L’auberge Saint-Laurent, de Père en Fils

Le restaurant l’Auberge Saint-Laurent, tenu magistralement par la famille Arbeit depuis 1982, est situé à Sierentz, entre Mulhouse et Bâle. L’établissement semble être d’ailleurs le principal atout de cette petite ville du Sundgau, bordée par la forêt de la Hardt et par le Grand Canal.

Par une belle journée d’été, nous arrivons discrètement pour observer ce qui se passe en cuisine. Nous surprenons le Chef Laurent travaillant les champignons au soleil, puis enfourcher allègrement sa moto pour cueillir quelques plantes et herbes aromatiques dans le jardin familial.

L’ambiance est détendue, la mise en place décontractée.

Mais, ne vous fiez pas à cette apparente insouciance. Dans la famille Arbeit, comme son patronyme l’indique, le travail est rigoureux. La famille est belle et bien déterminée à faire progresser la maison, étoilée au guide Michelin en 2000.

La figure de proue : Marco Arbeit

Ce personnage haut en couleur est intarissable sur l’histoire de la demeure familiale, passionnante au demeurant. Il nous a fait le plaisir de se mettre à table en livrant les moments forts de son parcours.

Marco Arbeit a grandi dans l’univers de la restauration, entouré de parents aubergistes et d’un grand frère cuisinier. En 1956, ses parents achètent le restaurant “la Couronne”, qui sera plus tard rebaptisé l’auberge Saint-Laurent, ” parce que c’est le prénom de mon papa et le saint patron des rôtisseurs”.

Située à l’époque sur l’ancienne route de Bâle (la route 66) qui passait devant le restaurant, l’affaire est un succès.

En 1972, ses parents cèdent le fond de commerce aux enfants et demandent à Marco d’en prendre la gérance. ” Nous étions 5 associés et ma mère voulait que je sois le gérant. Comme je n’avais que 20 ans et que la majorité était à 21 ans, j’ai du me faire émanciper pour prendre ces responsabilités.”

En 1977, le restaurant est victime d’un important incendie et les mois de reconstruction paraissent interminables pour le bouillonnant Marco. ” Je ne pouvais jamais m’arrêter, j’ai donc loué le moulin de Waltenheim (68) qui se situe à 3-4 km” .

A 25 ans, il cède ses parts du restaurant et conserve uniquement l’exploitation du bar qu’il avait créé, pour prendre en location la piscine de Saint-Louis. Mais, le 21 juin 1977, il est victime d’un grave accident de voiture, qui le plonge dans un coma profond pendant 15 jours, avec de multiples fractures au crâne et des lésions au poumon. Diagnostiqué “mort cliniquement “, il se réveille avec 47 kg.

Marco Arbei était au fourneaux jusqu’en 2009

Marco Arbeit ponctue régulièrement son histoire d’un ” mais peu importe”, pour dédramatiser. “En quittant l’hôpital, la première chose que j’ai faite, c’est d’aller voir comment ça se passait à la piscine.. ”

Boulimique de travail, Marco devient commercial chez Aubach au moment ” des cuisines à vapeur sèche”. “J’étais le meilleur en France, je faisais une démonstration et hop c’était vendu”.

Mais, en 1981, l’inépuisable Marco repère également un bistrot plutôt insalubre à proximité de Mulhouse, qu’il décide de rénover. “J’ouvrais le matin à 7h, et je faisais tout : les courses, la mise en place, le service, le ménage et la vaisselle dans l’évier du bar après le départ des clients parce que je n’avais pas de point d’eau en cuisine !” . Anne, son épouse, venait l’aider pendant les services, en quittant son travail. Un rythme fou 7 jours sur 7 aura raison de sa santé et Marco est victime d’un malaise cardiaque.” Mais peu importe ” nous répète-t-il systématiquement

Anne et Marco Arbeit ont repris l’Auberge Saint-Laurent en 1982

En 1982, Anne et Marco Arbeit rachètent à la famille le fond de commerce de l’auberge Saint-Laurent. De travaux de rénovation en innovations, le couple s’active sur tous les fronts.

