Il faut enfoncer la gouge dans la terre pour rompre le turion au niveau de sa racine ©Sandrine Kauffer-Binz

Chez Clarisse, les asperges vont directement du champ à l’assiette

La saison des asperges bât son plein. Depuis plus de trente ans dans le village de Sigolsheim, Clarisse Sibler cultive ses asperges. C’est par la force de son travail et de sa passion qu’elle est parvenue seule à développer “La Ferme de Clarisse”, une affaire reconnue qui lui permet de fournir les plus grands chefs de la région.

Il est 6 heures du matin quand une équipe de cueilleurs débarque dans l’aspergeraie de Clarisse, armée de gouges, outil qu’on enfonce dans la terre limoneuse pour rompre le turion au niveau de la racine. Ils sont une trentaine au lever du soleil à débâcher le plastique noir, qui protège du froid, pour découvrir les fières volontaires du jour.

Blanches, vertes ou violettes, Clarisse dispose d’une belle variété d’asperges pour établir une stratégie de production et tenir les 3 mois de la saison. « Il y a un engouement certain jusqu’au 8 mai, puis l’euphorie se canalise et les inconditionnels de cet élégant liliacée sontau rendez-vous à la ferme, c’est à dire la boutique ou au restaurant les 3 Alsaciennes, réputé notamment pour cuisiner le produit vedette” !

Les asperges ©Ferme Clarisse
Les asperges ©Ferme Clarisse

Surnommée « Madame Asperges », Clarisse Sibler, agricultrice volontaire et dynamique a développé seule son entreprise. « Mon oncle possédait des vignes. À son décès, mon père a réuni ses 4 enfants (3 filles et 1 fils) pour chercher un successeur, lui-même étant fonctionnaire. J’étais alors en faculté de biologie », mentionne-t-elle. « Me dirigeant vers l’enseignement, je me suis dit : pourquoi pas ? »

Elle a 24 ans et se lance dans l’aventure. « Pendant quelques mois, j’ai récolté le raisin et fourni une cave viticole, mais je n’en voyais pas la finalité. J’avais besoin d’aboutir un produit et tout en poursuivant la culture de la vigne, j’ai choisi celle de l’asperge », rajoutant par la suite les fraises et la rhubarbe. « Je n’y connaissais rien » se souvient-elle, « Mais je les aimais et je ne m’en suis jamais lassée ».

C’est en 1985 que Clarisse Sibler plante ses premières asperges ©S. Kauffer-Binz

Les premières asperges

En 1985, elle plante ses premières asperges et en 1987 savoure sa première récolte. Il faut trois saisons entre l’année 1 où les griffes, c’est-à-dire les racines des plants, sont enfouies dans la terre, et l’année 3, où les plants sont buttés et recouverts de 30 cm de terre fine pour protéger les turions de la lumière.

Les Asperges d'Alsace ©Sandrine Kauffer-Binz
Les Asperges d’Alsace ©S. Kauffer-Binz

« Pour les vendre au début, je me rappelle que je faisais « du porte à porte » avec maman. J’avais environ 100 kg, je me souviens de mon premier client », raconte-t-elle avec émotion, « Et du premier restaurateur (le Lion d’Or à Kaysersberg) qui à l’époque m’avait réservé 30 kg, je n’en revenais pas. Puis, dans les années 1990, lorsque Olivier Nasti s’est intéressé à nos asperges, le bouche à oreille a fait son effet ».

Aujourd’hui, l’exploitation consacre 17 hectares aux asperges de variétés françaises, hollandaises et allemandes. Grolim, Ramada, Vitalim, Cumulus, Bacchus, Ergolin, sont sélectionnées pour leur calibre (de 6+ à 34+), leur précocité, leur texture (croquante ou fondante) et leur rendement.

Les productrices des asperges de Clarisse ©Sandrine Kauffer-Binz

Dans les champs, dès 6h du matin

« Chaque matin, avec Henri, qui connaît toutes les parcelles, nous établissons la tournée en fonction de la météo. J’aime être sur le terrain, je veux voir les asperges et superviser. J’aime le management et le contact humain » dit-elle, transmettant les gestes techniques, son savoir-faire agricole et son amour inconditionnel pour la terre nourricière. Jusqu’à 14h les équipes vont sillonner les différentes parcelles, ramassant sur 8 hectares. « Généralement on commence par les vertes. Comme les tournesols elles se tournent vers le soleil et quand elles ont la tête courbée, elles sont moins belles ».

