Au fait, une tarte, c’est quoi ?

La question semble naïve, mais nous verrons que nos usages terminologiques sont bien fautifs !
Commençons comme souvent par un dictionnaire, un bon, celui du CNRS, nommé Trésor de la langue française informatisé. Ce dernier nous dit qu’une tarte est une « Pâtisserie plate, généralement ronde, faite d’un fond de pâte avec rebord rempli de divers ingrédients (fruits, confiture, crème, frangipane, etc.) que l’on cuit au four (sauf certains fruits rouges que l’on met crus sur la pâte cuite) et que l’on consomme généralement refroidie ».
Ce dictionnaire, qui a le mérite de donner l’étymologie des mots… nous dit hélas que l’origine du mot « tarte » est incertaine, et que le mot dérive probablement de tourte, du latin médiéval torta, tarta, turta, tourta attesté depuis la fin du 9e siècle au sens de « pain rond » et « tarte ».
Mais on sait que ce dictionnaire pourtant méritant n’est pas toujours à la hauteur, en matière de métiers du goût, de sorte que je suis allé chercher dans les livres de cuisine anciens. Je trouve une tarte en 1319… mais pas de recette. Puis je  ne trouve que le mot « tartelette » en 1604, dans le livre de Lancelot de Casteau, et pas de recettes. En 1643, l’auteur qui ne signe que de ses initiales L.S.R. indique également qu’il y a des tartelettes (pas de tarte) de différentes formes ; et il ne parle pas de tartes.
Et vient, 1654, Nicolas de Bonnefons, cuisinier du roi Louis XIV, qui donne une recette de « Paste de façon de faire Tartes » :
« A un boisseau de fleur, vous y mettrez six livres de beurre, & vingt œufs, vous destremperez le tout avec eau froide, puis vous fraiserez promptement, la serrerez dans un linge blanc, & la porterez en lieu frais pour en prendre au besoin quand vous voudrez faire des abaisses de Tartes. Vous notterez que dans toutes les pâtes il faut toujours un quartron de sel à chaque boisseau de farine, & si le beurre est salé il n’y en faut que demi quartron. »

Cette fois, on voit que la pâte est destinée à être abaissée, pour des tartes.

Mais, de nouveau, en 1822, l’auteur du Cuisinier royal (M. Viard) ne parle que de « tartelettes » (à la frangipane) :
« Foncez quinze moules à tartelettes avec des rognures de feuilletage, remplissez-les de frangipane, à laquelle vous aurez ajouté un peu de pâte à choux pralinée ; dorez-les, et posez dessus une petite bande de feuilletage tournée en forme de colimaçon; faites-les cuire à four chaud : leur cuisson faite, retirez-les, et glacez-les à blanc. »
Arrivons maintenant à Joseph Favre, et son Dictionnaire universel de cuisine. Il évoque bien la tarte :
« TARTE, s. f. AU. Torts; angl. tart; rus. sladhipiroghe ; ital. tartara, tarta. Du bas latin tarta ; wallon, tâat.— Gâteau plat et rond, aujourd’hui plus communément appelé flan. Le mot tarte est plutôt demeuré l’expression anglaise de ces sortes de gâteaux, dont les fruits, qui en déterminent le nom, sont cuits dans un plat spécial et recouverts d’une pâte : apple’s tart, gooseberry tart, etc.; tarte aux pommes, tarte aux groseilles, aux cerises, aux prunes, à la rhubarbe, etc.; synonyme de flan (Voir ce mot). Toutefois les tartes ne sont jamais recouvertes de grillages comme les flans ».
Quoi, une tarte serait un flan, en bon français ? Autrement dit, toutes nos tartes seraient mal nommées, anglicisées ? Voilà pourquoi on n’aurait parlé que de tartelettes, par le passé !

Tartelettes

Regardons donc « tartelette » :

« TARTELETTE, s.f. Ail. Toertchen; angl. tartlet; rus. pirajok, tartaletha; ital. tarlarelto.
— Diminutif de tarte. Au xvie siècle on les appelait aussi flannets. On distingue deux genres de tartelettes : les T. à base de viande ou de poisson, qui se servent comme hors-d’oeuvre chaud et froid, et les T. sucrées à base de confitures, de fruits ou de crème, qui se servent comme dessert, au goûter, ou, plus communément, comme pâtisserie de détail entre les repas ».
Et que dit-il du mot « flan » ?
« FLAN, s. m. (Terme de pâtisserie). Etymologie allemande Fladen, dérivé du haut ail. flado, de là le bas latin fiato; fiatonis; prov. flarïzon; ital. fiadone; angl. custard; rus. lepiochJca. — Tarte préparée dans un cercle de 2 ou 3 centimètres de haut et d’une circonférence variable. Là croûte est toujours composée d’une pâte brisée, tandis que la garniture varie entre tous les fruits, les crèmes et les appareils. Il y a deux modes de préparer les flans, l’un consiste à préparer là pâte dans le cercle à flan, de la garnir de fruits ou de crème et de la faire cuire; l’autre à faire cuire la croûte et de la garnir ensuite; ce dernier mode est usité chez les pâtissiers pour ne pas s’exposer à perdre les fruits ».
On retrouve bien l’acception précédente.
Ce qui nous fait arriver chronologiquement au Guide culinaire, d’Escoffier, Gilbert et Fetu. Là, on trouve :
« Tartes de fruits à l’Anglaise. – Se font en plats creux spéciaux appelés pie dish, ou plats à pâte. Les fruits, nettoyés ou épluchés selon leur nature, sont disposés dans le plat jusqu’à 1 centimètre des bords, saupoudrés de cassonade blonde ou de sucre en poudre, et arrosés d’une cuillerée d’eau. Recouvrir d’une abaisse de pâte à foncer qui est fixée sur les bords du plat comme il a été expliqué aux Pâtés à l’anglaise (chap. des Viandes de Boucherie). Mouiller la surface du couvercle, saupoudrer de sucre en poudre, et cuire à four de chaleur modérée. Toutes les tartes à l’anglaise se font par ce procédé, et tous les fruits y peuvent être employés, même quand ils sont encore verts, principalement les raisins et les groseilles à maquereaux ».
Pour les tartelettes :
« Tartelettes. – Sont sujettes à modifications nombreuses, et peuvent, selon les cas, être garnies à cru ou sous forme de croustades cuites à blanc. Dans ce cas, les croustades sont enduites d’une légère couche de la farce usitée et passées au four un instant avant de recevoir la garniture saucée ».
Mais vient ensuite la recette de la quiche lorraine :
« Flan au lait sans sucre dont le fond est garni de fines tranches de lard de poitrine blanchi et revenu et de lames de gruyère. »
Et l’on voit bien que c’est comme nos tartes !
Repartons donc au Trésor de la langue française informatisé, puisque nous n’y avons pas consulté le mot « flan », et nous trouvons :
« A. PÂTISS. Crème sucrée à base d’œufs, de lait et de farine que l’on fait prendre au four; p. méton., tarte garnie de cette crème.
Par Hervé This