Homard à la cardinale

À la cardinale

À la cardinale : quand c’est rouge, quand c’est élevé. 

Dans les livres de cuisine, on trouve des recettes « à la cardinale ». De quoi s’agit-il ? D’abord une boisson dont la création est – dit Joseph Favre dans son Dictionnaire universel de cuisine (1896) – attribuée au cardinal de Richelieu, qui fut le principal ministre du roi Louis XIII. On la compose avec du rhum (1 litre), du sucre (500 g), de la cannelle, et l’on boit cela chaud.

Mais une autre boisson dérivée est le « cardinal au champagne », qui se fait avec sucre (780 g) et vin blanc (1/2 litre), rhum (1/2 litre), et on ajoute du champagne (1/2 litre) au moment de servir glacé.

Dérivée de ces deux recettes, le « cardinal aux fraises », qui se fait avec 1 L de rhum, 800 g de sucre, le zeste de deux oranges, le jus des deux oranges, 400 g de fraises passées au tamis, avant de servir avec 400 autres g de fraises entières, le tout bien glacé.

Mais il y a aussi des sauces à la cardinale, notamment en relation avec le homard, puisque ce dernier, initialement bleu, devient rouge à la cuisson : on dit qu’il « cardinalise à la cuite » par référence à la robe rouge des cardinaux. Par exemple, une sauce à la cardinale peut se faire avec un roux, du fond de poisson et de champignons, le tout coloré avec purée de tomate, piment de Cayenne, filet de jus de citron. Et, dérivée de cette sauce, la sole à la cardinale, qui est de la sole sautée au beurre, avec une sauce cardinale. Ou encore le homard cardinal, dont la recette est la suivante :

« Mettre cuire un gros homard dans un court-bouillon. Le couper par la moitié en long, retirer l’intérieur en ayant soin de ne pas endommager les deux moitiés de carapace, les déposer sur un plafond, mettre dedans quelques têtes de champignons hachées et les tenir au chaud dans l’étuve. D’autre part, préparer une sauce à la nantuatienne, un peu relevée de cayenne, ferme et pas trop grasse ; escaloper les chairs du homard, les mettre dans la sauce pour les chauffer ; les remettre à leur juxtaposition dans l’intérieur des carapaces ; garnir avec la sauce et saupoudrer copieusement avec du fromage de parmesan râpé. Faire glacer dans un four très chaud et servir en sortant du four. »

Là encore, c’est bien la couleur rouge qui justifie la dénomination, et, d’ailleurs, cette recette est une création du 19 e siècle, très exactement des maisons Paillard, à Paris.

De même, en pâtisserie, la couleur rouge fait l’entremet nommé cardinal :

« Piler les amandes (230 g) avec le sucre (250 g) et les passer au tamis ; travailler dans une terrine avec 5 œufs entiers et cinq jaunes, et réserver les cinq autres blancs ; parfumer avec la vanille et aussitôt la pâte montée, ajouter la farine, le beurre fondu crémeux et les fruits confits hachés ; mélanger à la pâte les blancs bien fermes. Beurrer et fariner des moules à génoise, les garnir de cette pâte et cuire à four doux. Lorsqu’ils sont cuits et froids, les glacer au fondant à l’orange et les décorer dessus d’orangeat coupé en losanges, triangles et petits ronds, de façon à pouvoir former une jolie rosace. »

De même, pour ces petits-fours nommés cardinaux :

« Garnir des moules forme berrichonne, ronde, avec une boule en pâte d’amande fondante parfumée au rhum. Faire au milieu un petit trou avec une douille ; garnir de confiture framboisée, glacer partout abricot rouge. Mettre au pied, tout le tour, du petit sucre en grains et dessus un point blanc au fondant. »

La forme berrichonne ? Comme des dés à coudre, mais plus gros : des troncs de cône d’une dizaine de centimètres de hauteur et d’autant de largeur pour le diamètre supérieur.

Tout cela ne nous explique pas pourquoi on parle d’un « membre de mouton à la Cardinale » quand il est cuit avec bouillon, bouquet garni et champignons. Certes, il y a la possibilité de cuire en présence de viande à l’écarlate, mais cette dernière est d’introduction récente, et ce n’est donc pas la bonne piste. Amusant, d’ailleurs que la référence aux cardinaux disparaisse des livres du 18 e et du 19ème siècle… pour ne réapparaître, très anciennement, que chez François Marin, avec ses dons de Comus, et l’on trouve enfin la clé du mystère, avec un « pâté à la Cardinale » : c’est un pâté haut et étroit (accompagné de ces quenelles particulières que l’on nomme des godiveaux. Et là, tout s’éclaire : c’est la hauteur du pâté, ainsi que le cortège, qui font la dénomination.

Par Hervé This