Jean-Luc Brendel des étoiles vertes plein l'assiette ©Nouvelles Gastronomiques et Lukam

Jean-Luc Brendel, des étoiles vertes plein l’assiette

C’est à Riquewihr, l’un des plus beaux villages médiéval d’Alsace avec ses remparts du 13ème siècle, sa herse, son pont-levis, ses ruelles pavées, et ses maisons à colombages du XVIème siècle, qu’en 1983, à 19 ans Jean-Luc Brendel avait décidé de s’y installer, faisant l’acquisition avec sa sœur Fabienne Brendel de La Table du Gourmet*. En 2022, il reçoit une étoile verte au Guide Michelin mettant en lumière son engagement pour une gastronomie durable. 

Depuis, c’est un empire étoilé Michelin (rouge et vert) qui s’est déployé avec son restaurant gastronomique, la table du Gourmet, tenu de concert avec sa sœur Fabienne, la Brendelstub incarnée par son épouse Anne et ses chambres B. Cottage, B. Vintage et B. Suites. Le fil conducteur de cet ensemble : la nature environnante et son fabuleux jardin médiéval devenu, les Jardins du Kobelsberg, installés en bordure de la forêt et du vignoble. « C’est ma muse, ma palette d’expression, ma source d’inspiration et ma philosophie. J’aime suivre les flux naturels de la nature, la cueillette du jour dans l’assiette, le produit à juste maturité, qui donne force et énergie. Ma technique culinaire s’efface pour être au service du jardin et de ses fruits », relève Jean-Luc Brendel. Elle s’efface, oui mais elle est reconnue d’une étoile au guide Michelin depuis 1996, à laquelle s’ajoutent en 2022, la distinction 3 macarons Écotable et 1 étoile verte au guide Michelin. Quelle jolie « récolte » pour Jean-Luc Brendel. Une reconnaissance qui vient récompenser son engagement total pour une gastronomie durable, responsable et engagée.

L’extraordinaire jardin du Kobelsberg

C’est « un jardin extraordinaire », comme le dirait la chanson, aux mille senteurs et odeurs, aux souvenirs, un lieu d’inspiration culinaire, gourmand, c’est un jardin géométrique étonnant. C’est une pépinière d’émotions, déployée sur 6200 m2, où le chef aime flâner entre les allées pavées, pour se perdre dans « sa bulle » créative. Cultivés en biodynamie, en bio et en permaculture, les fleurs, les herbes aromatiques et les légumes oubliés, apportent une touche originale et surtout originelle à la cuisine débordante d’imagination du chef étoilé, qui parle avec ferveur de son amour et de son respect pour son jardin-potager. Plus de 350 variétés sont plantées dans les Jardins du Kobelsberg : cornouiller, haricot du dragon, héliantis, navet marteau et Petrowski, pomme de terre Bonnotte, tomate (noire Blue bayou, trilly, andine cornue), carotte (gniff, de Kyoto), betterave (Alvro Mono, reine noire, Petrouchka cylindra), oca du Pérou, chervis, fraise Anared, baie de goji, poivron corne de bœuf, estragon du Mexique, sauge ananas, chou de Bruxelles rubine, mirobolant… des variétés rares, qui interpellent par leur profondeur, leur typicité de goût et de texture, véritable chamboule-tout émotionnel et créatif du chef.

Jean-Luc Brendel ©Table du gourmet

À quelques pas, un poulailler assure une partie des besoins en œufs et au-delà de la partie plein air, une serre garantit une production de mi-février à fin décembre pour une qualité optimum. Compostage, gestion des déchets et tri-sélectif quotidiens coulent de source. Si l’autosuffisance de La Table du Gourmet est palpable sur la moitié de l’année, elle est loin d’être un cheval de bataille. « Pour démultiplier mon imaginaire, ma capacité de création, il est vital – en parallèle du développement de notre jardin – de nouer des liens affectifs avec des sites naturels et des hommes de la terre, porteurs d’un savoir-faire et d’une sensibilité. Il a fallu des années pour que ce jardin acquiert son véritable potentiel », reconnaît-il. « De multiples expérimentations ont été menées, pour comprendre l’impact de la géologie, du climat, de la lumière, l’interaction des végétaux entre eux. Ce jardin a profondément changé ma vie, ma perception et la conception de mon métier. J’ai mis à profit les longs mois d’arrêt forcé en 2020 et 2021 liés aux problèmes sanitaires, pour réfléchir, recentrer mon propos culinaire. Les plantes et légumes ne sont plus des garnitures, mais souvent l’élément central de mes compositions. J’ai beaucoup gagné en simplicité apparente, en fluidité, en veillant à ce que la complexité soit digérée en amont. Dans un jardin, on apprend tous les jours, comme en cuisine », conclut-il.

