Le cri du homard par Daniel Zenner

Le gouvernement Fédéral Suisse, sous la pression de quelques écologistes vegans et autres végétaliens frustrés, vient de pondre une ordonnance, à Berne, le 10 janvier 2018. Le texte stipule que “les décapodes marcheurs vivants, tels les homards, ne peuvent plus être transportés sur de la glace ou dans de l’eau glacée. Désormais, les espèces aquatiques doivent toujours être détenues dans leur milieu naturel. Les décapodes marcheurs doivent dorénavant être étourdis avant la mise à mort, par un choc électrique ou la destruction mécanique du cerveau. La pratique consistant à plonger les homards vivants dans de l’eau bouillante sera interdite à partir du 01 mars 2018. Qu’on se le dise !

Homard, caviar, truffe, foie gras. Voilà bien quatre mets de luxe, hautement symboliques, que la nation helvétique ne produit pas. Le bijoutier, le banquier ou le marchand de voiture de luxe en sont pourtant friands. Le sort du foie gras est bien scellé. Depuis plus de trente ans, il est interdit de gaver des palmipèdes en Suisse, sachant que 280 tonnes de foie gras ont quand même été importés en 2013.

Les Suisses seraient-ils donc des hypocrites ?.

En ce qui concerne le caviar, le fait d’éventrer une femelle pour lui voler ses oeufs ne semble pas les gêner.

Mais revenons à nos homards.
Le Suisse, frustré de n’avoir aucun accès à l’océan, taxe les produits de la mer qu’il ne peut produire. Dans ce pays ou le protectionnisme est érigé en religion d’état, les décapodes marcheurs ne sont pas les bienvenus. Surtout le homard. Le texte ne mentionne que le plus noble des crustacés. Pas un mot sur les autres décapodes marcheurs munis de cinq paires de pattes, comme les langoustes, langoustines, crabes, écrevisses ou crevettes.

Désormais, ces crustacés devront être détenus dans leur milieu naturel. J’avoue que je ne comprends pas. Doivent-ils organiser le transport de ces animaux dans d’immenses citernes d’eau de mer? Dans les bons restaurants, les homards, langoustes, écrevisses ou langoustines doivent arriver vivants car ces animaux non cuits et morts perdent toute leur valeur marchande et surtout leur goût délicat et leur texture.

Daniel Riveti, chef écailler à la brasserie du Grand-Chêne du Lausanne Palace, prend acte de la mesure:

“Dans un premier temps, nous pourrons acheter des homards déjà cuits auprès de nos fournisseurs.” Quant à la machine pour électrocuter les crustacés, “elle coûte cher et pas sûr que le fournisseur pourra équiper tout le monde à temps”.

Imaginez maintenant le deuxième commis-poissonnier du Palace “Beau Rivage” à Lausanne en train d’électrocuter une par une 15 kilos de langoustines. Et je ne parle pas des 10 kilos de crevettes…

Concernant le homard passé à la chaise électrique, je ne pense pas que les nobles chairs gagnent en finesse. Si j’avais été dans la bande des comiques-législateurs à Berne le 10 janvier 2018, j’aurai purement et simplement interdit l’importation de tout décapode marcheur vivant en Suisse.

Car le homard, souvent hors de son milieu naturel depuis plusieurs jours, à les pinces serrées dans un élastique puissant. Un peu comme si on vous passait un immense élastique autour des mains afin que vous ne puissiez même plus bouger un petit doigt, et cela pendant plusieurs jours…

Au tour des écrevisses, décapodes marcheurs d’eau douce. Pour les cuisiner “à la Bordelaise” selon les préceptes d’Auguste Escoffier, il faut les châtrer vivantes. D’un geste précis, en pinçant fort une partie des écailles sous l’abdomen, on retire d’un coup sec l’intestin noir de la bête. Cette pratique barbare est nécessaire au palais éduqué d’un gastronome car l’écrevisse non châtrée pourrait communiquer un goût amer aux délicates chairs.

Mais que fait le législateur Suisse?

Pourquoi n’interdit-il pas cette pratique? Pourquoi continue-t-il à autoriser des élevages de 100.000 poulets? Des élevages de truites? des porcheries industrielles? Ont-ils pensé aux perches et féras du lac Léman extraites de leur milieu naturel avec un hameçon piqué dans la gorge, agonisants, étouffants à la recherche d’oxygène dans les caisses sur le pont des bateaux?

Et que dire, au pays des milles vaches Milka, sur les veaux élevés sous la mère? Gentil veau-veau séparé de sa maman, choc émotionnel intense de la séparation, autant pour la mère que pour son enfant, transporté dans le couloir de la mort, où il sentira l’odeur du sang, avant d’être étourdi puis distribué à la Migros, détaillé en escalopes en barquettes polystyrènes recouvertes de polyéthylène. Et qui peut vous affirmer que la gentille vavache et le mimi veau n’ont pas été saignés sans étourdissement selon les rituels musulmans ou casher? Cette pratique est interdite en Europe, mais possible grâce à une simple dérogation. C’est là-dessus, amis Suisses qu’il faut se battre, car la souffrance d’un mammifère herbivore et paisible, ruminant dans l’antichambre de la mort, doit être infiniment supérieure à celle ressentie par un homard tueur. Oui, pour produire du lait, il faut des mignons petits veaux. Pour l’entretien de vos alpages, il faut des herbivores. Si il n’y avait plus de paysans et plus de vaches, vous n’auriez plus que des forêts.

Amis vegan et végétariens, foutez-nous la paix.

Continuez à dévorer crues et râpées vivantes vos carottes des sables. Bandes d’hypocrites anthropocentriques qui pensez qu’un végétal n’éprouve pas d’émotions ou de douleurs.

