“La grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf”

Enfant, cette fable de Jean de La Fontaine m’impressionnait. Une modeste grenouille, par vanité, enflait, gonflait, jusqu’à en crever. L’actualité, en cette fin du mois de février, est une sorte de fable. Le viande de bœuf est remplacée frauduleusement par de la viande de cheval et une brave dame vient de trouver samedi dernier, dans un “restaurant”, une grenouille morte dans sa salade. Qui va l’emporter dans la grande course médiatique de cette fin d’hiver, la grenouille ou le bœuf?

Oui, vous avez bien lu: une grenouille dans la salade. Voici les faits.

Une dame, son mari et sa fille déjeunent samedi dernier dans un Buffalo Grill de Lomme dans le Nord de la France, vous savez ces espèces de restaurants installés en périphérie des villes et dans les zones commerciales avec le bison en plastique devant et une aire de jeux pour les mômes. La dame commande une salade “Big Mountain” Déjà, rien qu’à cause du nom, j’aurais pas commandé ça. Normalement, dans cette spécialité typique -je n’en doute pas- du pays de Buffalo Bill, il y a du poulet (de batterie) et du bacon (de charcuterie industrielle).

Pour votre culture, je le rappelle, Buffalo Bill fût un des pionniers de la conquête de l’Ouest américain et grand massacreur de bisons sauvages. Maintenant vous savez pourquoi il y a un bison en plastique devant. La dame, donc se décide pour cette salade. Bien mal lui en prit car après avoir mastiqué les premières feuilles de salade, qu’elle ne fût pas sa joie de découvrir une grenouille morte, entière, d’une longueur appréciable de 10 centimètres. Son mari raconte: “c’est étonnant que personne ne l’ait vue, car c’était une grenouille plutôt imposante. Ma femme a crié. Elle a eu de mal à manger jusqu’au lendemain” On s’en douterait presque. Je sais qu’il est souvent difficile d’avaler une couleuvre, mais une grenouille, ça alors !

La fille de ce couple prend de suite une photo de l’intruse, invitée dans l’assiette aux dépends du mangeur. Des serveurs arrivent pour constater l’étrange affaire et proposent à la dame d’offrir, comme dédommagement pour ce petit incident, des bons gratuits pour un cocktail déduit de la prochaine addition! Sans crier au scandale, cette brave famille envoie un mail à la direction dans la rubrique “clients mécontents” Pas de réponse. C’est alors que l’histoire commence à faire son petit bonhomme de chemin dans les médias et les réseaux sociaux. La direction, ce mardi, soit trois jours après la mésaventure “présente ses sincères regrets” C’est le minimum que l’on puisse faire.
Dommage pour cette chaine de bouffe industrielle, dans laquelle tout est étudié, marketingué, pesé, rationné, de n’avoir pas réagi plus tôt. Les serveurs briffés, intéressés, n’ont apparemment pas sû faire face à la grenouille. Ce cas ne faisait pas partie du protocole à mettre en œuvre devant un client mécontent. Devant cette situation, si j’avais été le directeur de ce restaurant, j’aurais offert à cette famille un mois gratuit de repas. L’affaire aurait alors été étouffée et 30 repas offerts auraient coûté nettement moins chers à la firme que le scandale maintenant révélé au grand jour. Offrir l’apéro sur le prochain repas payé, voilà qui ne donne pas à notre grenouille une valeur marchande honnête et ne dédommage en tout cas pas l’aventurière de la fourchette du préjudice subi. C’est même plutôt insultant.

Imaginez un seul instant que l’histoire me soit arrivée, car j’ai testé il y a quelques années un Buffalo Grill pour pouvoir en parler. Mais je vous raconte après. J’aurais fait un scandale, quelque chose de grand, de magnifique, d’apocalyptique! José Bové qui détruit un Mac Do ça aurait été de la gnognotte à côté!

Quelques personnes mal intentionnées ont émis l’hypothèse que ce couple avait intentionnellement placé eux-même le batracien dans la salade. On connait le cas d’un client qui, pour se faire rembourser le prix de son repas, avait toujours dans sa poche une petite boite avec des vers de terre. Ce malin en déposait un dans la salade, puis criait au scandale et mangeait aux dépends du restaurateur.

Mais dans cette histoire de grenouille, la chose est un plus complexe car cette espèce de batracien appartient à la famille de celles normalement affublées du nom de “verte”. Comme la salade d’ailleurs. Ce gluant animal semble être une espèce quasi-endémique du Sud de la France, alors que les faits se déroulent au Pays des Ch’tis. Des experts en grenouille témoignent: ” Celle-ci a été observée une seule fois entre Douai et Valenciennes, il y a plusieurs années…” De plus, nous sommes fin février, les températures sont négatives et les batraciens hivernent. On pourrait -à la rigueur- et en cherchant la petite bête (la grenouille) accuser ces gens d’avoir rapporté le batracien lors de leur dernières vacances à Toulon. Mais l’animal paraissait bien frais et non-décongelé. Les faits sont donc bien réels d’autant plus qu’en août 2011, une habitante de Charenton-le-Pont, en région Parisienne, avait découvert dans un sachet de pousses de salades bio acheté en grande surface, une grenouille vivante de 6 à 7 centimètres. L’histoire ne semble donc pas impossible.

