“Le Moyen-âge ou l’époque médiévale côté cuisine”

Avant de parler cuisine, il nous faut retourner, juste l’espace de quelques lignes, à l’école… La période appelée moyen-âge s’étend de 476 (chute de l’Empire Romain d’Occident) à 1492 (découverte de l’Amérique par Christophe Colomb). Les historiens s’entendent à peu près sur ces dates bien que nous pourrions prendre comme date butoir dans le cadre de notre chronique, l’arrivée de Catherine de Médicis en France en 1533 avec ses cuisiniers Italiens. Invasions jusqu’au XI (barbares et musulmans), Importants conflits du XI au XIII : entres autres avec l’Angleterre. Croisades, Crises aux XIV et XV : guerre de trente ans, nombreuses épidémies et famines. Je ramasse les copies…

La cuisine médiévale de “France” est héritée de la cuisine Romaine : elle n’a guère évoluée pendant mille ans.

Les chroniqueurs de l’époque s’intéressaient à la vie des gens aisés, clergé et nobles, dont ils faisaient, eux-mêmes, partie. L’existence souvent misérable du peuple artisan et paysan ne valait pas la peine de sortir la plume pour consigner leur vie quotidienne.

Ce que nous savons des habitudes alimentaires du peuple se réduit à quelques écrits car entre famines et guerres, hivers rigoureux et étés secs, les riches se servaient en premier !
Le bon peuple lui, se nourrissait de ce qu’on lui permettait de prélever dans la nature et de ce qu’il cultivait au rythme des saisons. Il ne pouvait par exemple pas cueillir les cèpes, réservés aux nobles. La terre était leur principale source de richesse.

Durant le Moyen-Age, les récits de banquets, de noces, ou d’événements ne manquent pas. Ils sont souvent décrits par les moines rarement mal nourris. Dans cette chronique, nous commenterons donc la vie des nobles et du clergé.

Le moyen-âge fait la part belle aux épices et à la viande.
L’ordre des services n’était pas celui que nous avons aujourd’hui adopté en Europe. Le salé était mélangé au sucré, les légumes aux fruits, le poisson avec la viande. Un peu comme les repas que prennent au quotidien les Chinois.Pour les cuissons, seul l’âtre existait : le chaudron était suspendu à la crémaillère et les rôts (rôtis) mis au tournebroche devant le foyer. La cuisinière à bois n’est apparue que bien plus tard ainsi que le barbecul (sous François 1er). Les cuissons au four étaient rarissimes.Gaufres, beignets, tartes, fouaces, crêpes et galettes étaient appréciées et fort goutées. Les pâtés étaient en vogue. Ils étaient cuits dans le four à pain du « pasticier » ou dans les fours banaux. La plupart du temps les chairs étaient hachées, car cela permettait aux personnes âgées dépourvues de dents de pouvoir les déguster facilement.

Les poissons d’eau douce étaient appréciés et abondants. Les volailles se monnayaient chères. L’on consommait le cygne, le paon, l’outarde, le héron, et tous les autres oiseaux.

Le pain occupait une place prépondérante

Sur les croutes de ceux-ci, on pouvait trouver de l’anis ou de la marjolaine. La farine blanche, rare, était une denrée réservée aux riches. Pour lier les sauces, on employait du pain grillé broyé. Le vin était abondamment bu. La bière, héritage gaulois, s’appelait encore cervoise. Elle était aromatisée avec différentes herbes sauvages, dont le lierre terrestre.

Le rituel de table était assez sommaire : dans les familles, au moment de manger, une planche en bois était posée sur des tréteaux. Elle était recouverte de draps blancs puis débarrassée sitôt le repas fini. La salle à manger est apparue tardivement et seuls les riches en possédaient une.
Avant de passer à table, on se lavait soigneusement les mains car on mangeait à l’aide de trois doigts. La fourchette (à deux dents) ne fait son apparition qu’à la fin du Moyen-Age. On prenait trois repas par jour, dont le dernier : le souper.

Les repas d’apparat

Les tables sont généralement disposées en U : la table d’honneur (haut bout) constituait la place forte.

Deux autres tables jouxtaient celui-ci. Quelquefois, un côté était laissé libre. Il permettait de poser les plats et grosses pièces d’apparat. La place laissée libre au milieu était consacrée au spectacle. La partie centrale des tables était réservée aux nobles. Garnie surtout de pièces d’orfèvreries, de salières, de boites à épices ou d’objet décoratifs en argent, elle était l’objet de toutes les attentions. La mode était aux animaux vivants (colombes, pigeons) qui sortaient des pâtés…
Le couteau personnel est utilisé ainsi que quelques cuillères que l’on se passait. Dix à quinze mets sont posés sur les tables, puis servis. On n’est pas obligé de goûter à tout. Désolé, maintenant, il faut revenir sur les bancs de l’école…

Le Moyen-âge se distingue en trois périodes :
Dynastie des Mérovingiens, dynastie des Carlovingiens, dynastie des Capétiens.