Pourtant, les végétaux communiquent entre eux grâce à des phéromones et à un système complexe dans l’enchevêtrement des racines. La carotte, comme vous, connait, si on lui laisse la vie sauve, la naissance puis la mort. Elle fait caca, pipi, transpire, se reproduit, grandit. Son sang se nomme sève: voici ses lymphes et son hémoglobine végétale. Manger ou être mangé, telle est la loi de la nature, valable aussi pour Dame carotte.

Mais revenons à notre homard. Suisse, Canadien ou Breton, peu importe.
L’animal n’a pas bonne presse. Il est décrit comme opportuniste, prédateur, essentiellement carnivore, solitaire, détritivore, agressif, nocturne, fouisseur, charognard et cannibale au grand dam des aquaculteurs qui tentent de l’élever. Mais au grand plaisir des gastronomes qui s’en délectent.

La bête, véritable char d’assaut, équipé comme un AMX30 radars et blindage compris, se nourrit de toutes chairs, n’hésitant pas à cisailler à l’aide de ses formidables pinces, une à une, les pattes des crabes, les bras des étoiles de mer, à ouvrir des bigorneaux ou à dévorer crus et vivants des poissons passant à sa portée.

Ce crustacé mue une bonne vingtaine de fois durant son existence qui peut durer plus de cinquante ans, dans le meilleur des cas. Si il n’est pas pêché par l’homme, dévoré par les phoques, ou déchiqueté délicatement par une murène. Son système digestif est très performant, il s’agit, d’après les spécialistes d’un “véritable moulin gastrique”.

Mais il n’arrive cependant pas encore à digérer et à synthétiser les milliards de milliards de milliards de microparticules de plastiques offerts par les humains aux océans de la planète.

Amis Suisse et vegan, amis des bêtes et de la nature, faisons un procès aux sardines car elles dévorent crus et vivantes des larves et des petits invertébrés. Faisons un procès aux maquereaux qui mangent les sardines, aux dorades qui se délectent des maquereaux, aux thons qui s’empiffrent de dorades, aux requins qui s’engraissent de thons, aux orques qui chassent et tuent les bébés baleines. Et aussi à ces carnivores d’ours blanc qui saignent vivants et arrachent les chairs tièdes aux morses et aux otaries. Vivement le réchauffement climatique qu’on en parle plus!


Mais revenons à nos homards. J’ai appris, il y a fort longtemps, comment sacrifier ce succulent charognard cannibale. Par la destruction mécanique du cerveau. Je ne savais pas que le fait d’introduire subitement une lame pointue d’un couteau rigide dans le sillon situé au milieu de la tête, se nommait ainsi. Et mon homard devait moins souffrir que quand il était déchiqueté par une murène dans son habitat naturel.

Mais les homards ont aussi un côté bien sympathique, car bien avant les humains, ils pratiquaient déjà lors de leurs rites amoureux, la position dite du missionnaire: “Avant l’accouplement, les deux partenaires, face à face, font connaissance en se touchant du bout des antennes. Puis, la femelle fait volte-face, et présente son abdomen replié au mâle. Celui-ci la retourne alors sur le dos et utilise des appendices abdominaux pour déposer sa semence, sous forme d’un petit sac, dans le réceptacle séminal de la femelle”. C’est pas mignon tout ça? En tout cas, vachement plus poétique qu’une insémination artificielle d’une vache Milka.

Et le cri du homard dans tout ça?

Car la langouste, à l’instar de son cousin le roi des crustacés, pousse des cris lorsqu’elle est précipitée dans une casserole d’eau bouillante. Tout le monde le sait. Surtout les imbéciles et les incultes.

Les crustacés n’ont pas de cordes vocales et n’émettent jamais, même dans leur milieu naturel, le moindre son. Ils n’en sont physiologiquement pas capables. Alors comment pourraient-ils crier dans le fond d’une casserole d’eau chaude, situation bien moins confortable que d’être tapis dans son terrier de sable à observer le commandant Cousteau et Falco?

Les bruits entendus pendant la cuisson ne sont donc pas les cris du homard, mais un simple phénomène d’expansion des poches de gaz contenues dans sa carapace…

A force d’écrire sur le homard, j’ai envie d’en cuisiner et de m’en délecter. Un vrai homard à “l’américaine” et non pas à “l’armoricaine”, appellation usurpée qui n’est qu’une déformation “d’américaine “, sans doute parce que la Bretagne, anciennement nommée “Armorique” est une des principales régions productrices de ces crustacés.

La légende attribue la création du homard “à l’américaine” à Pierre Fraysse, un cuisinier natif de Sète qui, de retour des États-Unis, ouvrit en cette ville méditerranéenne, en 1854 un restaurant dénommé Chez Peter’s. Or, en 1853 déjà, on trouvait pour la première fois un plat dont la dénomination exacte était « homard à la languedocienne servi avec sa sauce américaine », imprimé sur la carte du restaurant Bonnefoy à Paris, avec pour chef Constant Guillot. Fraysse pourrait donc tout au plus avoir donné son nom au plat connu sous le nom de « homard Bonnefoy », et auparavant sous le nom de “langouste niçoise.”

Cuisinières et cuisiniers Suisses, reprenez espoir!
Si au premier mars vous ne pourrez plus ébouillanter un homard, vous pourrez toujours le passer à la vapeur à 90°C, le jeter dans un micro-ondes pleine puissance, le déposer dans un récipient rempli de Coca Cola, le tremper dans un bain d’acide sulfurique ou injecter en ses entrailles de la crème Mont Blanc saveur vanille.
Ces pratiques ne sont pour l’instant pas interdites, profitez-en!

Par Daniel Zenner