Au delà de ce petit incident, car la dame risquait au plus une gastro-entérite aigüe, je me pose une question. Que se passe-t-il dans les cuisines de ce type de restaurant ? Comment peut-on ne pas voir une grenouille de 10 centimètres tenant causette à du poulet et du bacon ? Certes, l’animal arborait les mêmes teintes que la salade, mais quand même ! Qui sont les cuisiniers qui officient? Probablement de simples préparateurs en denrées industrielles qui ouvrent des cartons, décongèlent, assemblent des produits, actionnent des manettes et des boutons magiques. Seraient-ce des robots?

Notre chaîne internationale de bouffe industrielle n’en est pas à son premier essai. Souvenez-vous en 2002, pendant l’embargo sur la vache folle… Cette firme avait importée illégalement de la viande britannique interdite en France…En 2003, toujours dans cette enseigne et dans un établissement parisien, des enquêteurs des services sanitaires évoquent alors des locaux: “sales” ou encore “des pavés d’autruche en état de putréfaction” 60 kilos de viandes confisquées et détruites. Les services vétérinaires parisiens avaient d’ailleurs reçu plusieurs plaintes de clients, victimes d’intoxications alimentaires.

Puis le client de ce type de restauration oublie, les parkings sont à nouveau plein… jusqu’au prochain scandale.
Je continue le désossage du Buffalo Grill. Pour vous, seul et sans plaisir, le 24 juin 2008 à 13h16, j’ai été déjeuner dans un de ces établissements. Charlotte m’a servi. Son prénom est écrit sur le ticket que j’ai sous les yeux. Même que tout en bas de ma note de frais, dans la rubrique “Message de votre serveur” (qui est en fait une serveuse), Charlotte a écrit: “Merci à bientôt”. Un peu plus, je l’aurait embrassée la Charlotte! Me témoigner autant d’égards alors que malgré ses nombreuses demandes insistantes, je n’ai ni commandé de bouteille d’eau, ni de verre de vin, ni de dessert. J’ai commandé une bière pression, une entrecôte classique et un café express. Pour 19.35 euros. Oui, quand même! Imaginez maintenant que j’ai pris une salade même sans grenouille entière, une bouteille d’eau, un verre de vin issu d’un cubi, un dessert décongelé. La note aurait dépassée allégrement les 30 €! Pour ce prix, je me paye un petit festin dans un vrai restaurant, tenu par des professionnels, dont le métier est celui de cuisiner, qu’ils soient étoilés, Jeunes Restaurateurs d’Europe, Maître Cuisiniers de France, Chefs de Cuisine-Restaurateurs ou simplement sans faste ni couronne, mais dont le restaurant jouit d’une solide réputation. Quand je pense qu’à moins d’un kilomètre de l’endroit où j’étais assis ce 24 juin 2008, Henri Gagneux à ” La Palette”, propose un succulent menu du jour avec un verre de bon vin et un café à 21.60 €!

Côté critique gastronomique sur le déjeuner ingéré, il n’y a pas matière à polémiquer. La bière était celle d’une brasserie aux capitaux Irlandais et Américains (de l’eau et des frais généraux comme dirait un ami). Le steak demandé saignant est arrivé bien cuit avec un petit drapeau en forme de vache planté dedans, cette bidoche aux relents de viande carbonisée dû à l’absence de brossage du grill et d’odeurs de graisse brûlées. La sauce “Béarnaise” en boite n’en portait que le nom et les frites étaient des frites congelées bien sûr. Bref, j’y suis allé, j’ai vu, j’ai mangé mais promis, je ne recommencerai plus!

A force de vous entretenir de grenouilles, j’ai envie de m’en faire un plat ou d’aller en déguster une assiette préparée à la Provençale Au Cheval Blanc chez Michel Zinck à Niedersteinbach. Pire, je rêve en pensant à la “Mousseline de grenouilles “Paul Haeberlin” de l’Auberge de l’Ill: une véritable œuvre d’art!

Et maintenant, et avant de vous laisser jusqu’au prochain scandale, je vous propose de chanter avec moi une célèbre comptine:

“Une grenouille verte,
Qui courait dans la salade,
Je l’attrape par la queue,
Je la montre à ces Messieurs;
Ces messieurs me disent:
Trempez-la dans l’huile
Trempez-la dans l’eau
Ça fera un escargot tout chaud!”

Par Daniel Zenner