Jacqueline Riedinger-Balzer, légion d'honneur

Jacqueline Riedinger-Balzer est décorée de la Légion d’Honneur !

Présidente de la Fédération de la Boucherie-Charcuterie d’Alsace, présidente de la Confédération internationale de la Boucherie et de la Charcuterie (CIBC) et, depuis le 31 mai 2021 1ère vice-présidente de la CFBCT, Jacqueline Riedinger-Balzer figure dans la promotion du 14 juillet 2021 de la Légion d’Honneur qui distingue 467 personnalités, respectant la parité.

Gérante d’une entreprise artisanale de boucherie-charcuterie-traiteur familiale regroupant trois boutiques en Alsace, Jacqueline Riedinger-Balzer a précédemment été décorée du Mérite Agricole et du Mérite National.
Pour Jean-François Guihard, président de la CFBCT : “C’est une fierté pour l’ensemble du Métier et pour les femmes qui travaillent dans notre secteur. Jacqueline est extrêmement investie pour la profession à travers ses différentes fonctions. Recevoir la Légion d’honneur est une marque de reconnaissance, qui rejaillit sur l’ensemble de la Boucherie-Charcuterie Artisanale”.

“Ce ruban rouge m’engage à poursuivre mon action à vos côtés, cher président”, souligne Jacqueline Riedinger-Balzer, “pour promouvoir notre métier, défendre ses valeurs et semer les graines pour l’avenir de nos jeunes . Je le dédie notamment à mes consoeurs et à toutes les femmes engagées dans les métiers de l’artisanat”.
Jacqueline Riedinger-Balzer décorée de la Légion d’Honneur !

A l’honneur dans le dernier numéro du magazine Good’Alsace (N°9), disponible en kiosque et sur abonnement, nous consacrons un beau reportage sur Jacqueline Riedinger-Balzer, un portrait signé Maurice Roeckel,

 

Un engagement professionnel et féminin au plus haut niveau

 

Prendre des décisions et les appliquer est l’essence même de l’entrepreneur sauf que, assez souvent, il est en demeure de n’être que l’exécutant de contraintes et de règlements imposés ou concertés, par, ou avec d’autres autorités que la sienne.

C’est pourquoi Jacqueline Riedinger-Balzer s’est toujours intéressée de près à l’environnement extérieur de son entreprise, à commencer par la Corporation des bouchers-charcutiers-traiteurs du Bas-Rhin, qui l’accueille dans son comité directeur en 2001. Dans le concert de voix viriles qui procède aux réunions , la sienne en « mode chanson douce » se fait peu à peu entendre, les résistances supposées liées à son genre s’amenuisant au fil de la pertinence de ses avis. Ensuite, elle gravit un à un les échelons avec des responsabilités régionale, nationale et enfin internationale, couronnée cette année par une entrée remarquée au Who’s who. Dans les présidences successives qu’elle assume, elle fait chaque fois figure de « Première Dame », non pour être la conjointe d’une célébrité mais parce qu’avant elle, aucune femme n’avait occupé ces fonctions.

Entretien

En 2009 vous êtes élue présidente de la Corporation des bouchers-charcutiers-traiteurs du Bas-Rhin, première femme à ce poste, cela a-t-il été facile ?

JRB :  J’ai été élue parce que je proposais un programme qui a eu l’air de convenir à une majorité de mes collègues. Ce programme était inspiré en grande partie par ce qui a réussi dans mon entreprise. Être femme et présidente d’une organisation professionnelle de la boucherie a étonné, mais à aucun moment je n’ai eu le sentiment que c’était anachronique.

Une fois élue, vous avez mené quelles actions ?

JRB : Confrontée à la concurrence de la grande distribution, la boucherie alsacienne s’est trop repliée sur la défensive, véhiculant une image passéiste auprès du grand public et des médias. Avec l’équipe qui m’entourait, nous avons entamé une vaste campagne de sensibilisation et de promotion de nos métiers, auprès des institutions, des chambres consulaires, des administrations et de nos fournisseurs. Au niveau de la formation, nous avons initié la rénovation et la modernisation du laboratoire de boucherie-charcuterie du CFA d’Eschau. Au niveau de la communication, nous avons édité deux livres de recettes bouchères, assurés d’un succès de librairie au-delà de nos espérances. Nous avons incité nos collègues à moderniser leurs magasins, à associer plus étroitement leur personnel au projet d’entreprise, à revaloriser les salaires qui sont les meilleurs de l’artisanat alimentaire, à participer aux concours, aux foires et salons. Peu à peu, notre déficit d’image a été résorbé et nos offres de places d’apprentis à nouveau satisfaites. Les médias qui nous ignoraient beaucoup ont suivi nos actions et les ont relayées, intéressés par un métier d’abord menacé puis capable de se renouveler.

