dont vous avez construit votre assiette et votre sujet du plateau  ?

« Le thème imposait de travailler le Saint-Pierre et les agrumes pour l’assiette, puis le Saint-Pierre et le champignon de Paris pour le plateau, avec une garniture libre et une sauce d’accompagnement. J’ai voulu utiliser le poisson dans son intégralité, en valorisant ses trois filets. Avec le filet central, j’ai réalisé des bonbons de Saint-Pierre, nappés d’une mousse légère d’agrumes. La sauce, inspirée d’une Meunière, était repensée sur une base de mayonnaise retravaillée pour perdre le gras et retrouver une texture onctueuse, vivifiée par la fraîcheur des agrumes.

assiette Maxence Baruffaldi ©Patrick Rougereau I

Pour le plateau, les dorsales de Saint-Pierre ont été lardées de thon rouge fumé et maturé comme une charcuterie. Elles étaient coiffées d’un tapis de coques, agrémenté de citron, de caviar, de criste marine, de salicorne et de fleur d’ail pour apporter du relief et de l’énergie. La première garniture, autour du champignon de Paris, reposait sur une cuisson confite à l’huile et aux herbes. Le champignon était garni d’une purée au beurre noisette, d’une duxelles et d’une gelée infusée à deux thés, l’un Assam et l’autre Pu-erh, relevée d’un condiment à la sarriette. La seconde garniture associait le poireau et la pomme de terre. J’ai imaginé un palet de pommes de terre confit dans un beurre d’algues renfermant un cœur de poireau aux algues, à la laitue de mer. La coque, en céleri-feuille, apportait de la fraîcheur. Quant à la sauce, elle reprenait les codes d’une base classique mais réinterprétée avec de la livèche, d’où sa couleur verte, et tranchée à l’huile de persil frisé pour le piquant et la profondeur. »

Plat Maxence Baruffaldi ©️Nicolas Villion @alleycat_photograph

Comment s’est construite cette réflexion autour du sujet, et avec qui avez-vous travaillé au sein de votre équipe ?

« Dans l’équipe restreinte, il y avait Olivier Nasti, Emmanuel Renaut et Édouard, naturellement. Jean-Eudes, Mauchauffée mon ancien second, était également présent. Il avait déjà fait partie de l’aventure avec Édouard et il est revenu encore plus déterminé. Autour de nous, une équipe élargie s’est formée, avec des chefs comme Julien Royer à Singapour, Jérôme Banctel à Paris, Grégoire Berger à Dubaï. Tous ont apporté leur regard et leurs conseils. Mais au bout du compte, c’est à moi qu’il revenait de trancher. J’ai écouté, pris des notes, puis choisi en conscience. Il faut savoir garder les avis qui font grandir et laisser de côté ceux qui égarent. On écoute tout le monde, mais on reste fidèle à sa trajectoire. »

Vous évoquez une cuisine qui vous ressemble. Pouvez-vous la situer à travers votre parcours, et expliquer comment vous êtes passé de la brigade à l’enseignement ?

« J’ai commencé au Petit Nice à Marseille, chez Gérald Passedat, juste après l’école. Puis je suis parti à Collonges-au-Mont-d’Or, chez Monsieur Paul. Après cette expérience, j’ai rejoint Éric Frechon à Londres pour l’ouverture du Lanesborough, que l’on surnommait alors le petit Bristol. Je suis revenu ensuite à Marseille chez Gérald Passedat avant de monter à Paris, où j’ai intégré l’équipe qui a rouvert l’Hôtel de Crillon après huit ans de travaux. C’est là que j’ai rencontré ma compagne Agnès Ilharramounho. Ensemble, nous avons quitté Paris pour la Haute-Savoie et j’ai intégré la Maison des Bois de Marc Veyrat, où j’ai été son chef exécutif pendant deux ans et demi.

Plus tard, j’ai brièvement dirigé un groupe de restaurants, une expérience formatrice mais qui ne correspondait pas à mon tempérament. C’est alors que le Campus de Groisy m’a proposé de moderniser la formation et de dynamiser la restauration interne, tout en me laissant du temps pour préparer les concours. J’ai accepté. L’objectif était de relever un double défi : transmettre et progresser. Aujourd’hui, je suis chef exécutif et formateur au Campus, responsable du pôle métier, et cette mission me permet de rester connecté à la pédagogie tout en gardant un pied dans la compétition. »

archives La team Edouard Loubet avec Maxence Baruffaldi comme coach ©Sandrine Kauffer

Avec Édouard Loubet, comment est née cette complicité, et comment êtes-vous passé du rôle de coach à celui de candidat ?