Jardin du Kobelsberg ©Gregory Tachet

Épris de vieilles pierres, passionné d’histoire, féru de Moyen-Âge, Jean-Luc Brendel a mis des années pour concevoir et construire ce jardin impressionnant de charme et d’authenticité. C’est le second qu’il entreprenait 20 ans après le premier, celui du Cottage, qui abrite la roseraie. « J’ai pris tout le temps qu’il fallait, pour le penser et le construire », se souvient-il, élaborant avec soin sa géométrie circulaire, typiquement médiévale. « La difficulté » révèle-t-il, « était de faire éclore un beau jardin sur des terres de vignes, arides, sèches, fondées sur un sol argilo-calcaire. C’était une pure folie ! » sourit-il. « Mais qu’importe le temps et les moyens je voulais créer cet endroit unique ». Il est abrité derrière un mur-rempart de 28 mètres de long, bâti avec des pierres taillées, qui ont plus de 600 ans, en provenance du caveau de la Brendelstub. Cheminant sur le pavage, posé galet par galet en provenance d’Italie, dessinant des motifs, on découvre une architecture jardinière parfaitement circulaire, « construite pourtant, sans aucun gabarit », souligne Jean-Luc Brendel. Si le diable se cache dans les détails, les promeneurs se perdront dans la beauté des lieux, visant sa gloriette centrale en fer forgé, romantique à souhait, ses pièces de bois et pierres anciennes dissimulées dans les feuillages, mais surtout cette reproduction d’une maison alsacienne à colombages, qui abrite le poulailler. En guide botanique, le chef de cuisine raconte sa collection de plantes aromatiques, ses fleurs comestibles, ses plantes rares, à l’instar de la reine des prés rouge, sa « fleur fétiche » pour les desserts estivaux, les plantes exotiques, exubérantes, voire envahissantes. « Certaines vivaces vont atteindre les 2,5 m de haut, avec parmi elles, des graminées rares ».

Tarte à l’oignon par Jean-Luc Brendel ©Lukam

On découvre des fruits oubliés, telles les mûroises (mûres et framboises), de la marjolaine écarlate, un pavot perroquet comestible, le haricot-fleur et son goût saisissant de petits pois, des carottes blanches, avec de la carotène minorée, mais une finesse gustative exacerbée, sans oublier l’herbe à curry. Le chef a planté des capucines, une collection de soucis, du cumin des prés, différentes réglisses, 8 variétés de menthe, une palette de 7 marjolaines, 4 sortes de thym, sans citer toutes les plantes coutumières du jardin de la ménagère. Dénicheur de plantes rares, importées d’Allemagne ou de ses voyages, le chef- jardinier dévoile des tomates litchis en provenance du Mexique, ou des feuilles de tabac, qu’il pourra faire sécher et cristalliser. « J’ai également une variété de sauge aromatique », énonce Jean-Luc Brendel, « que je vais cuisiner par exemple avec un agneau cuit à basse température, pour permettre aux plantes aromatiques de pénétrer doucement et intimement à l’intérieur. Mon jardin me permet de venir chercher 3,5 kg de légumes/jour et des fleurs posées sur assiette quelques heures après avoir été ramassées. C’est tout l’intérêt de l’avoir entrepris. Toute ma cuisine est axée sur mon jardin. Sans lui, je ne pourrais pas construire ma carte », révèle celui qui porte une Oxalis, comme emblème, cousue de fil rouge sur sa veste noire. Son feuillage en forme de trèfle a porté bonheur à l’esprit gourmet.