Votre activisme au bon sens du terme vous a permis d’accéder à d’autres responsabilités …

JRB : L’action professionnelle au niveau régional constitue notre quotidien et nos préoccupations les plus proches, mais les grandes décisions viennent de plus haut. J’ai donc saisi l’occasion en 2016 d’obtenir un siège au Bureau de la Confédération Nationale de la boucherie-charcuterie que je représente à la Confédération Internationale des bouchers-charcutiers (CIBC).

En 2019 vous avez été élue Présidente de la CIBC. Quel est son rôle et que représente-t-elle ?

JRB : La CICB est un organisme international qui rassemble 16 pays de l’Union Européenne, représentant 160.000 entreprises artisanales. Son siège est à Bruxelles. Son rôle est de mener des actions de lobbying auprès du Parlement Européen, veiller à ce que ne soient pas prises par cette instance des décisions règlementaires ou autres, de nature à porter préjudice à la boucherie artisanale.

Là encore vous êtes la première femme à occuper cette importante fonction …

JRB : Oui, c’est la première fois depuis sa création que la CICB est présidée par une femme, française de surcroît, dans une instance à forte domination germanique. Mes racines rhénanes ont été très certainement un atout pour convaincre mes collègues. Je suis très honorée de la confiance qui m’est accordée. Il va falloir la justifier, car dans le cadre du « Green Deal » la nouvelle PAC (Politique Agricole Commune) l’élevage et par conséquent la viande sont sur la sellette.

Quels sont les reproches faits à la viande ?

JRB : La presse s’empare régulièrement du sujet et abreuve les consommateurs d’études qui disent tout et leur contraire. Nous savons qu’avec la hausse du niveau de vie d’une partie de la planète dans les années à venir, la production ne va pas suivre. La tentation est donc forte d’intensifier l’élevage industriel, notamment sur le continent américain, déjà pointé du doigt à cause de son bilan carbone et ses besoins accrus en eau. Cet élevage ne va  pas dans le sens du respect, ni des ressources de la planète, ni de l’humain ! En revanche nous, artisans-bouchers, nous défendons les petits élevages de proximité qui nous garantissent une certaine indépendance alimentaire en Europe. Respectueux du bien-être animal privilégiant une nourriture à l’herbe ou aux céréales produites à la ferme, ces élevages-là contribuent à l’entretien des paysages et des territoires et fournissent une viande de qualité que nous mettons en vente avec fierté dans nos boucheries artisanales.

Vous devez aussi faire face au véganisme ?

JRB : Leurs associations ne me gênent pas, tant que ceux qui s’en revendiquent ne malmènent pas nos bouchers et ne mettent pas à sac leurs magasins. Leurs idées, je les respecte. Je pense qu’on peut manger moins de viande mais mieux. Cuire et consommer de la viande accompagne l’humanité depuis deux millions d’années, quand nos ancêtres ont découvert que le passage des aliments au feu les rendait meilleurs au goût. Je ne crois pas que mes contemporains aient vraiment envie de retourner à la chasse et à la cueillette pour assurer leur alimentation. Notre société est de plus en plus intolérante, on débat moins, on affronte plus. Le bellicisme est devenu à bien des égards une règle morale et c’est très inquiétant.

Et les steaks végétaux qu’en pensez-vous ?

JRB : Pourquoi intituler steak un produit élaboré à partir de cellules souches, de céréales et d’additifs chimiques. La dénomination « steak » doit se rapporter à la viande, mais en aucun cas à un produit de substitution. Albert Camus a dit « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Je ne peux rien ajouter de plus.

Des additifs, la charcuterie en utilise aussi, les appels à la suppression des nitrites revient régulièrement …

JRB : Vous avez raison, ce débat refait surface périodiquement car il sert de tribune à des parlementaires en mal de publicité; le sel nitrité permet aux charcutiers de donner une stabilité sanitaire au produit, son utilité antitoxologique est validée par l’European Food SafetyAutority (EFSA) et par son homologue français, l’Agence Nationale de Sécurité Alimentaire. Le « sans nitrites » dans le jambon et autres charcuteries donne aux produits une couleur grise, terne, peu appétissante. L’artisan-charcutier est un professionnel qualifié qui use du sel nitrité avec modération, car nous avons une date limite de consommation (DLC) bien plus courte que l’industrie alimentaire.

