Appétits ou condiments

Condiments ou appétits ?

À propos de « fines herbes », j’avais annoncé un texte consacré aux « appétits », et la recherche a été plus difficile que prévu… parce que le terme n’est employé dans aucun des livres de cuisine que j’ai consultés, du Viandier, au 14e siècle, à Edouard Nignon, au début du 20e.

Etonnant que ce terme ne figure ainsi nulle part en cuisine, alors, que le dictionnaire de l’Académie française nous dit que le mot « appétits », au pluriel, est un terme vieilli, pour désigner des herbes servant de condiment : par exemple, la ciboulette dans une salade. Une question de cuisine, donc ! Littré, lui indique que « appétits » est le « nom qu’on donne vulgairement au hareng fumé, à la ciboule et autres substances qui aiguisent l’appétit ». Ah, ce « vulgairement » serait-il une indication ?

Quant au CNRTL, il donne plusieurs définitions :
1. Hors-d’œuvre ou assaisonnements excitant l’appétit.
2. Nom donné à certaines herbes apéritives (ciboule, ciboulette, etc.) utilisées dans les salades ou dans les sauces pour en relever le goût.
3. Harengs n’ayant reçu qu’un demi-apprêt, peu salés et peu fumés.

Les fines herbes, c’est quoi ?

Des lexicographes signalant que le terme serait attesté dès le 13e siècle, dans Un quarteron de rimes culinaires de Gautron du Coudray, c’est peut-être dans les dictionnaires, plutôt que dans les livres de cuisine qu’il faut chercher. D’ailleurs le Trésor de la langue française informatisé ajoute que le mot « appétits » est « attesté dans la plupart des dictionnaires généraux du 19e et du 20e siècles ». Allons-y voir… en commençant par le Dictionnaire universel français et latin, publié par les jésuites en 1740,. Ce texte, qui est surnommé Dictionnaire de Trévoux, indique des sens différents au singulier et au pluriel :

« Appétit : On appelle populairement certaines viandes de l’appétit, comme les harengs forêtes, le petit mêtier, l’échalotte, les raves, etc. Appétits : Terme de traiteur, ce sont de petites herbes fines dont on assaisonne les salades & différents ragoûts: ces herbes sont le cerfeuil, la ciboulette, etc. »
Les harengs ? On sait ce dont il s’agit, mais des « harengs forêtes » ? Je suis bien désolé, mais cela demeure pour moi un mystère malgré mes recherches. Le « petit mêtier » ? S’agirait-il de petits poissons, comme nous consommons des anchois conservées au sel ou à l’huile, aujourd’hui. Pour l’ « échalote » (on écrit aujourd’hui « échalote », avec un seul t), il amusant de voir qu’on la consommait comme on consomme aujourd’hui du radis noir en rondelles, en Alsace, pour l’apéritif.

Plus tard, en 1873 exactement, Alexandre Dumas, qui aimait manger, nous indique que « le peuple de Paris, les fruitiers et les maraîchers de la banlieue donnent aussi le nom d’appétit à la tige verte de la ciboule et de l’oignon nain, qui font toujours le principal assaisonnement des ragoûts et des salades populaires ».
Cela s’éclaire, n’est-ce pas ? Nous avions le « vulgairement », nous nous avons le « populaire ». Or les livres de cuisine du passé étaient à destination des aristocrates, initialement, puis des bourgeois fortunés dont le comportement était calqué sur celui des premiers : pas question d’utiliser un terme populaire, vulgaire… D’ailleurs, encore aujourd’hui, dans certains milieux, il est inconvenant de souhaiter « un bon appétit ».

Faut-il nommer ces ingrédients des « condiments » ? Selon les bons dictionnaires, serait un condiment une « substance aromatique (sel, poivre, moutarde, etc.) utilisée pour relever la saveur des aliments au cours de la préparation culinaire ou lors de la consommation des mets ». Cette définition est fautive, parce que, à la place de « saveur », il faudrait utiliser le mot « goût », mais, surtout, étymologiquement, un condiment est une plante, ce que nous nommons aujourd’hui des aromates.

Allons, il faut prendre un parti, et, puisque la langue « relevée » n’a pas trouvé de noms pour désigner ces petites choses justement dites « apéritives », et servies pour exciter l’ « appétit », utilisons :

  • le mot « condiment » pour le sel, le poivre, la moutarde…
  • le mot « appétits » pour désigner soit les herbes des salades, soit les petites choses souvent salées que l’on consomme à ce moment qui est nommé « apéritif » : il y aura le hareng, les anchois, des rondelles de radis, par exemple ; d’ailleurs, souvent, on les retrouve dans les salades, n’est-ce pas ?

Par Hervé This

Hervé This inventeur de la cuisine note à note ©Sandrine Kauffer