Roger Sengel ©Umih

Roger Sengel quitte la présidence de l’Umih Alsace- portrait

Le 27 juin 2022, la famille Wucher accueillait au Parc à Obernai, l’Assemblée Générale élective du Groupement des hôteliers, restaurateurs et débitants de boissons du Bas-Rhin-Umih 67 avec un ordre du jour comptant deux points mémorables, le départ choisi de Roger Sengel d’une présidence exercée 17 années durant et l’élection de celle ou celui qui aura la rude tâche de succéder à un tribun sûr de ses convictions, mais néanmoins ouvert au dialogue, respectueux de ses contradicteurs, accessible à toutes sortes de challenges et terriblement humain.

En lui consacrant ce portrait les Nouvelles Gastronomiques retracent un parcours déroulé sur un demi-siècle et une sortie toute en émotion et conforme au personnage.

Fils d’un chef de cuisine engagé pour la Compagnie des wagons-lits dans des palaces ferroviaires comme l’Orient Express, Charles Sengel, le père de Roger, a respecté un temps l’interdit paternel de suivre sa trace, pour entreprendre une carrière commerciale brillante dans l’électro-ménager, sans renoncer toutefois à son envie de restauration. Une première occasion se présente avec Kronenbourg qui lui propose l’Aubette, offre qu’il refuse, mais en 1969 il accepte celle d’Adelshoffen pour la reprise d’une célèbre brasserie strasbourgeoise, le Romain. Avec Georgette son épouse, il met à profit sa bosse du commerce pour développer une enseigne historique, tout en conservant ses fondamentaux, mais en lui adjoignant très vite une activité de traiteur événementiel alors quasiment inexistante entre Rhin et Vosges. Leurs quatre fils ne vibrent pas, à priori, au même diapason que leurs parents, deux sont engagés dans l’artisanat de la coiffure, l’ainé Georges se destine à l’architecture et le cadet Roger, bachot en poche, s’inscrit à la faculté de pharmacie. Charles se faisant pressant, Georges accepte de le suivre au Romain, mais pressé de voler de ses propres ailes il s’installe au restaurant de l’Aéroport d’Entzheim. Plus tard il reprendra le restaurant Zimmer où il gagnera une étoile au Michelin . Les espoirs familiaux se portent alors sur Roger hésitant à persévérer en pharmacie car  ses  potions sont peu gourmandes. Avec le consentement de Marie sa future épouse, il change d’orientation et rallie l’Ecole Hôtelière alors rue de Lucerne, sous la direction d’un proviseur autant craint des enseignants que des élèves, Joseph Koscher.

Roger Sengel président du CEFPPA ©CEFFPA/Umih

Du Romain au Clou

En 1972, diplôme obtenu, il épouse Marie et le jeune couple s’installe au Romain. Son compagnonnage, il l’effectue in situ, passant par tous les postes, accueil, cuisine, plonge, salle et bureau. En 1983, il succède à ses parents, Marie à ses côtés est omniprésente, la jeune femme ne fait pas que de la figuration souriante, mais s’affirme en conseillère avisée et écoutée.

Fort de ses 350 places, de sa terrasse de 90 places, d’une cinquantaine de collaborateurs et d’une bonne image locale le Romain a le vent en poupe et acquiert une nouvelle réputation avec l’activité traiteur en plein essor avec l’organisation de banquets allant jusqu’à 5000 couverts. En 1985, quand Unis 7, antichambre des Etoiles d’Alsace organise son premier banquet au Palais des Congrès, Roger ne discerne là aucune concurrence, n’hésitant pas à prêter gracieusement tout son matériel aux chefs étoilés alors encore profanes dans ce type de prestations. La générosité est un autre trait de son caractère, il en fera bon usage à de nombreuses occasions, les Restos du Cœur peuvent en témoigner.

En 1989 alors que les grandes brasseries disparaissent les unes après les autres, le Romain s’offre une rénovation complète mêlant tradition et modernité avec l’affirmation d’un concept baptisé « le temps retrouvé », accompagné d’une campagne publicitaire et d’une théorie d’événements où l’on se presse et se bouscule. Chaque année, au mois de septembre le Romain s’offre une extension dans un pavillon de restauration de la Foire Européenne de Strasbourg, à  proximité du Hall de l’Agriculture qui abritait aussi le Salon Culinaire, réceptacle d’un art aujourd’hui disparu, celui des plats d’exposition.

Marc Haeberlin, Sebastien Malgras, Nicolas Stamm et Roger Sengel ©Sandrine Kauffer-Binz
Marc Haeberlin, Sebastien Malgras, Nicolas Stamm et Roger Sengel ©Sandrine Kauffer-Binz

Conscient de la précarité du statut de gérant libre contracté au Romain, Roger et Marie s’intéressent à l’achat des murs et du fonds de commerce du Clou, une winstub de grande renommée, mise en vente par son exploitante Christine Jenny.  L’affaire est rapidement conclue et c’est Marie qui en prend la direction pour se glisser comme d’autres grandes dames locales dans l’univers particulier des « kacheles », sans rien changer à son esprit et à son fonctionnement, sauf que dorénavant le Clou sera aussi ouvert au déjeuner.