« J’ai rencontré Édouard il y a huit ans, lors d’un dîner caritatif organisé à l’Hôtel de Crillon après la tempête IRMA. Nous sommes restés en contact. Lorsqu’il a vendu sa maison dans le Luberon et qu’il est revenu à Manigod, nous nous sommes retrouvés. Il m’a proposé de le coacher pour le Bocuse d’Or. Cette expérience a été déterminante. Le roadbook du concours, c’est une trentaine de pages qu’il faut savoir décoder. Beaucoup le lisent comme un texte sacré, alors qu’il faut apprendre à y repérer les détails essentiels : les mots au singulier ou au pluriel, les nuances du règlement, les formulations qui autorisent ou interdisent.

Cette première expérience m’a donné une lecture claire du concours et m’a permis d’aborder ma propre participation avec plus de sérénité. Le soir de son résultat, je lui ai dit : “La prochaine fois, j’y vais.” Et j’ai tenu parole. Pendant deux ans, j’ai voyagé, observé, affiné ma ligne de cuisine et construit mon contenu. »

Comment se sont déroulées les phases d’entraînement et de préparation ?

« Nous avons commencé à réfléchir au sujet dès l’annonce. Entre le 21 juillet et le 21 octobre 2025. je me suis entraîné quotidiennement, du lundi au vendredi. Dix-sept simulations complètes, chronométrées, ont été réalisées, sans compter les ajustements intermédiaires. Je continuais en parallèle mes missions au Campus, mais mes soirées et mes week-ends étaient consacrés à l’entraînement. C’était un rythme intense, une discipline de sportif. J’ai aussi travaillé avec un coach mental pour apprendre à gérer l’inconnu du jour J. »

Revoir la vidéo des 7 dernières minutes avant l’envoi du plateau

Racontez-nous justement ce jour-là. Qu’a-t-on manqué depuis les gradins ?

« Ce qu’on n’a pas vu, c’est le démarrage. Nous avons pris trente-sept minutes de retard car il restait beaucoup de pesées à effectuer. Nous avons réellement commencé notre travail technique trente-sept minutes après le coup d’envoi. Mais je n’ai jamais cessé d’encourager ma commis. Je lui ai dit : “On fait la remontada.” Nous avons terminé avec vingt-six secondes d’avance. Nous savions que c’était possible, parce qu’aux six derniers entraînements, nous avions trente-cinq minutes d’avance. Il suffisait de rester concentrés.

J’ai eu la chance d’être habitué à travailler avec des commis différents à chaque entraînement au Campus, donc cette part d’inconnu ne m’effrayait pas. Ma commis mystère s’appelait Margaux. Elle s’est donnée sans compter pendant quatre heures et quart. C’est pour cela que, lorsque mon nom a été annoncé, je suis allé la chercher avant de monter sur scène. Elle faisait partie de l’équipe, même pour une journée. »

À qui avez-vous pensé à ce moment précis ?

« À mes grands-parents, et surtout à ma grand-mère. C’est elle qui m’a appris à cuisiner. Elle m’a dit plus tard au téléphone : “Tu m’as fait pleurer.” Ce sont des mots simples, mais lourds de sens. Je descends la voir à Toulon ce week-end. Cette victoire, c’est aussi la sienne. D’autant que la finale Europe se tiendra à Marseille, tout près de chez elle. Elle m’avait dit : “Paris, c’est trop loin, mais Marseille, je viendrai.” Tout est aligné. »

Parmi les chefs et les jurés présents, un message vous a-t-il particulièrement marqué ?