Dynastie des Mérovingiens

D’énormes goinfreries sont relatées. Voici l’héritage direct de la cuisine Romaine.

Les pauvres se nourrissent de Pultis : une bouillie d’orge souvent mêlée de ce que l’on trouvait.

Le peuple ne mange que très rarement de la viande car l’élevage des animaux domestiques est peu développé. Par contre, les gibiers (entendez tout ce qui est sauvage) est consommé toute l’année.

soupe à l’ortie et aux amandes

Le mot souppe (avec deux P) est écrit pour la première fois sous Clovis, par l’évêque historien Grégoire de Tours. Le mets en question est dégusté à la table de Childéric : C’est une tranche de pain déposé sur une planche en bois, à même la table, ou plus tard sur une écuelle en bois. Le pain est recouvert d’une soupe épaisse, ordinairement de pois et de viande. Les “tosts” sont des tranches de pain déposées au fond d’une large coupe de vin. Chacun boit et le dernier mange le pain.Sans chichi, les repas sont pris dans une grande salle aux murs peints à la chaux.

Les fruits sont généralement servis en début de repas. Les agrumes, produit en abondance dans le sud et facilement transportables, se trouvent sur toutes les tables en vogue. Les légumes sont nappés de miel.

La moutarde est connue : c’est le “moût ardent”. Il est composé de farine de graines de moutarde et de moût de raisin. Les viandes sont assorties de sauces grasses largement épicées et souvent aigres douces. Les épices servent à cacher les odeurs souvent fortes des viandes mal conservées. Elles ont aussi un rôle aseptique et font l’objet d’un commerce lucratif. Les poissons d’eau douce sont consommés abondamment. Le sucre est connu mais très rare. Le miel est employé à toutes les sauces…Le sel est recherché. Il constitue la denrée de base pour conserver les produits en hiver (choucroute, petit salé, etc.)

La gabelle ou impôt sur le sel n’est apparu qu’en 1342. La domestication du porc est en progression et l’urus ou taureau sauvage tend à disparaitre. Sous cette dynastie, la cuisine au beurre fait une timide apparition.

L’héritage arabe

La fin de la dynastie des Mérovingiens laissera un héritage des us et coutumes des arabes car ceux-ci arrivèrent jusqu’à Poitiers ou Charles Martel les chassa (732). Ces derniers restèrent néanmoins dans le Quercy.
Ils apportèrent la pistache, le sucre de canne, le safran, les tripes de mouton. En Auvergne, le couchi-couchq est l’ancêtre probable du couscous. La semoule de blé n’a été rajoutée que bien plus tard.

Le safran est amené par les arabes

Les arabes initièrent les moines à l’art de la distillation

De retour des croisades, les chevaliers ont répandu les fruits du Moyen Orient.
On pouvait trouver en France différentes épices : cannelle, girofle, cumin, piment doré, gingembre, réglisse et muscade (macis et noix). Le poivre employé est la variété longum (poivre long).

Les pois, fèves, bettes, carottes, panais, choux raves et lentilles ainsi que poireaux, oignons et ail sont abondamment consommés comme le cèleri, le persil, la livèche, l’aneth, le fenouil, la sarriette, la tanaisie, la nepeta, les mauves, la rue et l’oseille.

Le garum est mis à toutes les sauces. Il est l’équivalent du nuoc mam. Il est réalisé à base de poissons, ordinairement des anchois mis en saumure. Le verjus acidifie les sauces. IL s’agit du jus de raisins verts souvent mêlé d’herbes et d’épices. Le vinaigre est largement utilisé. De nombreuses recettes mentionnent l’eau de rose.

Dynastie des Carlovingiens

Grâce à Charlemagne (800), le peuple commence à avoir l’accès à une meilleure alimentation car cet empereur veille à prévenir les famines en régulant le cours du blé et en organisant son stockage. Il instaure même un impôt de solidarité.

Un document précieux, le plan de l’abbaye de Saint Gall (vers 820, Suisse) nous éclaire sur les plantes disponibles grâce à l’herbularius, l’hortus et le Pomarium. L’Hortulus de Walahfrid Strabo, abbé de Reichenau (843-849) complète ces précieuses sources.

Le souper est le repas principal de notre bon Charlemagne. Il est bien codifié car le monarque mange sur un siège haut, servi par des ducs, chefs ou roi de petites nations. Troubadours, conteurs et jongleurs rivalisent d’adresses au son des fifres et hautbois. Charlemagne nous a laissés un document essentiel consignant les bonnes habitudes à prendre en son royaume : Le capitulaire de Villis.

