Pâté en croûte, volaille, rable de lapin, fruits secs, noisettes et salade de jeunes pousses ©Sandrine Kauffer-Binz

Pâte à luter  : contre la famine et la gaspillage alimentaire 

Quand nous pensons à la cuisine, nous oublions souvent que nous sommes la première génération à ne pas avoir connu de famine, et encore pas pour tout le monde et pas dans tous les pays. Nous oublions que le froid est d’invention récente et que, jusqu’à un passé très récent.

De ce premier constat, plusieurs conclusions s’imposent : naguère, on valorisait tout, on ne jetait rien ! Et, par exemple, c’était la raison pour laquelle on mettait le pot-au-feu au début de tous les livres de cuisine : alors que le rôtissage fait perdre des jus, donc des nutriments, les bouillis faisaient à la fois la viande et le bouillon, dont on ne perdait pas les nutriments. D’autre part, sans froid, la question de la conservation était cruciale, parce qu’il fallait prolonger la durée de vie des ingrédients abondants en été jusque dans les saisons maigres. D’où les salages, saumurages, confitures, confits, fumages, séchages ; puis les conserves après que Nicolas Appert avait popularisé sa technique.

Dans ce contexte, que penser du lutage avec des pâtes faites de farine, de blanc d’oeuf, de sel ?

Impossible, vraiment, et, d’ailleurs, on n’en trouve aucune trace dans aucun des livres de cuisine anciens. Ni lutage, ni « pâte morte », qui est devenu un synonyme de « pâte à luter ».

Rien dans le traité de charcuterie de Bailleux, en 1856.

Rien dans le livre de charcuterie de Dumont, également classique.

Rien dans le livre de cuisine d’André Viard, en 1822, et rien avant non plus dans les grands livres de cuisine.

Quant au Dictionnaire universel de cuisine de Joseph Favre, il évoque le lutage… avec du papier d’étain.

Bien sûr, il existe des préparations couvertes de pâtes, à commencer par les pâtés et les tourtes, ou d’autres : le Guide culinaier évoque une « kache de sarrasin pour potage », mais on lit : « En le sortant du four, enlever la croûte de dessus; faire tomber dans une casserole tout l’intérieur du pain sans toucher à la croûte qui s’est formée autour ». Bref, tout se mange.

Et l’étymologie de lutage ?

Rabelais, dans Pantagruel, utilise le mot avec la signification d’enduire de boue. Oui, de boue, pas de pâte faite de précieuse farine ! Le lutage, c’est de l’argile, et le terme est un terme du bas latin, où il n’est pas question de pâte.

Terminons en critiquant encore, pour un pléonasme fautif, ce pâté en croûte, ou ce « pâté croute » qui doit être nommé un pâté froid : certains ont voulu dire que la terminologie se justifiait parce que les terrines étaient nommées ainsi alors qu’on ne mangeait pas les terrines elles-mêmes… mais jamais au grand jamais, dans l’histoire de la cuisine, on n’a poussé le gaspillage jusqu’à ne pas manger la pâte des pâtés.

Au contraire, dans ce que nous devons nommer des « pâtés froids », la pâte était très appréciée, et cela quelque soit soit le pâté, donc voici ce qui en est dit par Favre :

« Il y a deux grandes classes de pâtés : les chauds et les froids. Ils se divisent en dix genres, qui sont :

  • Les pâtés de foie gras.
  • Les pâtés de foie ordinaire.
  • Les pâtés de gibier à plume.
  • Les pâtés de gibier à poil.
  • Les pâtés de viande de boucherie.
  • Les pâtés de volaille à chair blanche.
  • Les pâtés de poissons.
  • Les pâtés à l’anglaise.
  • Les gros et petits pâtés à la russe ».

Ne parlons plus jamais de cette expression très ignorante et pléonasmique de pâté en croûte (je frémis rien qu’à l’écrire), tout comme on ne parlera pas de « pâté de campagne » s’il n’y a pas de pâte !

Hervé This