Chef singulier s’il en est, poétique et romantique dans la description de son identité culinaire, marqué par l’univers des oiseaux, dont la grue est son emblème. Porté par les ailes de la créativité, l’envol de sa sensibilité, plume légère et sensible qui s’exprime dans son ouvrage «Chemins croisés”, préfacé par Pierre Gagnaire, Éric Guérin a fait de la mare aux oiseaux, un havre de paix, bercé par les chants et les parfums de la faune et la flore, à la fois sauvage et noble.
Video diner à la mare aux oiseaux
Le camaïeu de bleu résonne comme une signature d’un chic, un brin baroque, jeux de textures et de matières, de bronze et de velours, élégance dans les reflets des miroirs, pièces artistiques et œuvres photographiques, souvent signées par le chef, à l’instar de celles exposées dans sa nouvelle cuisine encadrés dans des panneaux éclairés.
Plus qu’un restaurant, c’est une maison de vie. Plus que des salariés, ce sont des « enfants adoptifs », ose le chef comme comparaison. En duo avec Félix Rigaud, ils mettent en scène et en lumière les trésors de la Brière avec une équipe jeune, libre d’exprimer sa personnalité, grâce au cours de théâtre d’un metteur en scène. Le duo annonce la reprise programmée de la maison au second Leo Le Brun, tout comme l’ouverture d’une nouvelle adresse.
Le duo avec Félix Rigaud
Convaincu très jeune que les voyages et les rencontres ont tendance à magnifier les émotions, Félix Rigaud choisit l’univers de la communication pour ses études. De Saint-Nazaire, il part à Bordeaux, à l’EPAP, puis entre dans le monde des agences de presse, évoluant ainsi dans les domaines de la mode et de l’édition. Sa rencontre avec Eric Guérin lui offre une nouvelle destination: La Mare aux Oiseaux.
D’un poste de réceptionniste, Félix évolue en responsabilité, avec naturel, vers le poste de directeur. Grâce à sa formation transversale, il apporte un vent de fraîcheur à la manière d’accueillir et de recevoir. Également comédien de formation, il encourage les membres de son équipe à s’exprimer et affirmer leur personnalité. Il invite des metteurs en scène à aider l’équipe de salle à gérer ses attitudes et institue un esprit de troupe, qui séduit les convives à chaque visite. Au restaurant, il aime expliquer la vision du Chef, il se présente à chaque tablée pour raconter l’histoire du chef, liée à son environnement et son identité culinaire.
La théâtralisation des métiers de la salle avec un metteur en scène
Félix Rigaud est passionné de théâtre. « Il y a tellement de similitudes entre la salle et le théâtre qu’il était évident pour moi d’engager Yvon Potier (metteur en scène, Compagnie du Théâtre Azdak). « Tous les soirs, on enfile les costumes, on règle les lumières, on monte sur scène, on joue un rôle, même si c’est avec la plus grande des sincérités”, souligne Félix Rigaud. “J’ai demandé à Yvon de travailler leur éloquence, leur voix, leur maintien, leur déplacement, leur synchonisation”, des compétences qui leur donnent de l’assurance, de l’aisance pour un service décontracté et souriant.
“J’ai une équipe de 50 gamins”, explique Eric Guérin en souriant. “Il faut apprendre leur langage leur code, c’est eux qui ont les clés de demain, et c’est nous, qui sommes obligés de nous adapter à leur façon d’être et à leur façon de vivre. Mais ils incarnent aussi un héritage que nous leur avons transmis. Ils sont juste le fruit d’une éducation, même si pour certains, nous constatons que les parents ont largement lâché. Nous suppléons parfois à ce rôle. Nous avons appris à les connaitre, ce qu’ils sont et ce qu’ils font aussi bien en dehors du restaurant. Nous voyons la faille, quand ils ne vont pas bien. Nous les isolons, nous prenons du temps, nous cherchons avec eux la solution et une confiance s’installe. Nous leur parlons vrai, même si parfois nous ne sommes pas armés pour entendre certaines histoires. En bref, le temps que nous engageons (sans le perdre) à les écouter, et bien plus pertinent que celui qu’on perdrait à recruter et à re-former”, conclut le chef de la Mare aux oiseaux.
Une table rue du “chef de l’Ile”
La synchronicité du nom de la rue prête à sourire. La table nichée sur le l’île de Fédrun, au cœur du Parc Naturel Régional de la Grande Brière, est encerclée par la Loire et les marais, offrant des tours en chaland d’une beauté mystérieuse.
