La croustade - Hervé This

La croustade

Dans le Tarn, une fermière m’a transmis sa recette de « croustade » : une sorte de Strudel aux pommes, sans cannelle, mais avec de l’eau de fleur d’oranger. C’est un fait que l’usage semble établi, dans ce pays-là, mais le mot croustade est en réalité connu depuis très longtemps, dans la cuisine classique, et pour d’autres préparations.

Commençons par consulter le dictionnaire de l’Académie française, qui dit que le mot serait dérivé de l’italien crosta, « croûte », du latin crusta. On nommerait croustade des préparations qui seraient enveloppées dans une croûte de pâte un peu croquante : c’est ainsi que l’on ferait des croustades de ris de veau, de poisson, de champignons, de homard.

Et ce dictionnaire renvoie vers un dictionnaire des régionalismes de France, pour lequel l’usage de ma fermière est attesté : « gâteau de forme ronde, léger et feuilleté, fait d’une pâte étirée très finement, souvent agrémentée de pommes ou de poires ». Ce dictionnaire donne le mot croustade synonyme de « pastis » (notamment le « pastis gascon »), « tourte », « tourtière », et il signale justement que la croustade était préparée à la graisse d’oie au lieu de beurre. Personnellement je l’ai vue faire à la graisse de canard, plus courante que la graisse d’oie.

Cela étant dit, il faut aller voir dans les livres de cuisine classique française, pour dépasser cet usage régional. Et il n’est pas nécessaire d’aller très loin, car Joseph Favre, dans son Dictionnaire universel de cuisine, indique « Les croustades qui sont en usage depuis quelques années sont des timbales basses et évasées qui rendent le service plus pratique, il n’y a aucune différence à faire avec les timbales en ce qui constitue la garniture ». Et il donne une recette de croustades de cailles : « Préparer une garniture de bouchées à la financière, parfumée d’un fumet de caille ; la dresser dans une petite croustade cuite à blanc, avec un demi ou un quart de ; caille rôtie d’avance. Couvercler et servir chaud ».

Mais une croustade est une pièce de pâtisserie (d’où le mot « pastis », au sens précédent du pastis gascon), et c’est donc dans des livres de pâtisserie qu’il faut aller chercher. Ainsi, en 1898, chez Émile Darenne et Émile Duval, on trouve une « Croustade bohémienne » : il s’agit de cuire une pâte à blanc, puis d’y mettre de la confiture, des tranches d’ananas, un appareil de riz cuit au lait vanillé et additionné de crème fouettée et fruits confits, coupés en quartiers ; on nappe ce dôme d’un sirop épais et l’on termine avec une couche de meringue décorée au cornet. On trouve aussi des « croustades Roxelane » : de petits pains en brioche de forme ovale, décalottés, creusés et garnis de purée de pommes de terre additionnée de truffes hachées et de fromage râpé ; on fait gratiner à four vif.

Plus ancien ? Jules Gouffé, en 1873, mentionne des « petites croustades » qui se font avec de la pâte à timbale cuite à blanc, et qui se garnissent de purée et de salpicon. On fait aussi ces croustades avec du feuilletage à gâteau de rois à six tours au lieu de pâte à timbale.

Et, surtout, on trouve de belles recettes chez Marie-Antoine Carême, au tout début du 19e siècle. Par exemple, une « croustade de pain garnie d’une escalope de levrauts au sang » : cela se fait avec du pain à potage de mie très légère, « rassis d’un jour ou deux », et que l’on cuit dans du beurre clarifié ; puis on masque de farce à quenelle de gibier, et l’on cuit au four très légèrement ; enfin après avoir ainsi préparé la croustade, on coupe en escalope huit filets de levrauts, et on les place à mesure dans un grand plat à sauter, avec du beurre clarifié ; une fois cuits, on les met dans la croustade avec une espagnole liée au sang, monté au beurre ».

Autres belles recettes de Carême : des croustades de cailles au gratin, que l’on emplit cette fois avec de la farce fine, des cailles désossées et farcies, des champignons. Ou de petites croustades à la béchamel, qui se font dans des moules à darioles, foncés avec des parures de feuilletage et emplies de blancs de volaille en petits filets, de truffes, de langue à l’écarlate, de champignons, et de béchamel… mais d’une béchamel à la Carême, et pas ces sauces batardes qui en usurpent le nom.

Quelquefois, ajoute Carême, on sert cette garniture hachée ou coupée en petits dés ; puis on sert encore dans ces petites croustades des filets de soles coupés en petits dés, avec des champignons coupés de même, ou bien des filets de turbots, de barbots, de brochets, de perches et de grondins, le tout également saucé à la béchamel.

Terminons en signalant que les croustades ne sont pas apparues avec Carême : dès 1712, on trouve un « pâté de croustade » chez François Massialot, et on parle de viande en croustade quand une viande est cuite dans une croûte : un jambon, une épaule d’agneau, etc.

Par Hervé This