La question revient périodiquement : quelles relations entre science et art ? Ici, je veux montrer que parler de telles relations revient, en gros, à se demander si le manteau du père Noël est rouge clair ou rouge sombre, ou si des carrés qui seraient ronds pourraient être ovales, ou encore combien d’anges peuvent tenir sur la tête d’une épingle. Bref, je veux expliquer pourquoi il n’y a pas de rapport entre la science de la nature, qui explore la cuisine (la « gastronomie moléculaire ») et l’art culinaire.
Pourtant, c’est un fait que l’art a partie liée avec l’émotion, le « beau ». Et, en cuisine, le « beau », c’est le bon. Je maintiens que chaque cuisinier qui cherche à faire bon a un pied dans l’art, et pas seulement dans la technique.
Mais les critères diffèrent : pour le peintre en bâtiment, il faut que la surface soit lisse, régulière, agréable à l’oeil sans plus ; pour Grünewald, en revanche, il faut émouvoir celui qui regardera la toile.
Je crois qu’il en va absolument de même en cuisine : il y a des cuisiniers qui font du travail soigné, et d’autres qui visent autre chose, et par exemple faire pleurer d’émotion en mangeant.
D’ailleurs, profitons-en pour bien dire que les sciences de la nature ne cherchent pas des applications techniques. Elles cherchent à savoir pourquoi le ciel est bleu, pourquoi le ciel nocturne est noir, comment tombent les corps à la surface des planètes, comment coulent les liquides, pourquoi les mousses ne s’effondrent pas, alors qu’elles sont faites de bulles de gaz dans des liquides… C’est seulement la « technologie » qui cherche des applications, à partir des résultats des sciences. La technologie ? Le métier des ingénieurs.
Les relations entre les sciences et les arts ?
En cuisine, je sais tout cela de près, puisque nous discutons depuis des décennies, avec mon ami Pierre Gagnaire.Pierre est clairement un artiste (culinaire), qui se préoccupe de l’émotion des convives, par la cuisine qu’il prépare. Et je suis clairement un scientifique de la nature, puisque je me préoccupe des mécanismes des phénomènes.
Pierre ne fait pas de science, puisque les équations ne sont pas de sa compétence, et je ne fais pas de cuisine, puisque l’émotion n’est pas mon objectif. Bref, pour ce qui nous concerne, il n’y a pas de relations entre art et science, pour le champ culinaire. Et il est inimaginable qu’il y ait de relations pour d’autres binômes… parce que art et science n’ont rien de commun : ni les objectifs, ni les méthodes.
Certes, les nouvelles techniques peuvent conduire à des œuvres nouvelles : les synthétiseurs, en musique, font de nouveaux sons, permettent de nouvelles musiques ; idem pour la peinture, où les couleurs modernes permettent aux peintres modernes de produire des effets auxquels les peintres antérieurs n’avaient pas accès.
Mais, on le voit, il y a là une question de technologie, pas de science !
Par Hervé This