Comment voyez-vous l’avenir de la boucherie-charcuterie artisanale ?

JRB : Sereinement,  je suis d’une nature optimiste mais vigilante. Les critiques nous accablent plus moralement qu’économiquement. Les consommateurs nous soutiennent et savent que les lasagnes à base de viande de cheval ne sont pas fabriquées chez nous. Quelque part je suis fière d’avoir contribué avec beaucoup d’autres collègues à faire venir les consommateurs dans nos entreprises, de plus en plus nombreux. Le boucher a une bonne image, et pour l’illustrer j’aime à citer la description qu’en fait l’anthropologue Claude Lévi Strauss : « Le boucher d’étal travaille encore la pièce de viande, il joue avec habilité du couteau, une feuille de papier alimentaire sur la balance, la pièce de viande dessus, c’est tout un rite ». Et j’ajouterai avec le sourire de la bouchère en prime et le bout de saucisson pour le gamin ou la gamine ! La bonne viande a encore de beaux jours devant elle, éleveurs et bouchers y veillent.

Jacqueline Riedinger-Balzer avec ses fils, Samuel et Simon

Bio express

  • Mariée avec Charles Balzer
  • Trois enfants : Samuel, Matthieu, Simon
  • Baccalauréat littéraire en
  • Études de droit (niveau licence)
  • Depuis 1996, dirigeante de la Boucherie-charcuterie-traiteur Riedinger-Balzer à Vendenheim (siège social et laboratoire de production).
  • Trois points de vente : Vendenheim, Mundolsheim, La Wantzenau
  • Membre des Etoiles d’Alsace et Club Prosper Montagné Alsace
  • Présidente de la Confédération Internationale de la Boucherie-Charcuterie (CIBC)
  • Membre du Bureau de la Confédération Nationale de la Boucherie-Charcuterie-Traiteur
  • Présidente de la Fédération d’Alsace des Bouchers-Charcutiers-Traiteurs
  • Membre du Bureau national des Femmes Chefs d’Entreprises (FCE France) en charge de l’artisanat
  • Membre du Conseil Consultatif de la Banque de France (Agence de Strasbourg)

Distinctions :

  • 2009 – Trophée des Femmes Chefs d’Entreprises, catégorie artisanat
  • 2011 – Madame Commerce de France
  • 2012 – Madame Artisanat d’Alsace, Trophée Marlène Schaeffer
  • 2012 – Nommée Chevalier dans l’Ordre National du Mérite
  • 2015 – Trophée LCL/ DNA « Des femmes qui font bouger la région »
  • 2016 – Nommée Chevalier du Mérite Agricole
  • 2019 – Médaille d’Or de la Chambre de Métiers d’Alsace
  • 2021 – Entrée au Who’s Who et Légion d’Honneur

Jacqueline Riedinger-Balzer incarne “la steack revolution” de la boucherie alsacienne

 

Vendenheim, gros bourg de la deuxième couronne strasbourgeoise, en bordure d’une rue commerçante en hommage au général Leclerc, impossible de manquer la lumineuse façade de la boucherie-charcuterie-traiteur Riedinger-Balzer.

Rendez-vous est pris en début de matinée avec la dirigeante de l’entreprise, Jacqueline née Riedinger et mariée Balzer. La rencontre a pour cadre son bureau, dont une porte donne sur le linéaire du point de vente et une autre sur l’enfilade des ateliers de production. Un positionnement idéal à l’épicentre des différentes activités.

Présidente, Jacqueline l’est à divers titres. Pourtant elle ne s’est pas aménagé un bureau au diapason de ses responsabilités. L’impression initiale qu’elle souhaite donner au visiteur ne s’embarrasse ni de superlatifs d’espace, ni de mobilier. Le lieu est sobre, fonctionnel, conçu pour l’ouvrage, pas pour la parade. Un premier voile, il y en aura plusieurs autres au cours d’un long entretien, est ainsi levé sur une passionnante personnalité de femme évoluant avec une aisance maîtrisée dans un environnement professionnel encore très largement masculin, qu’elle a marqué de son empreinte, à force de conviction et de persévérance. Son histoire, elle le souligne d’emblée : « est aussi celle d’une famille, toute consacrée au travail de ce produit alimentaire vivant qu’est la viande. »

