Les produits proposés par Monsieur Kagoshi

La sauce de soja de Monsieur Kagoshi par Daniel Zenner

La visite de cette petite entreprise familiale existante depuis plusieurs générations m’a beaucoup ému. Installée non loin de Shizuoka, elle perpétue une tradition séculaire dans la façon d’élaborer le sohyu et le miso. Ces procédés sont restés inchangés depuis deux cent ans. J’ai ressenti les mêmes sentiments de respect et d’admiration que lors de visites dans des caves de grandes maisons de Bourgogne ou lors de ma découverte de la brasserie Cantillon à Bruxelles dans laquelle mûrissent les meilleures gueuzes du monde.

Dans une grande pièce sombre, sont installées d’immenses grandes cuves en bois de cèdre. Celles-ci n’ont pas de couvercles et sont recouvertes de champignons. Les micros organismes sont à la fête. Bactéries et mycéliums travaillent en silence, pendant près d’un an et demi, à fermenter et à dégrader la pâte épaisse qui est laissée à l’air libre.
Une partie des cuves en cèdre cerclées de fibres de bambous
Les ingrédients pour élaborer de la sauce soja sont des graines de soja, du froment et quelquefois du riz. Monsieur Kagoshi n’emploie que du soja provenant du nord des plaines d’Hokkaïdo, le meilleur d’après lui. Les graines de soja sont mises à tremper pendant une douzaine d’heures puis cuites à la vapeur pendant dix à douze heures. Une fois refroidies, monsieur Kagoshi ajoute du blé grillé puis ensemence le tout avec les spores d’un champignon spécifique: l’Aspergillus oryzae. La pâte épaisse est ensuite déposée sur des claies en bois empilées les unes sur les autres. Cette masse ne tardera pas à être envahie par le mycélium du champignon qui va recouvrir l’ensemble d’un feutrage blanc. Puis, Aspergillus oryzae va activer la production de plusieurs enzymes et sucres. Cette pâte est nommée koji.
Après plusieurs jours, le koji est dilué avec une saumure composée d’eau et de sel de mer.
Les bords de la cuve sont une véritable culture de mycéliums
Ce mélange, appelé moromi, est alors versé dans les grandes cuves sans couvercles. Grâce aux champignons et bactéries présents naturellement dans la pièce, le moromi va se transformer en une pâte épaisse, brune et salée. Le mélange est de temps en temps remué. La maturation va se poursuivre pendant un an et demi. L’alchimie prend forme et goût. Le temps est un allié précieux pour monsieur Kagoshi. Les cuves en cèdres cerclées de fibres de bambous sont tapissées de moisissures, ces champignons qui donneront une saveur spécifique à la préparation, comme un goût de viande cuite et grillée.
La famille Kagoshi au grand complet!
Puis au bout de dix huit mois, la pâte est pressée entre des toiles épaisses de fibres végétales, à l’instar du pressage traditionnel à froid des vraies huiles d’olive. La presse, installée à côté des cuves, est composée d’un énorme tronc faisant levier. Celui-ci à plus de deux siècles. Son poids comprime durant de longues heures, le moromi. La sauce de soja s’écoule enfin.

La plupart du sohyu consommé au Japon est produit industriellement. Le cycle dure moins de cinq mois. Tout est contrôlé, stérilisé, automatisé, aseptisé. La température est stable, les souches de champignons et les bactéries sont soigneusement sélectionnées et les cuves en inox sont munies de couvercles. Entre la sauce de soja de monsieur Kagoshi et celles provenant de la filière industrielle, il y a une énorme différence. C’est un peu comme entre un poulet industriel et une volaille de Bresse. Le Shoyu est apprécié plus léger à Kyoto qu’à Tokyo. Il permet de saler les aliments et de renforcer le goût.

Par Daniel Zenner

Relire