La récolte des asperges ©S. Kauffer-Binz

Un bon cueilleur peut couper entre 10 à 15 kg par heure. Il faut compter environ une bonne semaine de pratique pour acquérir correctement le geste technique. L’exploitation produit entre 70 et 100 tonnes par saison, ce qui peut représenter 350.000 euros de chiffres d’affaires.

Ensuite, la récolte est acheminée à la ferme, où à l’arrière de la boutique, se déploie toute une infrastructure de nettoyage, calibrage, épluchage et conditionnement pour que les asperges puissent être stockées ou directement livrées. La mécanique est bien huilée.

Il faut enfoncer la gouge dans la terre pour rompre le turion au niveau de sa racine ©Sandrine Kauffer-Binz

Les étapes du conditionnement de l’asperge

Les asperges sont plongées dans une eau glacée car le froid bloque leurs saveurs.

Ensuite elles sont stockées au réfrigérateur pendant 24h, puis les asperges sont triées minutieusement par la calibreuse. Plusieurs mains accompagnent l’avancée du tapis roulant, les alignant, les disposant dans les godets pour faciliter le repérage de l’œil optique. 20 « sorties » possibles peuvent être programmées sur l’ordinateur par Pauline Klement en fonction du calibrage ou de la longueur (2 à 22 cm) souhaités.

Les 3 Alsaciennes : Clarisse et ses deux filles Amélie à gauche et Pauline à droite ©S. Kauffer-Binz

En haute saison, l’éplucheuse avec son jeu de couteaux s’active, elle est capable de déshabiller 250kg d’asperges dans la journée. C’est la dernière étape avant la pesée, l’emballage, l’étiquetage et le conditionnement en bottes ficelées. Une chambre froide à 2°C avec brumisateur, offre 100% d’hygrométrie. Elles sont bichonnées avant d’être expédiées et consommées.

Côté champs, les buttes sont détruites, on laisse la végétation reprendre et un nouveau cycle de récolte se prépare pour l’année suivante.

L’éplucheuse s’active toute la journée ©S. Kauffer-Binz

La ferme Clarisse à Sigolsheim

Ouverte en 2016, en même temps que le restaurant « les 3 Alsaciennes », la boutique (ou épicerie) est appelée « la ferme » en référence aux producteurs des environs qui y placent leurs produits. Du champ à l’assiette, Clarisse Sibler a développé un commerce complémentaire qui s’auto-alimente avec intelligence. Il n’y a aucune perte de produit, puisque les fruits et légumes qui ne répondent pas aux critères de calibrage ou de beauté sont convertis par Pauline, en soupe ou en confiture, par exemple.

Dans la boutique, les produits maraîchers ont la vie belle, bocaux en tout genre, vins et pièces bouchères 100% alsaciennes et bio attirent d’authentiques gourmets. « La ferme propose le meilleur de nos terres ! » explique Clarisse. « C’est un magasin de vente de produits fermiers, alimenté par des dizaines de producteurs des environs », tous affichés et photographiés dans leur exploitation à l’entrée du magasin. « On retrouve le goût des bonnes choses : qualité, goût, fraîcheur et respect du cycle des saisons », rajoute sa fille Pauline Klement.

La ferme de Clarisse Sibler est membre du réseau national « Bienvenue à la Ferme ». Les membres de ce réseau s’engagent à respecter un cahier des charges pour leurs produits, garantissant leur qualité sanitaire, leur origine, un savoir-faire fermier et des pratiques respectueuses de l’environnement.

Clarisse Sibler et sa fille Pauline Klement

Le saviez-vous ?

  • L’asperge fait le plein de vitamines (A, B9, C, K), de minéraux (potassium, cuivre, phosphore)
  • Très peu calorique, riche en fibres, en acides aminés, elle est diurétique.
  • Depuis l’Antiquité, l’asperge est utilisée comme plante médicinale, grâce à ses propriétés diurétiques, laxatives et « anti-obésité ».
  • C’est à Hoerdt que les premières asperges furent plantées.
  • Le terroir alsacien, avec ses sols sablonneux et limono-argileux, est un terrain de prédilection pour l’asperge.

Par Sandrine Kauffer-Binz