C’est véritablement son année ! Mauro Colagreco, le chef du Mirazur à Menton est sous les feux des projecteurs et rafle toutes les distinctions.
Le 21 janvier 2019, il décroche 3* au guide Michelin. Élu chef de l’année lors de la soirée du magazine le chef le 23 septembre 2019, on le retrouve le lendemain dans le jury de la sélection du Bocuse d’or France à la Mutualité à Paris. Entretien avec le chef Argentin.
Élu Chef de l’année, quelle a été votre réaction ?
Ce fut beaucoup d’émotion, c’est très important d’être reconnu par ses pairs. Quand je suis arrivé en France il y a 20 ans, je ne l’aurai pas du tout imaginé. Je me souviens des deux premiers magazines professionnels que j’ai lus en France, le Thuries et Le Chef que nous recevions quand j’étais en stage chez Christopher Coutanceau. J’ai donc des souvenirs forts et cela m’a beaucoup touché.
Avec Laurent Petit, nous pensions que nous le méritions tous les deux de la même façon. Nous en avions parlé et j’avais dit à Laurent que si c’était moi qui était élu, nous monterions tous les deux sur scène. J’ai tenu ma parole, pour moi c’est normal je suis fier de l’avoir fait. Il était très ému, et sa sensibilité m’a beaucoup touché aussi. Nous avons partagé cette émotion.
Au début d’année, vous décrochez la troisième étoile, puis la première place The World’s 50 Bestrestaurants
Ce fut incroyable, pour la première fois en 110 ans de l’histoire du Guide Michelin, que trois étoiles soient données à un chef étranger en France. C’est historique de rentrer dans la cour des grands. Depuis 14 ans avec ma femme, ma famille mon équipe, nous avons fait des sacrifices, c’est une consécration pour tous.
Et 4 mois après, cette “bombe” 50 BestRestaurants.… c’est une grosse machine avec une portée mondiale impressionnante pour celui qui décroche la première place. Nous étions quelques années dans les 10 premières places mais là c’est grandiose ! Les équipes sont encore plus motivées, encore plus soudées. Nous avons de la chance d’avoir des demandes de candidatures du monde entier, nous pouvons choisir nos équipes et avec les difficultés à recruter le staff en ce moment, c’est une grande chance.
On prend ce qui nous arrive avec beaucoup de bonheur, de fierté, d’humilité et de responsabilité, car je ne pense pas qu’on soit mieux que les autres, nous sommes de simples cuisiniers, et nous avons beaucoup d’amour pour ce beau métier
Vous avez accepté d’être dans le jury du Bocuse d’or France
C’est un grand honneur car je ne suis pas un homme de concours, j’ai une admiration profonde pour les candidats, c’est un vrai effort physique et mental. D’avoir été appelé dans le jury de la sélection française montre l’esprit d’ouverture qu’il y a au sein du comité, c’est très intelligent de chercher d’autres visions de la cuisine. C’est se maintenir en éveil pour monter le niveau de notre cuisine française, cette excellence qui m’a personnellement poussé à venir en France et qui pour moi, est la meilleure cuisine au monde.
Quand j’étais en Argentine il y a 20 ans je regardais le Bocuse d’or avec une grande admiration. J’ai gardé intact cette admiration. En observant les candidats travailler, j’ai vu de nouvelles techniques, j’apprends et je me remets toujours en question. J’ai détaillé les assiettes d’artichauts. J’ai vu des moules préfabriqués pour faire des tuiles délicates et très fines, je vais essayer de faire, c’est très inspirant. L’assiette végétale est un sujet. J’ai la 4 hectares de jardins, et les légumes sont un pilier de notre cuisine. Le monde doit consommer plus de végétaux et moins de protéines. Le lapin est un sujet difficile, qui a poussé les candidats à donner leur maximum.
Avez-vous un message à transmettre ?
Je souhaite transmettre un message de responsabilité environnementale. Ce n’est pas une question de mode, c’est une urgence, un impératif, il faut se remettre en question
L’an dernier j’étais le parrain du World Summit à Monaco et nous allons intervenir cette année aussi dans une conférence pour mettre en place l’élimination du plastique en cuisine. Nous y travaillons depuis deux ans, et nous arrivons au bout de cette démarche et du processus pour obtenir la norme ISO pour l’élimination du plastique. On sera le premier restaurant à le faire. Nous avons conscience de l’impact de nos pratiques dans l’environnement et nous avons la chance de pouvoir changer nos habitudes. Le rôle des chefs est aussi de montrer l’exemple et de transmettre des messages.
Par Sandrine Kauffer-Binz