Charlemagne

“Il faut veiller avec beaucoup de soins à ce que le lard, les viandes séchées ou salées, le vinaigre, la piquette, le vin cuit, la moutarde, le fromage, le beurre, le moût, le cidre, soient bien faits et préparés avec la plus extrême propreté ”
Des fleurs (lys et roses) décorent les tables. Pèle mêle, on trouve à cette époque beaucoup de viandes de porc : lards, viandes fumées, séchées ou salées. Divers vinaigres et verjus. Le garum tend à disparaitre et la moutarde est en vogue.Le fromage est apprécié ainsi que le beurre. Le vin est consommé à tous les repas. Les vergers sont entretenus : le cidre et la poirée font leur apparition. Les châtaignes, amandes, pêches, coings, mûres, nèfles, figues, cerises, prunes, sorbes et noyers font partie des menus et emplissent les celliers.Les jardins se développent, d’autres plantes arrivent : concombres, melons, citrouilles, pois chiches d’Italie, chicorée, laitues, betteraves, choux, radis, artichauts d’Espagne, haricots…

Les herbes jouissent d’une solide réputation : sauge, romarin, anis vert, menthe, pavot, cerfeuil, mauve, laurier sauce, rose, aurone et fenugrec sont employés à toutes les sauces…

Enfin la dynastie des Capétiens (987 à 1789)

Quelques rois ripailleurs ont laissés leurs empreintes : Hugues Capet, Philippe Auguste, Philippe le Bel, Louis IX (Saint Louis), Charles le Bel…

C’est une époque de grandes mangeailles et de belles beuveries. Les repas (toujours des nobles) sont codifiés, obéissent à un rituel de plus en plus compliqué. Devant les convives, des tailloirs sont disposés. Ce sont des plaques en bois, plus tard en métal, habituellement rondes et garnies de pain tranchoir. Les ragouts et diverses soupes sont versés dessus. Les restes sont généralement distribués aux pauvres.

Le service, tel qu’on le pratique aujourd’hui n’est pas encore connu. Les plats sont amenés en même temps. Il n’y a pas d’entrées, plats de résistance et desserts, car les saveurs et produits sont mélangés, un peu à la manière dont les Asiatiques prennent leurs repas. Des écuelles sont placées devant les invités : elles sont cylindriques, aplaties, non munies d’anses. Elles servent à contenir les aliments liquides comme le vin. Des documents essentiels comme ceux laissés par Hildegarde de Bingen (1098-1179) décrivent 220 plantes, en indiquant le parti qu’on peut en tirer pour se nourrir ou se soigner. Durant cette période il semble que le peuple (les vilains !) jouit d’une meilleure alimentation. Le droit de chasse est règlementé au XIII siècle et le braconnage sévèrement réprimé.

En Alsace, les plantes sont présentes dans plusieurs ouvrages ou œuvres

Le Codex Guta Sintram (1154) : C’est un manuscrit enluminé dont une copie subsiste au grand séminaire de Strasbourg. Guta est l’auteur, chanoinesse à Schwartzenthann dont il ne reste que quelques ruines sur la commune de Wintzfelden. Sintram, l’enlumineur est chanoine à Marbach. Le gingembre y tient une place prépondérante comme la pimprenelle, la bétoine, l’absinthe, le sureau. Les raves salées sont connues ainsi que poireaux cuits et laitues vinaigrées.

L’Hortus Deliciarum de l’abbesse Herrade (1190) : Il est écrit au Mont Saint Odile. Une bonne place y est faite au vin. Les plantes qui soignent et qui nourrissent sont maintenant connues et bien plantées. Les tapisseries de saint Adelphe de Neuwiller-les-Saverne (vers 1505) : Sur 20 mètres linéaires d’une tapisserie tissée, entre différentes plantes toxiques et/ou médicinales, on peut identifier : des violettes, pissenlits, fraisiers, framboisiers, pommiers et châtaigniers.

Peu de bouleversement interviennent à cette époque, dans la disponibilité des denrées. L’accélération des échanges entre l’Asie et l’Afrique ne change pas grand chose : les épices venaient déjà en occident du temps des Romains. Hildegarde de Bingen cite cependant pour la première fois l’épeautre.Quelques aliments courants aujourd’hui, mais à proscrire dans les recettes du Moyen-âge :

Pommes de terre, tomates, maïs, aubergines, poivrons doux, café, chocolat, vanille… Ces denrées ont été ramenées par les conquistadors à la fin du XIV siècle.

Les racines désignent les légumes qui poussent en terre. Les pauvres mangeaient ce qui poussait dans la terre (plus près de l’enfer et donc des antres de Satan…) et les nobles ce qui poussaient sur terre (plus près du ciel et donc de Dieu…)

La cuisine médiévale revient à la mode. Amis cuisiniers, soyez crédibles !

Par Daniel Zenner