Julien Binz, chef du Rendez-vous de Chasse au Bristol à Colmar

“Le retour d’un bon chef” par Gilles Pudlowski

Dans notre revue de presse, un article de Gilles Pudlowski paru dans les Dna du jour sur le Rendez-vous de Chasse à Colmar.

” On croyait l’avoir perdu de vue, sauf sur la toile. Julien Binz était plus connu pour son “blog ” que pour ses talents culinaires”, introduit Gilles Pudlowski dans son article.

A droite Julien Binz photographiant Dominique Loiseau, Cathy Klein et Yolande Haag, Mariannes 2010
Ce cuisinier de talent formé chez Gaertner aux Armes de France et chez Haeberlin à l’Auberge de l’Ill, fut chef à l’Auberge d’Artzenheim, puis au Château d’Isenbourg à Rouffach, avant de se retrouver sur une voie de garage au château de Scharrachbergheim, près de Strasbourg : un projet inabouti avec des promoteurs qui laissaient leur ” rénovation ” en l’état.
Julien en avait profité pour tisser sa toile, racontant l’Alsace gourmande sur son ” journal ” sur Internet, riche de belles images, ouvert à tous les événements en cours.
Le revoilà donc en chef aguerri. Il s’est glissé en catimini aux fourneaux du Rendez-Vous de Chasse colmarien. Cette table étoilée, tenue avec sérieux face à la gare de Colmar, est le fleuron gourmand du Grand Hôtel Bristol, connut dans le passé maints chefs de qualité. Je songe, sans réfléchir, à Roger Muller, Jean-Luc Martin, Michel Burrus, Serge Burckel, et dernièremenMichaëla Peters

Cette demeure de tradition gérée par Richard Rhiem avec brio a fait en tout cas partiellement peau neuve. Elle a gardé, certes, sa façade ancienne, ajoutant des chambres contemporaines au look sobre et moderne, avec l’air conditionné et un mobilier high tech, s’adjoignant un spa relax au 5e étage, avec sa vue grand angle sur la gare néo-gothique, raillée jadis par Hansi, mais qui fait figure aujourd’hui de beau monument Jugendstil classé (elle est la réplique exacte de celle de Gdansk, ex-Dantzig, créée à la même époque en 1905/1906).

Revoilà donc Julien Binz, qui prouve que s’arrêter de cuisiner un an pour observer ses confrères ne lui a pas fait perdre la main. Il joue au contraire une partition sérieuse, sophistiquée et aguerrie, misant sur le côté moderne avec un brin de régionalisme et pariant sur le ” tout tendance ” mais sans perdre de vue non plus la clientèle locale qui se méfie de la dernière idée en vogue.


Le chef entouré d’une partie de sa brigade dans les cuisines du rendez-vous de Chasse
Sa première carte (son arrivée ne date que de deux mois) donne dans le plat de saison, fait des clins d’œil à la région), s’enhardit dans les mariages de saveurs osés, mais pas trop. Bref, il crée, mais en retombant sur ses pattes.

Témoins, les variations sur le foie gras (d’oie ou de canard avec un chutney de gingembre ou de rhubarbe, en émulsion), la déclinaison des escargots du Val d’Orbey (en coque de pain, bouillon persillé, tombée de tomates et fenouil confit), sans omettre les langoustines qui font un beau chapitre marin, rôties, avec un tartare de légumes, une salade d’herbe, une vinaigrette d’orange et cardamome.

On l’a compris, rien de ce que fait Julien Binz n’est vraiment simple. Mais rien n’est absurde, ni trop sophistiqué.
Le bar au fenouil cuit et cru, escalopé sur sa peau, avec son croûton frotté au jus de bouillabaisse est d’ailleurs une réussite sur un mode frais, léger, sapide, digeste. Comme la pluma (ce morceau extra fin du cochon ibérique taillé en filets juteux) légèrement laquée au miel avec sa semoule à l’orientale son jus d’épices à la marocaine. Je suis plus circonspect sur l’intérêt d’envelopper les côtelettes d’agneau en habit d’algues Nori (” ça donne un goût de terre” dit le chef mais on peut aussi penser que ça enlève une part de son goût à la viande). En revanche, on appréciera l’accompagnement de pain perdu avec tomates farcies et un jus corsé. In fine, la jolie et fraîche déclinaison de cerises (mousse, glace, tartelette) fait plaisir à tous sur un mode digeste et léger.

Et les vins choisis par Jean-Marie Dirwimmer, qui surgit, tel un diable hors de sa boîte, avec ses crus de roi (muscat de Deiss à Bergheim, pinot gris de Josmeyer à Wintzenheim, riesling du clos St Théobald de Schoffit sur le Rangen de Thann ou beaune signé Jadot) sont de l’or liquide.

Voilà donc, avec une jeune équipe plein d’entrain, dans un cadre cossu qui a su épouser son temps, une demeure étoilée en forme.
A suivre de près en sachant que le Rendez-Vous de Chasse est à un tournant de son histoire “.

Par Gilles Pudlowski

Un article publié dans les Dna du 24/07/2010