Les producteurs de fois gras présents sur le marché ©Daniel Zenner

“Autour du foie gras d’Alsace”

Retour sur le 4ème marché alsacien du foie gras, qui a eu lieu 12 et 13 novembre 2011 au Centre Culturel et Festif “Les Tanzmatten” à Sélestat organisé par l’association des producteurs de foie gras d’Alsace fermiers, réunit sous la marque de production “Gänzeliesel”. Daniel Zenner y était pour animer des démonstrations culinaires et cours de cuisine.

“Je vous fais grâce cher lecteur, de l’historique du foie gras que vous retrouvez sur une centaine de sites et autant de livres. Tapez le mot « foie gras » sur un moteur de recherches, vous saurez tout. Même que vous pourriez écrire un livre “Copier-coller” Pour ma part, j’ai choisi aujourd’hui de vous raconter des histoires.

Au marché des producteurs de foie gras d’Alsace, événement qui a eu lieu la semaine dernière à Sélestat, une vendeuse demande à une dame son avis sur le foie gras qu’elle vient de lui donner à goûter ” Comment trouvez-vous ce foie gras ?” La dame hésitante lui répond : “Gras ! ”

Oui, le foie gras c’est gras ! Et les gastronomes assument ce fait.
Cuisinons le foie gras avec Daniel Zenner, Franck Barthel et l’Atelier des Chefs ©Daniel Zenner
Lors de la conférence qu’il a donnée sur cet événement à Sélestat, le Professeur Henry, Chef cardiologue de la clinique de l’Orangerie à Strasbourg, a affirmé que ce noble mets contient deux tiers de bonne graisse : les fameuses insaturées. Celles qui nous font grossir, (les saturées), celles qui nous bouchent les tuyauteries ou nous enrobent le cœur à la façon d’un rognon de veau, ce sont les chips, les margarines, les cacahuètes, les croissants-beurre et nos fameuses charcuteries. Ce funeste cortège de denrées riches en lipides offre aux Alsaciens le record national de maladies cardiovasculaires et de personnes obèses. Mais ce n’est toujours pas la faute au foie gras et sa dégustation ne doit pas vous faire culpabiliser, comme son prix d’ailleurs, car j’affirme haut et fort que le foie gras n’est pas une denrée chère. Achetez-le cru, entre 35€ et 50€ le KG. Un beau foie de canard pèse 600 grammes : il vous coûtera donc entre 20 et 30€. Il n’y a quasiment pas de perte et vous régalez 8 personnes ! Calculez maintenant le prix à la tranche et vous verrez que la plupart des poissons sont nettement plus chers !
Le Foie gras à l’ancienne et servi à la cuillère par Michel Orth ©JulienBinz

Les producteurs alsaciens d’oies et de canards gras ont fondé une association en 2001 : GANZELIESEL. Celle-ci regroupe 14 éleveurs. Ils sont avant tout des agriculteurs. La plupart d’entres eux cultivent les céréales, qui serviront à nourrir et à engraisser leur cheptel. Leur métier est complexe car il demande des compétences variées. Il faut connaitre le travail de la terre et des machines, savoir gaver dans les règles de l’art, transformer les produits et enfin les commercialiser en jouant du marketing et en maitrisant l’outil informatique…

Tous possèdent des ateliers aux normes et un magasin de vente directe. Quelques-uns vendent aussi sur les marchés des grandes agglomérations : ils viennent à la rencontre des citadins. Pour les restaurateurs d’Alsace, il est souvent difficile de s’approvisionner en foie gras locaux car les quantités produites ne sont pas énormes et ne suffisent de toute façon pas à fournir les transformateurs alsaciens. L’IGP “Foie Gras d’Alsace” est dans les cartons, mais d’après ma petite enquête elle a peu de chance d’aboutir…

Moins de la moitié des adhérents gavent des oies. Pourtant, l’Alsace est connue pour son foie gras d’oie issu d’une espèce bien particulière, que l’on retrouve sur les dessins de Hansi. Plus fin que le canard, la production du foie gras tant convoité demande plus de soins et d’attention. Son prix se justifie aussi par une durée d’élevage plus longue.

