Escapades gourmandes au Japon par Daniel Zenner

La gastronomie japonaise traditionnelle est complexe, subtile et raffinée mais peut être parfois déroutante pour un occidental. Elle est un art de vivre au quotidien, vécue aussi bien devant les échoppes des rues, dans les restaurants traditionnels ou les maisons huppées, dont Tokyo détient le record du monde de tables étoilées !

En tout Japonais sommeille un cuisinier exigeant et intransigeant sur la qualité des matières premières mises en œuvre. Du Nord au Sud, l’archipel est une mosaïque de terroir à la spécificité reconnue, produisant tel végétal ou type de viande ou de poisson. On n’achète pas de Yuzu, mais du Yuzu de Köchi. L’ail noir vient de Aomori, le bœuf gras de Kobé, le porc noir de Kagoshima, le saumon pleine mer de Hokkaïdo, les langoustes d’Isé, les meilleurs riz de Tsuyama, le Shoyu de Tosa et le thé vert le plus recherché des contreforts montagneux de la ville de Shizuoka.

Théiers au dessus de Shizuoka, réputé pour ses thés exceptionnels
Une multitude de petits producteurs s’activent à produire le meilleur de ce que la terre et la nature peuvent offrir. Les petites parcelles, les méthodes d’élevages et de cultures traditionnelles respectueuses de l’environnement, les circuits courts et la vente directe sont une garantie de qualité pour des produits ultra-frais et de saison.
Le Japon est une grande île volcanique, faite de plus 3000 petites îles. Il est cerné de toute part par l’eau salée. Des milliers de ports fournissent quotidiennement aux habitants les produits de la mer nécessaires à leur survie et à leur formidable et saine cuisine.

Petit voyage au cœur de quelques produits phares indispensables à la vie de ce peuple fascinant, poli, propre, attentionné et discipliné!

Tokyo depuis la chambre de mon hôtel

Tokyo: Une des plus grande ville du monde

Cette mégapole, coincée entre l’océan pacifique et des montagnes abruptes tente encore de gagner de l’espace sur la mer et la roche volcanique. Et pourtant, voici une ville relativement calme, peu polluée, qui a réussi à conserver une dimension humaine, grâce probablement à une tradition séculaire encore très vivace, avec laquelle on ne badine pas.
Des gratte-ciel caressent les brumes matinales. Des immeubles futuristes faits de verre et d’acier ombragent des pâtés de maisons traditionnelles. Les quartiers, tous très différents, ne commencent à s’animer qu’en fin de matinée. Bientôt, des caisses de poissons, des cageots de légumes, des paniers de fruits et de légumes, des jattes et des jarres déborderont des échoppes. Le charbon de bois commence à rougeoyer. Déjà, des effluves de poissons séchés se mêlent à celles des poissons grillés, ces mêmes odeurs de sardines à la brasa qui envahissent l’été les vieux quartiers de Lisbonne.
Le quartier de Tsukiji abrite le plus vaste marché aux poissons du monde. Près de 50 000 personnes y travaillent et participent aux ventes aux enchères des 2800 tonnes vendues quotidiennement, représentant plus de 450 espèces de poissons, de crustacés, de céphalopodes et de mammifères marins dont la baleine, encore chassée, mais uniquement à des fins scientifiques, on vous le dit. Malheureusement, ce marché a déménagé l’an dernier pour s’installer dans un lieu ultra moderne. Fini les gargotes posées devant les milliers de caisses, où l’on pouvait manger les sashimis les plus frais au monde! Finies les visites matinales des touristes venus prendre le pouls du cœur alimentaire de Tokyo, dans cette frénésie marine dont la halle aux thons est l’endroit le plus impressionnant.
Non loin de la gare d’Ueno, se tient le marché d’Ameya Yokocho, destiné au grand public.
Les étals regorgent de produits ultra-frais.
Les fruits resplendissent de bonne santé. Les légumes lacto-fermentés côtoient les shiitakes. Des boutiques ne proposent que des poissons séchés et saumurés car la pratique de la fumaison des aliments n’existe quasiment pas. J’achète de l’anguille laquée (unagi) et me régale de beignets (tempura) de petits poulpes rouges. Je déguste à la sauvette une seiche marinée dans de la sauce soja, juste posée une minute sur des braises ardentes.

Dans les nombreux restaurants populaires nommés Izakaya, on mange sur de petites tables basses ou devant un comptoir entourant la cuisine ouverte.

On y boit du saké, un “vin” de riz qui se déguste à température ambiante. J’en ai bu des très bons fleurant la poire, la fleur d’acacia et possédant même une rondeur. Ordinairement, les sakés titrent entre 10 et 14 degrés.
Dans ces auberges populaires, je découvre d’autres aliments, d’autres saveurs, d’autres cuissons, d’autres présentations. Certains de ces hauts lieux de gourmandises sont spécialisés dans les brochettes, les sashimis, les tempuras ou les gyozas.
Depuis la dernière guerre mondiale, la nourriture des Japonais a beaucoup changé. Pendant plusieurs siècles, ceux-ci ne consommaient que ce qu’il cultivaient, élevaient ou pêchaient, conséquence aussi d’une politique isolationniste imposée pendant plusieurs siècles. Autrefois, il y avait du poisson, des fruits et légumes et du riz. Mais ces aliments de base ont trouvé au Japon leurs lettres de noblesse. La viande n’était pas consommée car elle tombait sous le joug des interdits alimentaires des religions. La forêt représente plus de la moitié du territoire. Les Japonais commencent seulement à manger le gibier abondant: daim, sanglier, cerf, canard, faisan et autres volatiles.