« Ce n’est pas un message en particulier, mais une image : celle de Gérald Passedat, debout devant notre box pendant presque toute l’épreuve, ou celle d’Emmanuel Renaut, concentré, regard attentif, figure majeure de la gastronomie française. Être observé par des chefs que j’admire, que je connais pour avoir travaillé chez eux ou à leurs côtés, c’est déjà une émotion en soi. On se sent à la fois évalué et porté.  J’ai reçu plus de six cents messages, sans compter les réseaux sociaux. Certains chefs sont des amis, mais le jour du concours, chacun garde la distance nécessaire à l’impartialité. Quand les résultats tombent, tout se relâche. C’est un moment d’humanité pure, un instant suspendu.

Et puis il y a cette part de rêve d’enfant qui ressurgit. Quand j’étais gamin, je n’avais pas de posters de chanteurs ou de footballeurs dans ma chambre. J’achetais le magazine Trois Étoiles, celui qui publiait les portraits des grands chefs et leurs plats signatures. C’étaient mes affiches à moi : celles de la haute cuisine.

Savoir enfin que Gérald Passedat, chez qui j’ai eu la chance de travailler et qui m’a tant inspiré, présidera le jury du Bocuse d’Or Europe à Marseille, ajoute une résonance particulière à cette victoire. Comme si le parcours bouclait sa boucle, de mes débuts à Marseille à cette nouvelle aventure qui s’ouvre sous le même horizon. »

Maxence Baruffaldi a travaillé deux fois chez Gérald Passédat, prochain président du Bocuse d’or Europe qui va se dérouler à Marseille

Comment s’est passée la semaine qui a suivi votre victoire, et comment s’organise la suite ?

« Le soir même du concours, nous avons dîné avec toute la Team France. Nous avions reçu un courriel quinze jours avant, indiquant que l’équipe gagnante serait invitée à un dîner officiel, en présence des anciens lauréats français du Bocuse d’Or et du cercle de la Team France. Ce repas s’est tenu chez Pascal Barbot, à l’Astrance. C’était un moment exceptionnel. Se retrouver à cette table, entouré des anciens lauréats et des membres du groupe France, c’est une expérience unique, avec des chefs qui ont tous marqué l’histoire du Bocuse d’Or. C’est un souvenir fort, à la fois simple et impressionnant.

Ensuite, la semaine s’est poursuivie à un rythme soutenu. Dès le mercredi, j’ai enchaîné les interviews, notamment avec Vincent Ferniot, et j’ai commencé à recevoir énormément de messages, d’appels, d’invitations. On passe très vite de la concentration du concours à la médiatisation, de l’ombre à la lumière, ce qui demande un peu de recul.

Maxence Baruffaldi chez Vincent Ferniot sud radio

Dès demain, nous avons une réunion de travail avec la Team France pour planifier la préparation et les entraînements au refuge de Lyon. Avec ma compagne, nous allons déménager dans les prochaines semaines pour éviter les allers-retours. Le sujet du Bocuse d’Or Europe sera dévoilé le 4 novembre, et le thème de l’amuse-bouche le 19 décembre. C’est un calendrier dense, qui demande de l’organisation et de la récupération. L’objectif est clair : être prêt, mais sans arriver fatigué. »

Qui sont les personnes sur lesquelles vous vous appuyez dans cette aventure ?

« D’abord ma compagne, Agnès. Elle est du métier, elle a travaillé en cuisine avant de passer en salle, et elle œuvre aujourd’hui chez Vacheron Constantin, dans l’espace VIP de la manufacture. Elle comprend mes contraintes et me soutient sans réserve. Ensuite Jean-Eudes, mon ancien second, qui est pour moi comme un frère. Ciara fait aussi partie du noyau proche. D’autres viendront sans doute se greffer. L’idée est de bâtir une équipe solide, soudée par des valeurs communes. »

Vous avez parlé de rugby pendant l’épreuve. Si vous deviez résumer cette victoire en une image, ce serait celle d’un match réussi ?

« Oui, je crois. Un concours, c’est comme un match de rugby. Si les avants sont bons, les arrières le sont aussi, et si le buteur est juste, le match est gagné. C’est exactement ce qui s’est passé. Le coach était au bon endroit, la commis a fait son travail, j’ai fait le mien, et tout s’est aligné. À la fin, on savait que la copie rendue correspondait à ce qu’on voulait défendre. »

Propos recueillis par Sandrine Kauffer

photos de plats ©Patrick Rougereau et ©️Nicolas Villion ©️alleycat_photograph