Du droit à la boucherie

Si Jacqueline a bien jalonné le parcours devant lui permettre de briguer une autre carrière, c’était sans compter sur l’irruption inopinée d’un angelot la ciblant de quelques flèches acérées à destination d’un garçon boucher employé à la production, Charles Balzer, son ainé de quelques années. Secrète, autant que faire se peut au départ, la liaison révélée est fraîchement accueillie par les parents mais celle qui s’autoproclame « jeune fille rebelle » préfère la résistance à la résilience et le mariage est consommé. Deux ans plus tard, naît leur premier fils Samuel. Jacqueline est alors en troisième année de licence et décide d’interrompre ses études pour avoir un deuxième enfant. Matthieu naît en 1980, mais quand Jacqueline veut retourner à la fac, interviennent deux autres péripéties de nature à modifier sa trajectoire.

Suite au départ d’une salariée exerçant des fonctions d’encadrement, Jacques Riedinger demande à sa fille de la remplacer pour un temps seulement. Ses réticences sont fortes, mais elle accepte, car ainsi elle sera plus proche de Charles son époux, esseulé dans une ambiance pas toujours bienveillante. Une situation qu’elle pense non définitive, la succession de ses parents devant aller le moment venu à son jeune frère également prénommé Jacques, titulaire d’un brevet de maîtrise de boucher-charcutier. Mais ce dernier est plus à l’aise dans la relation client et préfère une activité de boucher d’étal à la direction d’entreprise. Alors les regards de toute la famille convergent vers Jacqueline. Le dilemme est cornélien, entre la pression familiale en forme d’appel au secours et un plan de carrière pas loin d’aboutir, il va falloir choisir. Elle se souvient : « cette situation m’a fortement perturbée, deux voix s’agitaient en moi et chacune avait des raisons légitimes de me convaincre. Finalement j’ai choisi la boucherie, en me tenant à la feuille de route que je me suis fixée et à laquelle je me réfère toujours, faire prospérer l’entreprise certes, mais en conservant coûte que coûte une harmonie familiale. »

 

La course d’obstacles

« Une fois la décision prise, je savais bien que le plus dur restait à faire, à savoir, concrétiser les espoirs dont j’étais devenue dépositaire ». La boucherie lui est familière mais une formation était indispensable. Elle suit plusieurs stages au Ceproc (Centre d’Excellence des Professions Culinaires), à Paris. Là elle acquiert de solides connaissances en cuisine et en pâtisserie charcutières qui la confortent dans l’activité traiteur.

Dans son approche avec les siens et autrui, Jacqueline est d’un naturel bienveillant et plus encline au compromis gagnant/gagnant qu’à l’affrontement stérile. Mais quand une décision est prise, elle s’y attèle et restera inflexible dans son application, main de fer dans un gant de velours. Trop jeunes pour lui laisser les rênes de l’entreprise, ses parents lui réservent dans un premier temps les tâches administratives, qu’elle exécute mais loin de s’en contenter, elle se forme sur le tas à toutes les subtilités bouchères et en suivant avec attention un marché de la viande en pleine évolution.

Dans le secteur de la boucherie-charcuterie alsacienne, les années quatre-vingt ne résonnent pas dans les mémoires comme les hits musicaux de l’époque. C’est même tout le contraire, car de tous les métiers de l’alimentation, la boucherie artisanale a été la plus impactée par la concurrence effrénée de la grande distribution. Souvenez-vous « Mammouth écrase les prix, et les bouchers » pourrait-on rajouter ! Les cessations d’activité se multiplient, au rythme de la création de nouvelles surfaces commerciales favorisées par les élus locaux, appâtés par les promesses de créations d’emplois et de recettes fiscales. Autre difficulté, loin d’être négligeable, la compilation de règlementations sanitaires toujours plus exigeantes et particulièrement budgétivores, pour de petites entreprises confrontées à de lourds investissements. Résultat des mille boucheries d’après-guerre, il n’en reste plus que 235 aujourd’hui. Evoluer ou disparaître, tel était l’enjeu de la boucherie-charcuterie. L’option traiteur a peu existé en Alsace jusque dans les années soixante-dix. La restauration négligeant le créneau de la vente à emporter, deux bouchers, Kieffer et Klein, tinrent le rôle de pionniers. Jacqueline s’est rapidement fixée sur cette activité, où la demande s’est vite révélée et ses fameux cannelloni proposés dans les points de vente de Vendenheim et Mundolsheim réunissent tous les suffrages et appellent d’autres créations.

