Vin de Madère

Cuisiner à la “portugaise”

On a l’impression qu’une préparation à l’Anglaise doit être bouillie, qu’une préparation « à la Provençale » doit contenir tomates, ail et huile, qu’une préparation « à la Flamande » doit être à base de viande ; on conjecture qu’une préparation « à l’Allemande » doit être à base de vin d’Alsace, qu’une préparation « à la Normande » doit avoir de la crème… Mais tout cela n’est qu’hypothèse, et l’on se trompe souvent.

Parfois, on imagine mal ce que recouvre la terminologie, et c’est tant mieux, parce que l’on est alors conduit à la rechercher. Pas dans le Guide culinaire ni dans le Répertoire de cuisine, toutefois, car ils ont été bien trop souvent pris en faute : les auteurs de ces livres n’ont pas fait la recherche historique nécessaire, et ils ont eu la prétention de régir le monde culinaire sans en avoir la légitimité.

Examinons donc la dénomination « à la Portugaise » : de quoi s’agit-il ? Là, on a plus de mal à deviner de quoi il s’agit, et, en conséquence, on évite une hypothèse qui nous ferait faire une erreur. Partons donc en exploration, dans les livres de cuisine anciens. En commençant, comme souvent, par le dictionnaire de Joseph Favre… qui est confus, puisqu’il évoque des préparations disparates, en salé ou en sucré. Un peu avant lui, en 1873, Alexandre Dumas, parle d’un hachis de lapereaux à la Portugaise, où l’on fait cuire des lapereaux à la broche ; on réserve les chairs, on fait un fonds avec les peau et les os, une espagnole et du vin de Champagne ; on dresse avec des œufs pochés. Et, de même, on trouve un hachis de mouton à la Portugaise où il y a encore de l’espagnole réduite à demi-glace, des chairs hachées et des oeufs pochés. Des œufs pochés ? Cela nous rappelle les « œufs à la Portugaise » évoqués dans un autre billet : il s’agissait d’un dessert où les œufs pochés étaient servis notamment avec de l’eau de fleur d’oranger (venue du Portugal ?). En dessert, Dumas discute des pommes à la portugaise : il ne s’agit que de pommes pommes pelées et évidées avec du sucre en poudre. Et pas d’eau de fleur d’oranger. Bref, c’est bien incohérent.

Mais Dumas n’est pas cuisinier. Avant lui, alors ? Le cuisinier Urbain Dubois, élève du grand Marie-Antoine Carême parle d’une sauce portugaise : on blanchit le zeste d’une orange et on le cuit avec de la sauce brune, du vin de Madère, piments, clous de girofle, un bouquet garni d’aromates; on réduit, et l’on additionne de jus d’orange. Là, on comprend la dénomination, due à l’agrume venu du Portugal, et au vin de Madère.

Mais pour sa timbale de riz à la Portugaise ? Cette fois, pas d’orange, dans la recette suivante :

Beurrez l’intérieur d’un moule à dôme, décorez-le avec des ronds de truffes noires. — Hachez 100 gram. de moelle de bœuf, mettez-la dans une casserole avec un morceau de beurre et un oignon haché, faites revenir celui-ci sans prendre couleur, ajoutez alors 600 gram. de bon riz; faites également revenir ce riz pendant quelques secondes, mouillez-le ensuite, au triple de sa hauteur, avec de bon bouillon non dégraissé; cuisez-le pendant 25 minutes; quand il est à sec, finissez-le, en incorporant un morceau de beurre; avec ce riz, masquez les parois intérieures, ainsi que le fond du moule à timbale, avec une couche de l’épaisseur de 4 centim., en laissant un vide; lissez l’intérieur de celui-ci, emplissez-le avec un émincé de filets de volaille, mêlé avec du maigre de jambon cuit coupé en petits dés, lié avec un peu de bonne sauce madère. Couvrez l’émincé avec une épaisse couche de riz. Tenez le moule pendant quelques minutes à l’étuve; démoulez ensuite la timbale sur un plat, entourez-la, à sa base, avec une douzaine de filets mignons de poulets bigarrés avec de la langue écarlate; glacez les filets, envoyez à part une saucière de bonne sauce tomate, réduite.

Serait-ce la présence du riz qui justifierait la dénomination « à la Portugaise » ? Le même Dubois donne une recette d’ortolans à la Portugaise… où il n’y a ni riz ni orange… mais du vin de Madère : notre hypothèse initiale est renforcée.

Pour André Viard, antérieur à Dubois, il y a encore une sauce faite avec beurre, jaune d’œufs crus, jus de citron, du gros poivre, du sel, on cuit en fouettant pour qu’elle se lie : ne serait-ce pas notre hollandaise moderne ? Et le citron serait-il à l’origine de la dénomination ?

Enfin, encore avant, il y a Massialot, en 1705, et Nicolas de Bonnefons, en 1654, qui donnent la recette de ces œufs à la Portugaise faits de jaune d’oeuf, sirop de sucre, eau de fleur d’oranger, cuits avec cannelle, écorce de citron confite, nompareille (sorte d’oeillet).

Allons, il faut conclure que la dénomination « à la Portugaise » résulte de la présence, selon les cas, de vin de Madère, de riz ou des diverses parties (eau de fleur, zestes, jus) d’agrumes.

Par Hervé This

Hervé This