La Mare aux Oiseaux est une maison incarnée. Incarnée par la puissance vibratoire de cette Brière suspendue entre ciel, eau et terre. Incarnée aussi par la sensibilité d’Éric Guérin et son besoin vital de créer. Un terroir rare entre Saint-Nazaire, la Baule et Guérande, un chef habité, une bienveillance omniprésente : la Mare aux Oiseaux est une maison vivante, vibrante même. « Une maison dans l’art du temps tournée vers la quête de soi. »
Des maisonnettes à têtes de chaume, des chambres sur pilotis en bordure de marais, une décoration éclectique, des oiseaux partout, et ce jardin un peu fou, où les inspirations se croisent. Entre candeur et confort absolu, la Mare aux Oiseaux cultive l’hospitalité sincère. Paradis confidentiel, les racines dans l’eau, les yeux dans le ciel, la Brière inspire autant qu’elle apaise, abritant l’ibis sacré, le goéland argenté, la sarcelle, la bernache nonette, l’anguille et la civelle.
Les oiseaux sont omniprésents, figurés, figuratifs, vivant, virevoltant et piaffant dans les volières en salle du restaurant. Entre terre et ciel, les hauteurs se confondent, le plafond miroir renvoie une beauté renversée et renversante. Dans le jardin, paradisiaque, déambulent des grues couronnées, des demoiselles de Numidie, autant d’espèces rares, soignées et domestiquées, que les clients férus d’ornithologie immortalisent. A la nuitée, chacun regagne sa chambrée, toutes baptisée d’un nom d’oiseau : courlis, colvert, bécassine, souchet, morillon, martin pêcheur, grèbe, butor, aigrette, héron, spatule blanche, tadorne de Belon, bruant des roseaux, gorge bleue ou foulque.
Éric Guérin puise ses inspirations dans son environnement et ses voyages. A 25 ans il a tout quitté pour s’installer à la mare aux oiseaux, reprenant une petite crêperie, transformée aujourd’hui en chambre sur pilotis.
L’histoire d’Éric Guérin débute à Toulouse, puis se poursuit le temps de l’enfance en Normandie, à Giverny, baignée dans l’univers du bien manger par ses grands-mères, l’une qui l’initie aux spécialités du Sud-Ouest et l’autre, prenant la défense des produits alsaciens. Élève à l’école hôtelière de Paris dès ses 15 ans, il débute son métier de cuisinier au cœur de quelques-unes de plus prestigieuses maisons de la capitale, à la Tour d’Argent, avec Manuel Martinez, chez Taillevent, avec Claude Deligne puis Philippe Legendre. et enfin au Jules Verne, auprès d’Alain Reix, chef qui l’avait fasciné depuis longtemps.
Ici, après avoir su s’affirmer et apprendre multitudes de techniques au service du produit, il découvre aussi une approche artistique de la cuisine et profite de la dimension créative d’un cuisinier, qui sait associer terre et mer avec talent. À 25 ans déjà, Éric aspire à son indépendance et cherche le lieu, où exprimer toute son imagination. Là où, plus jeune, il venait chasser avec son père, dans cette grande Brière qu’il connait par cœur. il reprend l’Auberge du Pare et la transforme progressivement en sa Mare aux Oiseaux, refuge intime dédié au partage et au soin de l’autre.
Persuadé que l’une des meilleures façons de donner un sens à sa vie consiste à le créer, il veut ici non seulement faire fructifier tout ce qu’il a reçu mais aussi être responsable d’inspirer ceux qui croiseront sa route à en faire autant. Éric veut édifier dans sa maison un cadre dans lequel chacun pourra s’exprimer, avec sa personnalité et sa culture. Pour lui, chacun est doté de talents, de qualités et d’aptitudes et doit être mis en lumière. Voir un de ses collaborateurs s’épanouir est à chaque fois un succès et une fierté et pour cela, l’artiste-cuisinier a su instaurer un esprit de solidarité rare, perçu comme une ressource et une force collective.
La création d’un poste de sourcing
La récolte des producteurs est le fil conducteur de la construction des plats. Il a créé un poste dédié aux sourcing et aux achats pour Benjamin Larue son ancien second. « Il n’avait qu’une consigne, celle de ne pas négocier les tarifs et quand une récolte semble perdue pour l’agriculteur, on regarde comment lui racheter quand même et en faire un plat, comme celui des « carottes biscornues », de la ferme des petites mottes à Saint-Nazaire », mentionne le chef étoilé Michelin. Benjamin a pour mission de dénicher des nouveaux producteurs, comparer les prix pour bien acheter. Sa fiche de poste précise qu’il doit prendre le temps d’aller à leur rencontres, faire connaissance, être sur le terrain et ramener des infos utiles pour le chef. c’est Benjamin qui va faire le tournée pour récupérer les produits. Marion Denecheau, maraichère Le Jardin d’Aliwen témoigne avec cette démarche nous ressentons le respect de nos produits et de notre travail. et quand un chef vient dans notre jardin, alors que j’aurai pu penser que le chou chinois, en inflorescence était à jeter, il a eu une inspiration pour le cuisinier a sauvé la récolte en la rachetant intégralement”.