En 1996, Jacques père prend sa retraite. Jacqueline lui succède à la direction de l’entreprise, la voilà décisionnaire à part entière et en mesure de mettre en œuvre ses idées. L’activité traiteur, déjà bien engagée, s’est encore accrue. Le laboratoire de production et le magasin de Vendenheim sont agrandis et modernisés, tout comme le point de vente de Mundolsheim. Fidèle à ses principes, cet appétit entrepreneurial ne l’empêche pas d’entretenir une vie familiale.

La maison d’habitation est distincte et distanciée de l’entreprise. Ses trois garçons, Samuel, Matthieu et Simon ne sont pas en manque de relation maternelle et ont la bride sur le cou pour leur orientation professionnelle. L’année suivante est éprouvante avec la disparition de Christiane, la jeune sœur de Jacqueline, atteinte d’une maladie incurable. Cet événement tragique a pour conséquence positive, de resserrer encore les liens familiaux, grands-parents, enfants, petits-enfants, tous sont unis dans l’adversité.

En 2020, 60ème anniversaire de la création de l’entreprise

Du côté de Vendenheim, la première décennie du XXIème siècle est engagée tambour battant avec des innovations diverses : création de locaux sociaux confortables et spacieux dans l’entreprise mère, engagement corporatif de la dirigeante, admission au Club Prosper Montagné Alsace et aux Étoiles d’Alsace, intégration de Samuel titulaire d’un bac S, d’un DUT en agronomie, d’un brevet professionnel obtenu au Ceproc et couronné d’un brevet de maîtrise. Fait marquant et cher au cœur de Jacqueline, la raison sociale sera désormais Boucherie Riedinger-Balzer, une reconnaissance du rôle trop effacé de Charles – au gré de son épouse -, dans l’évolution d’une entreprise, où il a débuté comme simple salarié. Leur complicité saute aux yeux avec la force d’une évidence forgée dans les difficultés surmontées ensemble. Chacun est dans son rôle, elle imagine et orchestre, il est le bras séculier à la sélection et à la production.

L’expansion se poursuit avec l’acquisition du fonds, puis des murs d’une modeste boucherie de La Wantzenau, rasée puis reconstruite, et appelée à la même résonance que Vendenheim. La décennie suivante s’inscrit dans la même dynamique ! Jacqueline et Charles entreprennent de contacter directement les éleveurs locaux, en s’affranchissant pour une grande part des coopératives et autres grossistes. Aujourd’hui, 80 % des approvisionnements sont d’origine locale. L’agneau provient de la filière « Agneau Terroir Alsace », complétée par l’élevage de brebis de Charles. Le veau est élevé à Oberbronn et Wickersheim, le porc à Batzendorf et le bœuf provient de cinq éleveurs alsaciens (races : Charolaise, Limousine, Montbéliarde, Simmental).

Toujours attentive aux évolutions du marché, Jacqueline développe son offre prêt-à-manger qui répond à la fois à une forte demande des femmes exerçant une activité professionnelle et d’une population plus âgée ne souhaitant plus s’embarrasser de cuisine. Pour elle, « être boucher de nos jours c’est être capable de transformer la matière première, non seulement en pièces de viandes cuisinées mais aussi les accompagnements pour aboutir à un produit fini, prêt à consommer ».

En 2019, l’équipe de production de la boucherie bénéficie d’un renfort de choix avec l’arrivée de Simon, ingénieur en agronomie de formation, passionné d’élevage. Il a travaillé six ans dans une coopérative agricole de la Somme, en préparation d’une licence commerce et vente à l’Ecole Nationale Supérieure des Métiers de la viande à Paris. C’est lui désormais, qui succède à Charles, moitié boucher, moitié maquignon, pour sélectionner ses bêtes.

Pendant que son frère Simon découpe à la parisienne les carcasses et promeut les morceaux du boucher « poire, hampe, merlan » son aîné Samuel s’affaire aux préparations charcutières. Les exquises rillettes, le jambon en croûte, le lièvre à la royale traité en verrine, les terrines de gibier, le pâté de foie gras : c’est lui. Très actif au sein des Étoiles d’Alsace (membre du bureau), il a créé plusieurs apprêts, comme cette sensuelle saucisse dédiée à Casanova dans le cadre d’un dîner de l’événement « Strasbourg mon Amour ». Toutefois, les deux frères ne s’interdisent pas des incursions ponctuelles dans leur domaine respectif ! Le boucher Simon a rendu hommage pour les fêtes de fin d’année à Brillat Savarin, l’initiateur et le chantre de « l’oreiller de la Belle Aurore » considéré comme le Saint Graal de la charcuterie française. Le charcutier Samuel ne dédaigne pas les belles viandes bovines, puisqu’il a inscrit son nom tout en haut du palmarès du premier concours de la « Meilleure côte de bœuf ». Quant à Jacques fils, son domaine de prédilection est l’étal. Autorisé au port d’arme tranchante, cette fine lame pacifique n’a pas son pareil, pour couper d’une dextre habile, des entrecôtes, faux-filets ou rumsteaks, synonymes de félicités carnivores.