Si Marco Arbeit entre dans les associations telles Maitre Cuisinier de France, les étoiles d’Alsace, ou le club Prosper Montagné, Anne Arbeit, son épouse, est Maitre Sommelière de France.

Véritable autodidacte, elle dirige la salle avec élégance, douceur et professionnalisme. Membre de l’association des Sommeliers d’Alsace (ASA), Anne Arbeit souhaite s’engager dans la valorisation et la promotion des métiers de la salle.

En 2000, une étoile Michelin récompense leur travail et en 2003, Marie, leur fille, diplômée d’un BTS et d’une Mention Réception, prend en responsabilité l’Hôtel.

En 2009, c’est Laurent, qui réintègre les cuisines et de nouvelles chambres sont créées “pour Marie ”

Avec Marie et Laurent Arbeit, la relève est assurée

Laurent Arbeit, sourire aux lèvres, raconte son parcours dans les plus belles maisons étoilées. Il effectue son apprentissage chez Paul Haeberlin à l’Auberge de l’Ill pendant quatre années jusqu’à l’obtention de son bac professionnel ”  je me rappelle mes débuts au poste de la volaille avec un certain Julien Binz… pas toujours évident.. “..

En 2003, après avoir remporté brillamment la médaille d’or nationale aux Olympiades des métiers, il rejoint la brigade de Pierre Carrier, Restaurant Albert 1er, 2 macarons Michelin, à Chamonix, avant de rejoindre en 2005 l’écurie d’Alain Ducasse à Monaco avec Franck Cerruti.

J’ai un autre regard, plus admiratif, sur le travail de mon père…. déclare le jeune chef

Le jeune chef nous raconte : ” C’est lorsque je suis devenu premier commis au Louis XV que j’ai pu travailler des produits de la mer exceptionnels, avec des pêcheurs nous livrant directement des bars, des chapons ou des rascasses vivantes. C’est devenu un objectif de mettre une structure en place et de se donner les moyens de travailler de beaux produits, même si on ne peut pas comparer une auberge familiale avec le Louis XV” assure-t-il avec objectivité.

En 2009, Laurent quitte les grandes brigades, ” où tout est démesuré, voire déshumanisé” pour réintégrer l’auberge familiale. ” Il a fallu très vite réapprendre à travailler en petite brigade et tenir compte des contraintes économiques et de la rentabilité d’une entreprise à gérer. Et là, j’ai ouvert les yeux”.

Régis Bel, second de cuisine à l’Auberge Saint-Laurent assure la continuité

Marquant un temps de silence : “J’ai pris conscience de la difficulté d’être restaurateur en plus d’être cuisinier. J’ai un autre regard, plus admiratif, sur le travail de mon père. Je suis impressionné, même” nous confie-t-il. ” Il y a tellement de responsabilités, en plus des services, d’une étoile à maintenir, des travaux à entreprendre et d’une maison qu’on souhaite faire évoluer”.

Laurent Arbeit a semble-t-il pris le temps de la réflexion et de l’analyse. Son parcours professionnel a été marqué par la rencontre avec de grands chefs comme Franck Cerruti, Marc et Paul Haeberlin, mais aujourd’hui, il est tout autant en admiration envers son père et son travail accompli.

Plaza Culinaria 2009, Marco accompagne Laurent, en démonstration culinaire

Aujourd’hui, il prend la succession de la cuisine, secondé par Régis Bel qui travaille depuis 20 ans avec son père Marco. Et comme il le dit souvent : ” on est parti pour faire 20 ans ensemble. Régis, c’est la continuité, le lien entre deux générations de cuisiniers, entre le père et le fils.”

Laurent est aujourd’hui le chef de cuisine de l’auberge Saint-laurent.

Son père nous confie : “Maintenant il doit apprendre à naviguer, parce que c’est un gros bateau que je lui ai confié.”

Julien Binz

www.auberge-saintlaurent.fr