Il faut éviter les endroits vendant des okonomiyaki, sorte de crêpes épaisses avec du chou, des crevettes, quelquefois du calamar ou du porc très gras, car ils dégoulinent de mayonnaise et de sauces sucrées type américaine. Idem pour les takoyaki, de grosses boules frites contenant du poulpe, le tout noyé dans de la mayonnaise chaude. Beaucoup trop de plat de ce type, inspirés de la malbouffe occidentale et américaine, tentent les jeunes. Allez à Paris, rue Sainte Anne, vous trouverez nombre de ces fast-food à la japonaise…

Au restaurant, on n’est jamais bien longtemps seul à table. Je me laisse donc guider par les conseils et les explications de mes voisins de comptoir. Ils me font goûter des petits poissons et des crevettes crues (photo 17, autres plats) et me commande une énorme tête de daurade de mer juste grillée. Ils me regardent décortiquer la pièce. Je m’applique à ôter les joues, le reste de chair sous les branchies et me délecte de la peau grillée.

Eux mangent les cartilages, les yeux, l’intérieur du crâne, les branchies et certaines arêtes frites. Il me reste encore beaucoup de chose à apprendre…

Devant moi des cuisiniers s’affairent. Ils manient le couteau adroitement, tranchent dans la chair rouge et brillante d’un dos de thon obèse, puis dans celle plus blanche d’un turbot sauvage. Les lamelles orange vif, zébrées de petites veines blanches d’un saumon pleine mer de Hokkaïdo s’accumulent en rangs serrés. D’un geste habile, le cuisinier retire l’intestin d’une crevette pêchée au large de Fukuoka. La langouste d’Isé subie le même sort.
Un maquereau à la chair luisante et nacrée vient se ranger sur mon plat de sashimis qui nait sous mes yeux. Initié et amateur de sashimis, je me délecte d’une simple tranche de poisson cru trempée dans de la sauce de soja, accompagné de wasabi. Voici pour moi, un des meilleurs aliments au monde.
La tête d’un cuisinier coiffé d’une toque annonce le quartier de Kapabashi
Kapabashi, un quartier de Tokyo à visiter absolument. Il regroupe dans la même rue plus de 250 boutiques vendant du matériel de cuisine. Chaque enseigne à sa spécialité: couteaux, vaisselles, casseroles. Le Graal des cuisiniers et des gastronomes.
Plats factices en résine
Des boutiques ne vendent que des plats factices en résine. Ils sont disposés dans les vitrines des restaurants pour annoncer le menu et allécher les passants. Cela s’avère pratique quand personne ne parle anglais, car il suffit alors de montrer le plat du doigt pour le commander.
Je me suis acheté deux couteaux. Leur lame est damassée, faite de dizaine de couches d’acier inoxydable. Je découvre à 54 ans, ce qu’est un vrai couteau. De retour en France, je prends vraiment beaucoup de plaisir à tailler, émincer, fileter. La façon de couper les aliments donne du goût à ceux-ci.

Une ombre au tableau

KFC, Mac Do, Burger King, Coca Cola, Nestlé, Danone, Unilever et tous les autres. Ils sont là! Les rois de la malbouffe sont bien présents dans les grandes et moyennes villes du Japon. Ces empoisonneurs publics sont aux aguets. Ils se frottent les mains en évaluant le potentiel de clientèle existant au Japon. Tous les jours, à force de publicités et de marketing bien étudiés, ils grignotent des parts de marché non négligeables sur l’alimentation des jeunes qui délaissent une nourriture traditionnelle au profit de celle vantée par les géants de l’agro-alimentaire. Dans un pays qui détient le record du monde des personnes centenaires, il est de plus en plus courant de croiser dans les rues des jeunes obèses.
Trop de mauvais gras, trop de sel, trop de sucres, trop d’additifs, plus assez de fibres, déficit en oligo-éléments, en vitamines… La viande industrielle hachée remplace le poisson frais. Le ketchup-mayo détrône la sauce soja. Les frites remplacent le riz et les sodas rangent le thé au rang des habitudes ringardes et coutumières des grands parents. La soupe miso au tofu est remplacée par des sachets Nestlé, Danone ou Unilever bourrés de glutamate de sodium et de conservateurs. Les polyphosphates, les sels nitrités et les améliorants arrivent dans les plats surgelés et les charcuteries pour finirent dans les estomacs des jeunes Japonais. La plupart d’entres-eux ont quitté leur village. Ils ne restent plus dans certaines bourgades, que les parents et les grands parents.
Dans les grandes villes, des milliers de distributeurs automatiques de boissons sont installés. Sur les chaines de télévisions nipponnes, une publicité sur deux est achetée par les multinationales de la malbouffe. Les enseignes fleurissent sur les grandes avenues, et les rayons des supermarchés s’emplissent de produits importés qui n’existaient pas auparavant. Les maladies cardio-vasculaire, le diabète, le cholestérol attendent les jeunes incrédules férus d’accidentalité.

Peuple Japonais, réveillez-vous!
Et virez, même par la force, ces missionnaires de la malbouffe!

Par Daniel Zenner