En 2020, les Riedinger-Balzer ont fêté, comme il se doit, le 60ème anniversaire de la création de l’entreprise. En amont, la boutique de Vendenheim s’est refaite une beauté, avec un long linéaire réfrigéré, recelant tout l’éventail de la production maison, irrésistible pour les clients, même si par précaution, ils ont pris la peine de se sustenter en amont de leur passage.

Autre nouveauté, une des premières dans la boucherie alsacienne, la mise à disposition à la clientèle d’une « Ribabox », contraction de Riedinger-Balzer et box. Cette boite réfrigérée fixée sur un mur extérieur, accessible 24h/24, contient des casiers garnis de différents produits frais ou transformés. Démarré doucettement en décembre 2019, le concept a passé la vitesse supérieure au moment du premier confinement et les bonnes habitudes prises, l’investissement sera amorti.

Afin de proposer à sa clientèle une offre complète, Jacqueline distribue également les fromages affinés de Christelle et Cyrille Lorho, ainsi que les entremets de Thierry Mulhaupt. Enfin, une offre vinicole pourrait se dessiner bientôt avec le concours d’Estelle, la compagne de Simon, œnologue de formation.
De formation précisément, la dame est éprise et favorise celle de l’alternance en la poussant vers le haut, bien au-delà du CAP. Son entreprise est une pépinière, où se cultive des talents. Longtemps, la boucherie n’offrait aux jeunes filles que des formations d’étalière se limitant à la vente, sans approfondir la gestuelle opérative et moins encore la production. À présent, à l’instar d’autres métiers réputés masculins, la donne a changé. Exit les idées reçues, le machisme un brin méprisant et les prétendus obstacles physiques, place à de meilleures conditions de travail et à la diversification de l’activité bouchère, en particulier au niveau traiteur. « Le métier il a fallu le réinventer, c’est tout le sens de la steak révolution » constate Jacqueline citant l’exemple d’une jeune collaboratrice coachée par Samuel, qui a obtenu successivement le Brevet Professionnel, puis le Brevet de Maîtrise en charcuterie. À ce jour, l’entreprise emploie trente-cinq salariés dans ses trois unités et cinq apprentis. Elle peut compter sur la collaboration d’un personnel fidèle, acquis à ses valeurs.

Jacqueline n’a rien d’une femme pressée, elle se hâte, certes, mais en prenant soin de soigneusement baliser tout nouveau chemin, avant de s’y engager. Les hautes fonctions qu’elle exerce, (voir encadré) elle y est parvenue par la force de ses convictions et son exemplarité. Aux détracteurs de la viande, antispécistes et autres adeptes d’un véganisme exacerbé, elle oppose une argumentation objective et apaisée.

Son parcours n’est pas encore totalement accompli, mais elle pose tout de même les jalons d’une succession qu’elle souhaite « douce et harmonieuse », en semant les graines d’un avenir serein avec Samuel et Simon. Malgré un emploi du temps bien rempli, elle sait aussi s’organiser quelques loisirs, en joignant souvent l’utile à l’agréable. Cette grande lectrice a un joli trait de plume – elle excusera sans doute cette affirmation qui n’engage que son auteur. Son talent n’est pas pour rien dans son ascension dans la hiérarchie bouchère internationale. La cuisine est une autre passion et la Covid, en l’empêchant d’aller au restaurant (c’est une cliente assidue) lui permet d’exercer plus encore un savoir-faire pour des tablées familiales et amicales en nombre autorisé. Quand les interdits pandémiques sont levés, elle voyage souvent et son tempérament ouvert autorise de belles rencontres comme celle de Dario Cecchini le « fou de viande » transalpin qui a accepté de présider le deuxième trophée de la meilleure côte de bœuf au salon Egast. Nullement obsédée par sa propre singularité, elle recherche au contraire celle des autres et quand elle la découvre, elle n’hésite pas à la mettre en valeur.

En paraphrasant André Gide, on pourrait dire de Jacqueline « que son bonheur est d’augmenter celui des autres. »

Par Maurice Roeckel