Hervé Lussault, chef de cuisine du restaurant Charles Barrier, Tours. ©Nouvelles Gastronomiques de Touraine

Hervé Lussault : “Ma cuisine c’est une pincée de Barrier, de Senderens et de moi-même.”

Vingt ans de carrière dans un restaurant, pas de doute, cela se fête. Pour Hervé Lussault, chef de cuisine depuis 20 ans au restaurant Charles Barrier, c’est une belle histoire qui continue.
En 2016, il a choisi de faire partager ce parcours original, et sa passion inassouvie pour la belle cuisine française. Rencontre avec un chef qui, à la tête d’une des adresses gastronomiques mythique de Tours, a su conserver la simplicité et l’humilité, l’apanage des grands chefs.

Le restaurant Charles Barrier est une institution gastronomique en Touraine. Comment ce restaurant a évolué depuis votre arrivée en cuisine ?

“Quand je suis arrivé ici, je voulais simplement cuisiner et faire plaisir au client. Progressivement, j’ai apporté mon savoir faire, agrandi l’équipe, j’ai créé le Bistrot (Bistrot de la Tranchée, ndlr) la partie Traiteur, j’ai aujourd’hui trois sommeliers, deux secrétaires. Au début on faisait 10 couverts par jour aujourd’hui on en fait 30. La cuisine a changé également, mais j’ai toujours voulu conserver l’esprit Barrier. Je ne voulais pas « remplacer » Charles Barrier mais simplement poursuivre la cuisine gastronomique et faire ma cuisine. Depuis 20 ans on a constamment évolué. Mais on a pas eu l’occasion de faire vraiment connaître la nouvelle maison Barrier. Faire de la gastronomie ce n’est pas si simple : attirer le client, faire en sorte que les clients viennent nous voir, nous fassent confiance pour dépenser un certain budget et reviennent le plus régulièrement possible. On ne vient pas « comme ça » chez Barrier.

Aujourd’hui votre carte comporte encore des plats signatures de Charles Barrier ?
Il reste deux plats; le pied de cochon et la Matelotte d’Anguille, que j’ai déplacé au Bistrot. Cela ne correspondait pas à mon style ici. C’était trop classique.

A quoi ressemble la cuisine d’Hervé Lussault?

Ma cuisine est classique mais dans un esprit toujours d’innovation. Aujourd’hui j’ose plus proposer ce qui me plait. Dans le Turbo par exemple : j’ai repensé la sauce, que je travaille avec un fond de veau et du Noilly Prat,
Moi même j’ai des plats que je peux appeler signature : la Grosse langoustine sauce Thaï, le homard bleu laqué au Gingembre, et puis des recettes de Charles Barrier que j’ai revisitées comme le lièvre à la Royale, les Ris de Veau aux truffes…
L’inspiration asiatique est inévitable dans cette cuisine traditionnelle française, même si les bases restent bien françaises. Les plats signatures sont des références qui ont leur place sur la carte et dont les clients se souviennent. Par exemple le Tour de Piegon, la Poularde truffée sous la peau avec sa sauce Champagne… En fait je n’ai que la cuisine à offrir à mes clients, je ne peux donc pas tricher ni prendre trop de risques. Ma cuisine c’est donc une pincée de Barrier, une pincée de Senderens et une pincée de moi-même.

Quelle est la place du restaurant Charles Barrier sur la carte gastronomique tourangelle ?

Je suis content que les clients viennent toujours ici, avec le souvenir du chef. Mais aujourd’hui nous sommes de simples restaurateurs. On ne peut pas nous comparer avec des grandes tables comme celles du Château D’Artigny, par exemple…
Je n’ai pas envie non plus de mettre mon nom partout, ici c’est encore et toujours le restaurant Charles Barrier.
Ce qui m’importe par contre, c’est que de plus en plus de jeunes passent la porte de mon restaurant. Ca c’est une vraie réussite pour moi ; faire découvrir la gastronomie, la vraie cuisine aux jeunes générations. Il faut qu’ils accèdent à cela au moins une fois. Qu’ils retrouvent aussi le goût d’une belle et bonne cuisine.

Vous avez des projets pour le restaurant dans les prochaines années ?

Pour l’instant l’objectif des années à venir c’est de développer le restaurant. Le prochain gros projet c’est de développer avec Habitat et Humanisme un restaurant de résidence pour des personnes en difficulté, juste derrière le restaurant gastronomique. On va donc travailler sur un projet de bistrot. Les travaux commencent bientôt, et le bistrot ouvrira l’année prochaine en 2017. Ce sera une formule plus simple que celui existant. Et sur le restaurant Barrier, des travaux de rénovation sont encore prévus.

Quel regard vous portez sur la gastronomie l’art de vivre tourangeau ?

Je pense qu’on est gâtés. ON a de belles tables en Touraine, les Hautes Roches, la Roche Le Roy, le Château de Pray, avec aussi de jolies petites tables. Mais il n’y a pas assez d’émulation entre nous. Il n’y a pas de leader. Personne ne se dit, « je porte la gastronomie vers le haut ». On ne se voit pas assez entre nous et il n’y a pas de démarche de réseau. Dans certaines régions, les chefs se rassemblent et promeuvent ensemble leur territoire. Il nous faudrait aussi un Grand Chef, un meneur d’hommes en quelque sorte…

L’étoile, vous aimeriez la récupérer un jour ?

Oui et non. Je ne sais plus. Je pense que je serai content de la récupérer pour l’orgueil, pour l’équipe aussi.
Mais il faudrait déjà m’expliquer pourquoi je l’ai perdu il y a deux ans. Etait-ce l’accueil, le décor, la cuisine ?
Les clients eux, pas seulement les fidèles, me disaient que je valais l’étoile. Ils n’étaient pas d’accord, ils ont même écrit au Guide Michelin… Moi, je n’ai jamais eu d’explication

Dernière question : dans 20 ans vous êtes ou ?

Dans vingt ans, si la vie me sourit… j’aurais 66 ans. Je ne sais pas si j’aurais encore de l’énergie, car c’est un métier difficile. Je ne fais pas que commander…(sourire) je suis aux fourneaux tous les jours ! Donc je pense que je serai au Laos. Je donnerai des cours, j’apporterai ce que j’ai appris aux Laotiens : la culture française, la pâtisserie française… Cette idée m’est venue en regardant un reportage à la télévision et ma femme et moi nous avons eu un coup de foudre pour ce pays.

Hervé Lussault, en quelques dates

Naissance en décembre 1971, au Laos.
1978, quitte le Laos et se réfugie en Thailande
1980, arrivée en France en Touraine, à Amboise. Son père travaille à Paris.
1980 Rencontre avec Jack et Jacqueline Magord. Deviennent leur parrain.
1985 Hervé Lussault effectue son premier satage au Fouquet’s à Paris
1986 CAP Cuisine Albert Bayet à Tours
1988-1991 : apprend le métier au Château d’Artigny, Montbazon, auprès de Francis Maignaut (chef étoilé)
1991-1995: entre chez Lucas Carton, auprès de Alain Senderens (3*)
1995 : Jack Magord rachète le restaurant Charles Barrier
1996 : Hervé Lussault est nommé chef de Cuisine au restaurant Charles Barrier. Il a 28 ans. Perd les deux étoiles la même année
1998 : ouverture du Bistrot de la Tranchée. Récupère une étoile au Michelin.
2014 : perd sa 2e étoile.