Préparez-vous une béarnaise classique, ancienne, au beurre ou moderne ?

La sauce béarnaise

 

De quand date la sauce béarnaise ? Chaque fois que j’ai une telle question, je prends mes livres de cuisine anciens, en partant du Viandier et en remontant vers aujourd’hui. Bien sûr, il faut faire attention à l’orthographe, parce que les s sont écrits f, par exemple, les accents manquent, et les mots ont évolué. Sauce, par exemple, c’est « saulce ».

Cela étant, à propos de sauce béarnaise, rien dans les livres du 14e, 15e, 16e ou 17e ou 18e siècles ! Des auteurs modernes donnent, sans preuve, l’histoire d’une réduction d’échalotes ratée par le chef Jean-Louis François Collinet, à Saint-Germain en Laye… mais c’est sans preuve. On cite aussi Alexandre Dumas, mais l’écrivain ne donne pas de preuve non plus. Ce qui est certain, c’est que la première sauce béarnaise publiée, dans mon fond, est donnée par Jules Gouffé, dans son Livre de cuisine, publié en 1867. Et sa recette est la suivante :

RECETTE SAUCE BÉARNAISE.

Mettez dans la casserole : 5 jaunes d’oeufs, 30 grammes de beurre, 1 petite pincée de sel, 1 prise de poivre. Tournez sur le feu avec la cuiller; aussitôt que les jaunes d’oeufs commencent à prendre, retirez du feu et ajoutez 30 grammes de beurre ; Remuez sur le feu avec la cuiller, et ajoutez de nouveau 30 grammes de beurre; faites deux fois la même opération ; Goûtez pour l’assaisonnement, puis ajoutez une cuillerée à bouche d’estragon haché et une cuillerée à café de vinaigre à l’estragon. Cette sauce doit être ferme et avoir la consistance de la mayonnaise.

Puis, en 1883, Joseph Favre donne des indications dans son Dictionnaire de cuisine :

BÉARNAISE, s. f. (sauce à la); de Béarn, sauce à la Béarnaise. — Les artistes les plus autorisés de l’art culinaire n’étant pas d’accord sur la composition primitive de cette sauce, nous avons dû remonter à sa source pour en élucider la question : Son origine le Béarn nous démontre qu’elle a dû être faite avec de l’huile d’olive dès son apparition. Et là, il identifie une béarnaise différente de celle que nous connaissons… mais ne donne à nouveau aucune source !

Sa « Béarnaise ancienne » se fait de la façon suivante : Concasser du poivre blanc en grains et le mettre dans une petite casserole avec deux décilitres de vinaigre d’estragon ; laisser réduire un instant ; passer le vinaigre dans une tasse, afin de le débarrasser du poivre. Tailler très fin six échalotes et les mettre avec le vinaigre dans la même casserole et faire réduire à moitié de son volume. D’autre part, mettre dans une casserole froide une cuillerée à bouche d’eau, six jaunes d’œuf et du sel (cela pour éviter le contact immédiat du vinaigre, qui brûlerait dans une minute les jaunes d’œuf, et l’opération serait nulle). Mettre la casserole sur un fourneau d’une chaleur moyenne ; remuer les œufs en y ajoutant par intervalles, et progressivement à la chaleur, de petites doses d’huile d’olive fine jusqu’à absorption d’un demi-litre. Maintenir la casserole d’une température chaud-tiède et ajouter alors la réduction de vinaigre et d’échalotes, et achever cette sauce par de l’estragon et du cerfeuil hachés.

Mais, ensuite, il donne une recette de « béarnaise au beurre », que voici :

Faire réduire à moitié de son volume deux décilitres de vinaigre d’estragon avec six échalotes ciselées. Retirer la casserole, laisser refroidir un peu ; mettre dans une autre casserole six jaunes d’œufs; deux cent vingt-cinq grammes de beurre fin; poser la casserole sur l’angle tiède du fourneau, remuer et ajouter la réduction ; continuer ce travail en ajoutant le beurre, dont la quantité totale doit être trois cents grammes. Maintenir la casserole tiède et achever avec de l’estragon et du persil hachés, du sel, et, pour suppléer à la réduction du poivre, on peut donner deux ou trois tours au petit moulin à poivre, ce qui donne toujours un arôme agréable.

Cette fois, c’est notre béarnaise moderne, dont on voit qu’elle contient sans doute plus d’oeuf qu’aujourd’hui. La dernière phrase, à propos du poivre, doit nous rappeler la mémoire du merveilleux Emile Jung, décédé l’an passé, et qui disait : « Il faut une partie de violence, trois parties de force, et neuf parties de douceur ».

Par Hervé This