Battes de base-ball et foie gras

Gérard Goetz, chez Julien à Fouday ©JulienBinz
L’an dernier, avec la région Alsace, nous avions installé un village alsacien pendant cinq jours sur la place principale d’Anvers. Au programme : des concerts, des animations folkloriques, des démonstrations culinaires, des vins d’Alsace, des institutions touristiques ainsi qu’une quinzaine d’exposants proposaient les bons produits d’Alsace. Bien sûr, les foies gras étaient de la partie. Gérard Goetz avait monté un superbe restaurant, dans lequel il proposait sa cuisine renommée. Les plats contenant du foie gras, dont son réputé “pressé de volaille au foie gras” ne manquaient pas sur la carte. Trois jours avant le début de l’opération, nous sommes informés par les services secrets belges de l’importante probabilité d’une manifestation organisée par un groupe de personnes résolument contre le gavage, probablement issue de la mouvance anglo-saxonne. Paraît que les gars ne sont pas des tendres : ils prennent position devant les espaces qui proposent la divine denrée, s’assoient devant pour empêcher les visiteurs d’accéder aux stands, crient des slogans, brandissent des pancartes, où l’on voit un canard agonisant et distribuent des tracts sanguinolents.
Gavage des oies. ©DR
Les anti-gavages belges sont un peu plus vaillants que leurs confrères Strasbourgeois car eux, ils se munissent de battes de base-ball (toujours la mouvance anglo-saxonne…) et cassent tout ce qu’ils trouvent. Après avoir consultés nos partenaires concernés, nous avions décidé de ne point parler foie gras sur cet événement pour ne pas mettre en péril l’existence même de ce village. Gérard n’a pas emmené son merveilleux pressé de volaille, “Les Foies Gras du Ried” sont restés… dans le Ried, j’ai rayé les recettes des démonstrations culinaires qui en contenait et nos Alsaciennes de Berstett ont pu danser. Bref, l’omerta sur le foie gras d’Alsace a bien eu lieu.

Tu me gaves

Que faut-il penser du gavage ? Peut-on en parler librement ? Est-ce toujours un sujet tabou, alors qu’on déguste en France ce mets précieux qui nous vient de la préhistoire de notre culture latine ? Merveilleuse terrine de foie gras que les gastronomes du monde entier nous envient. Sera-t-il bientôt honoré du titre de ” Patrimoine immatériel de l’humanité ?”

Mais revenons au gavage. Si celui-ci existe, c’est bien la faute aux oies et aux canards, car les Romains, il y a plus de deux mille ans s’étaient aperçus que les foies de ces doux volatiles étaient nettement meilleurs à la fin de l’automne, juste avant que ces oiseaux ne partent pour leur migration annuelle. Pas étonnant, car nos anatidés possèdent un pouvoir extraordinaire : celui de pouvoir stocker l’énergie nécessaire aux longs vols pour franchir terres et océans, sous forme de graisse accumulée dans le foie. Cet organe abdominal à la faculté de doubler de volume, puis de revenir à un état normal sans préjudice pour l’oiseau. Canards et oies ont donc honorablement gagné les palmes de l’invention du foie gras.

Les Romains n’ont fait que reproduire le phénomène en faisant il est vrai, ingurgiter énormément de figues et de miel aux oies. Ceci dit, je n’aimerai pas être à leur place. Un peu comme si vous deviez bouffer quinze hamburgers, sachant qu’un seul, c’est déjà une prouesse. Je dis bouffer et non manger ou apprécier pour ce type d’aliment standard représenté dans plus de cent pays.

Cet hiver, je vous réserve une chronique sur le sujet, ça va déménager !
lobe de foie gras ©DR

En tant que gastronome convaincu, je vis un cruel dilemme : je suis contre, le gavage mais pour le foie gras ! Mon appétit pour ce met rare, unique et succulent l’emporte : je ne suis qu’un homme !

Alors je me console, et pour me déculpabiliser, j’ai quelques arguments.

1) Certains observateurs rapportent que quand la manœuvre est bien conduite, l’animal vient de lui-même vers la personne préposée au gavage. Mythe ou réalité ? Je ne sais.

2) Pour qu’un canard accepte d’être gavé, il faut qu’il ait eu avant une vie saine et heureuse : liberté, exercice physique, nourriture de premier choix, lecture du guide Michelin.

3) Le foie n’est pas malade, car si l’oiseau gavé au bout de six jours est remis en liberté, son organe reprend peu à peu un aspect normal. Au bout de dix jours, il est vrai, les lésions sont irréversibles…

4) Ce mets est une particularité bien Française que les autres nations nous envient.

5) Le foie gras est un aliment magique : il s’accorde avec presque tout.

Les derniers jours de vie de nos palmipèdes sont donc offerts à Comus, Dieu de la cuisine, un peu comme les jeunes vierges que les anciennes civilisations immolaient pour plaire aux Dieux. Oui, ces oiseaux, à travers leurs derniers jours, sont sacrifiés sur l’autel de la gastronomie en nous offrant une nourriture divine. Je ne cesserai donc de les remercier et inviterai sur ma table de Noël, une oie grasse farcie de châtaignes et de son noble foie.

Par Daniel Zenner