Séminaire : la cuisson des poulpes et des haricots blancs par Hervé This

Le cuivre ou les bouchons de liège attendrissent-ils les poulpes ? Non. Le liège empêche-t-il les haricots blancs d’éclater à la cuisson ? Encore non. Et les mouches d’attaquer les fruits ? Toujours non.

Décidément, il y a lieu de s’interroger sur les baratins de trop nombreux livres de cuisine, et notamment quand on veut nous refiler des « trucs de grands-mères ». Cet été, j’avais eu entre les mains un livre qui prétendait que des bouchons de liège coupés en deux évitaient l’apparition de mouches autour des fruits. Je n’ai pas pris de photographie, quand j’ai fait l’expérience… mais j’ai parfaitement vu, en septembre, des mouches dans ma corbeille de fruits (oranges, citrons, un avocat, deux carottes).

Cet histoire de liège n’est pas nouvelle, car cela fait des décennies qu’on me la serine régulièrement :  « Bouchon de liège. Ne jetez plus vos bouchons de liège : ils seront très utiles dans de multiples utilisations dans votre cuisine. Dans votre corbeille de fruits, coupés en deux, ils éloigneront les petites mouches à fruits et permettront ainsi une conservation prolongée. Jetés dans l’eau de cuisson des poulpe, calamars et haricots blancs, ils attendriront les premiers, et éviteront aux haricots d’éclater. »

D’ailleurs, à propos de poulpes, il y a aussi un prétendu effet du cuivre : ils seraient plus tendres dans des bassines en cuivre. Mais on me connaît : j’ai sans doute mauvais esprit, puisque je doute de l’empirisme culinaire, et, pis encore, que je le combats : je déteste l’idée que l’on puisse transmettre aux jeunes (cuisiniers, notamment) des informations fausses, parce que c’est le contraire de ce que doivent faire des professeurs dignes de ce nom. Et je rappelle que la « tradition » n’est pas toujours bonne : l’esclavage était traditionnel !

Des expériences pour trancher

Bref, lors de notre dernier séminaires, nous avons d’abord recueilli des recettes de cuisson de poulpe ou de haricots : en gros, si l’on n’est pas intéressé par le goût, mais d’abord par la tendreté du poulpe ou par l’intégrité des haricots blancs, on peut se limiter de cuire dans l’eau, respectivement une heure et quarante minutes. C’est ce que nous avons fait.

D’abord avec le poulpe

Pour nos expériences, nous avons utilisé deux poulpes : un pour l’expérience avec les bouchons, et un pour les expériences avec le cuivre. Pour chaque expérience, on divise le poulpe en 2, et nous avons répartit la moitié (symétrique) des tentacules dans une casserole, et l’autre moitié dans l’autre casserole.

Pour la première expérience, nous avons mis 6 bouchons fendus dans une casserole. Pour la seconde expérience, nous avons de la tournure de cuivre propre dans les deux casseroles. La cuisson s’est faite à petite ébullition, pour les 4 casseroles.

Au début, il y avait une  différence d’écume, mais seulement en début de cuisson (dans les casseroles avec le poulpe sans bouchon ni cuivre).

Après une heure de cuisson, nous avons retiré des casseroles les tentacules de la première expérience (avec les bouchons), et nous avons organisé un test triangulaire : il n’y a eu qu’une seule bonne reconnaissance sur 4 tests, et sans doute était-ce du hasard, ou, plus exactement, c’est le goût vineux qui est à la base de cette bonne reconnaissance, et pas la tendreté des tentacules. Il n’y avait pas de différence de couleur ou d’aspect.

On conclut que les bouchons ne changement pas la tendreté des poulpes (dans les conditions qui ont été étudiées).

Puis nous avons organisé  un test triangulaire  pour le second poulpe, avec ou sans cuivre, mais nous avons immédiatement observé, quand nous préparions les échantillons, que ce second poulpe était bien plus tendre que le premier.

Cette fois, tous les dégustateurs se sont trompés, ce qui montre sans hésitation que  le cuivre n’a pas d’effet sur la tendreté des poulpes cuits.

En revanche, on insiste sur les différences de tendreté entre les poulpes (alors que les deux poulpes étudiés avaient la même taille (non pesée).

Pour les haricots blancs :

Cette fois, pour nos expérimentations, nous avons utilisé des haricots blancs  trempés de la veille. Ils ont été rincés à l’eau du robinet trois fois dans un chinois. Puis nous avons mis  3 poignées de ces petits haricots dans une casserole, avec de l’eau du robinet, et trois autres poignées  des mêmes haricots dans une autre casserole, avec de l’eau du robinet et  5 bouchons de liège (extraits de bouteilles de vin) coupés en eux dans le sens de la longueur.

Les deux casseroles ont été mises sur le même feu, et dès l’ébullition atteinte, nous avons réduit le feu pour n’avoir qu’une petite ébullition. Nous avons rapidement observé une écume  sur la casserole sans bouchon, mais pas sur la casserole avec bouchon.

Surtout, nous avons rapidement vue que l’eau de la casserole avec bouchons se teintait d’une couleur sale.

Puis, après 40 minutes de cuisson, nous avons sorti deux écumoires pleines de haricots de chaque casserole, et nous les avons étalés sur le plan de travail.

Pour chaque lot, nous avons trié  les haricots endommagés et les haricots intacts (deux vérifications) des lots, et nous avons trouvé :

– pour la cuisson sans bouchons : 167 haricots intacts, et 68 haricots endommagés.

– pour la cuisson avec bouchons : 166 haricots intacts et 80  haricots abimés.

Il y a donc une différence, mais est-elle « significative » ?  Le nombre de haricots est parfaitement connu, mais on peut estimer que les nombres d’endommagés sont à 5 près. Avec cette estimation,  on calcule que la différence est significative… mais avec un effet inverse de celui qui était attendu, et que l’on attribue plutôt à la différence d’ébullition des deux casseroles : les bouchons semblent limiter le mouvement des haricots dans l’eau. Bref, en aucun cas on ne pourrait déclarer que les bouchons éviteraient que les haricots ne se fissurent ou n’éclatent.

Prochain rendez vous :

  • les frites à l’huile d’olive absorbent-elles plus l’huile ?
  • faut-il laver les frites ?

Par Hervé This