Anne et Jean-Luc Brendel, étoile verte au Guide Michelin 2022 ©Nouvelles Gastronomiques

Toute ma cuisine est axée sur mon jardin

« Ma cuisine reflète hyper-saisonnalité, l’environnement dans lequel je vis. La cuisine transpire ce qui est autour de moi et ce que j’en ressens. Ma définition d’un grand plat se résume à la création, qui donne une émotion, qui fait vibrer et raconte une histoire. Il faut être en quête de simplicité, de l’épure et de la pureté, qui dissimulent une grande complexité », philosophe Jean-Luc Brendel. « Les plats sont engagés, avec de vraies prises de risques maîtrisées, par une longue maturation. L’enjeu est de révéler l’essence des produits, leur subtilité et leur potentiel insoupçonné d’expression. Dans un plat, j’aime l’acidité bien intégrée dans la matière, quand elle apporte de la légèreté, de la fraîcheur, de la vie en contrepoint d’éléments plus réconfortants. Je travaille sur un fil, en quête de l’équilibre parfait entre acidité et gras, entre croustillant et moelleux. L’excellence du produit s’exprime par la sublimation des textures, du soyeux fragile au charnel, supposant de la mastication. La cuisson au barbecue par exemple, permet de faire croûter la viande, de préserver tout son jus pour offrir un fondant extraordinaire, s’enthousiasme le chef. Les jus et sauces sont le cœur de ce que j’aime en cuisine. Je privilégie des mijotages, des cuissons très longues. J’écume, je clarifie, je filtre pour obtenir une limpidité, de la profondeur, dans l’esprit d’un grand vin. Rondeur, amplitude, note finale tonique, parfois piquante, harmonie et complexité. Une sauce va bien au-delà du goût. Elle révèle un monde et des sensations multidimensionnelles.

fleur de betterave, glace raifort et caviar de brochet ©Lukam

Une renaissance

« Tout devient désormais limpide. C’est comme si je vivais une renaissance. Je me libère de toute contingence, pour aller jusqu’au bout de mes idées. J’entre dans une nouvelle phase de vie, pour me réaliser et exprimer ma vision de ce paradis que j’ai choisi d’habiter, dans le respect de son hyper-saisonnalité. Entre finesse, précision, pureté, intensité créative et prégnance des éléments, nature et culture fusionnent en une alchimie très personnelle ». Le chef autodidacte a appris le métier dans le restaurant que tenait sa maman à Strasbourg, Aux Trois Lièvres, situé près de la cathédrale. L’étudiant en biologie (il décrochera son CAP cuisine quelques années plus tard), s’est affranchi d’un tour d’apprentissage chez les grands chefs, pour faire de la cuisine une science de la terre et des recettes, une formule biologique en bio et biodynamie.

La salle de la Table du gourmet de Jean-Luc Brendel

La Grande Symphonie du jardin à l’assiette

Jean-Luc Brendel propose une formule unique, qui se conjugue au choix en 5, 7, ou 9 partitions pour déguster la Grande Symphonie. Ce menu est conçu, à l’image des mouvements d’une symphonie, comme un tout, un cheminement avec un fil conducteur. Monde végétal, viandes durables et locales cuites au feu de bois et poissons sauvages du lac, vins classés par géologie, le voyage culinaire et œnologique est unique. « La Grande Symphonie est composé de 9 paysages culinaires avec la récolte journalière de mon Jardin du Kobelsberg, magnifié avec les meilleurs produits locavores », mentionne Jean- Luc Brendel. Le homard bleu est le plat signature, le veau de lait fermier provient exclusivement des fermes en Alsace. De la fleur de betterave et sa glace raifort, caviar de brochet à la plume de carotte, de la quintessence du feuille à feuille de navet naissant, aux escargots de caro dans leur habitat naturel, du sandre sauvage ikejime et ses poireaux sur la braise, au homard bleu, bouillon de tête, capucine et navet au veau de lait fermier héliantis, asperge et truffe. Enfin de l’oca, la fraîcheur d’un matin, allégorie de nos montagnes à la curiosité sucrée en point final, voici une ode aux beaux produits, un récital végétal, sous le règne du cantique.

On admire la minutie avec laquelle les différents éléments ont été disposés, à l’aide d’une pincette. Du travail d’orfèvre, qui s’apprécie d’autant plus qu’on dénombre une trentaine de gestes techniques pour chaque dressage, transformé en oeuvre d’art.

Par Sandrine Kauffer-Binz

jlbrendel.com

Relire, Jean-Luc Brendel en couverture du magazine Good’Alsace n°11

 

Jean Luc Brendel ©JL Syrel
Tarte Linzer Myrobolan fleur de son foisonnée – La Table du Gourmet ©Lukam