Après un apprentissage à l’Auberge de Kerbourg, chez Bernard Jeanson qui lui enseigne tout du métier, de la sélection des produits et des fournisseurs aux techniques de cuisson, Benjamin s’envole vers les Antilles avant de revenir à Questembert, au Bretagne, comme second de cuisine puis rejoint Eric Guérin et en 2016, il est en responsabilité au restaurant Season’s à La Baule, dont la carte est signée par Eric. A la fermeture du restaurant, il deviendra assistant personnel du chef, et son ambassadeur pour des ouvertures comme celui du Café du Musée à Nantes, des missions de consulting pour les chantiers navals STX ou encore lorsqu’il s’agit de mettre en place le partenariat avec la marque Thermomix, pour laquelle, il réalise des fiches techniques-recettes et des repas appertisés pour les skippers. Mais sa principale mission est le développement d’un réseau de fournisseurs, de producteurs locaux qui vont bientôt devenir les partenaires privilégiés de La Mare aux Oiseaux. Chaque semaine, il échange avec eux, écoute ce qu’ils ont à proposer et visite les adresses qu’ils recommandent. Ainsi se construit la liste de produits à partir de laquelle les Chefs vont devoir travailler, rythmer leurs menus et créer de nouvelles recettes.
La transmission engagée au second Leo Le Brun
“Depuis plusieurs années, nous transmettons à nos équipes la culture de l’entreprise. Certains, comme Benjamin Larue, notre sommelier et Leo Le Brun ont démissionné pour créer leur entreprise. Ils ne sont plus nos employés mais des prestataires. C’est une ouverture d’esprit, et une réelle émancipation”, souligne Eric Guérin.
Né à Vannes, Leo Le Brun, se forme au Lycée Hôtelier de Saint-Nazaire et réalise son stage au « 14 Avenue », un restaurant chie de poissons à La Baule. A 16 ans, direction Paris au Pavillon Ledoyen, dans la brigade de Christian Lesquer, développe une maturité précoce dont il sait qu’elle peut constituer un socle solide pour son rêve d’avoir, plus tard, une adresse à son nom. Et ce sera celle de la Mare aux oiseaux, puisque avec Eric Guerin et Félix Rigaud, les discussions sont avancées et l’agenda déjà calé. Fin 2016, un concours de circonstances met un coup d’accélérateur à son implication dans La Mare aux Oiscaux. A 21 ans seulement, après un stage de 3 semaines auprès d’Alexandre Gauthier, il prend le poste de Second de cuisine et, porté par la confiance de son Chef, confirme encore si c’était possible sa pleine motivation à s’engager pour la maison. Avec Éric Guérin, Léo participe chaque semaine à la création des nouvelles recettes. Les discussions sont ouvertes, les échanges francs, dans cet esprit qu’il apprécie particulièrement.
Entretien Eric Guerin, Félix Rigaud et Leo Le Brun
« La mare aux oiseaux c’est une maison de vie. J’ai tout quitté à 25 ans pour m’y établir, ce fut un long parcours avec beaucoup de toute, mais la maison évolue”, mentionne Eric Guérin. Et la prochaine évolution sera la transmission à Leo Le Brun. Il est arrivé à 19 ans, n’a cessé de grandir en responsabilités à absorber chaque palier, aujourd’hui c’est une machine, il maitrise les cost, il est prêt. “J’ai les épaules”, intervient Leo, La mare c’est toute ma vie, c’est là-bas que je me sens bien, j’ai n’ai aucun doute, ni aucune peur, je m’y vois bien faire toute ma vie. C’est une réelle opportunité”.
« La facilité aurait été de revendre à un groupe, qui défiscaliserait et nous avons été approchés », reconnait Éric. “Mais c’est l’essence de ma vie, de ma maison de ce que j’ai donné, c’est un vrai bonheur de se dire que cette maison va continuer, qu’elle va continuer à protéger les gens, le village, à écrire son histoire avec Leo”.
Menu photographié Mai 2024
Par Sandrine Kauffer
Crédit photos et vidéos ©Sandrine Kauffer
Sauf mention contraire