Le changement susceptible de survenir au Romain, intervient effectivement en 1996 quand Fischer/Adelshoffen passe dans le giron de Heineken et le restaurant fait partie de la cession d’actifs ! Ne souhaitant pas poursuivre avec le brasseur batave, Roger ne sollicite pas, à l’échéance de 1999, le renouvellement de son contrat. Alors le centurion Sengel quitte sa brassicole « tabernae » (taverne) pour rejoindre celle  plus « vinum » de son épouse qui accepte de l’intégrer dans sa petite légion de 18 collaborateurs tout de même, pour 55 couverts, car ici tout est fait maison. N’ayant plus la charge du Romain et le Clou très bien tenu par Marie ne nécessitant pas une présence permanente,  Roger va pouvoir se consacrer à une autre passion, l’activité syndicale dans laquelle il a été introduit accidentellement, comme il le rappelle volontiers.

Véronique Siegel, Préfète de la Région Grand Est, Roger Sengel et Josiane Chevalier, Préféte Préfète du Bas-Rhin ©Christophe Weber

Une riche carrière syndicale 

En cette année 1975, la restauration alsacienne se remet assez bien de la première crise pétrolière de 1973 qui a signé la fin des Trente Glorieuses. Charles Sengel est alors membre du Comité Directeur du Syndicat des Restaurateurs de Strasbourg , ne pouvant se rendre à une réunion, il délègue son fils pour le représenter.  Autour de la table les  « éléphants » de l’organisation professionnelle tancent avec condescendance ce « jeunot » guère impressionné, s’autorisant même quelques observations dont la pertinence interpelle un aéropage englué dans des certitudes parfois surannées . «  Ce jour- là j’ai contracté le virus du syndicalisme » se souvient Roger et il débute alors son intégration dans un milieu ou l’intérêt général prévaut celui particulier et où il est d’usage de privilégier la première personne du pluriel plutôt que celle du singulier. Ces principes seront le moteur de sa stratégie syndicale et la clé de sa réussite dans des fonctions, où l’ingratitude est plus prégnante que la reconnaissance.

Quand Jean Louis Clauss succède au patriarche Eugène Grossholtz à la présidence du Groupement, Roger entre au Comité départemental et devient rapidement trésorier adjoint. Dans les différentes instances où il s’immisce « le jeunot » s’affirme peu à peu et accède à de nouveaux horizons et responsabilités. Président de la Commission Tourisme à la CCI de Strasbourg, juge consulaire au Tribunal de Commerce, membre de la commission sociale pour la convention collective, il milite aussi au sein des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens, où il se familiarise avec une vision humaine de l’entreprise, dont il ne se départira jamais. Soucieux de formation et de transmission, il siège assidument à la commission préfectorale, alors en charge de délivrer les agréments pour former des apprentis et s’affranchit de toute complaisance vis-à-vis de ses commettants irrespectueux de la règlementation.

Roger Sengel avec Frédéric Bierry ©CEFFPA/Umih

Quand Jean-Louis Clauss décide après trente années de présidence de passer la main, les candidats à la succession ne se bousculent pas au portillon. Pourtant le Groupement est solide, reconnu de ses interlocuteurs institutionnels et administratifs, sa situation financière est saine, il est propriétaire de ses locaux et dispose d’une équipe de collaborateurs dévoués dirigée par Bruno Jahn. C’est que les temps ont changé, nous sommes en 2005, le 21ème siècle est entamé, tout s’accélère et se diversifie et les chefs d’entreprises, dans la restauration comme ailleurs, s’attachent prioritairement au fonctionnement de leur établissement et le temps, quand il en reste,  est consacré à la famille. Disponible et candidat, Roger est élu et s’entoure de Patrick Diebold pour l’hôtellerie et Bernard Rotman pour les débits de boissons.

Le dossier arlésien de l’alignement de la TVA dans la restauration au taux réduit, focalise alors l’actualité professionnelle. Pragmatique, Roger Sengel attire l’attention des édiles de l’Umih sur la suppression de la baisse de charges sociales prévue en contrepartie de l’instauration de la baisse de la TVA. Quelle sera l’attitude de l’Etat, si les professionnels ne respectent pas les engagements pris par leurs dirigeants, à savoir augmenter les salaires, baisser les prix de vente à la clientèle et investir dans la modernisation des entreprises ? La suite , on ne la connaît que trop, un an après la baisse de la Tva, l’Etat la remonte, mais s’abstient de restituer la baisse de charges sociales. La leçon a servi, baisser la TVA en escomptant que ses collecteurs aligneront leurs prix est un leurre, l’actuel Ministre de l’Economie et des Finances l’a encore affirmé récemment au sujet du pouvoir d’achat.

Roger Sengel, Marie Sengel, Josiane Chevalier, Préfète du Bas-Rhin, Préfète de la Région Grand Est et Véronique Siegel ©Cefppa/ Umih

Roger Sengel a été et, il l’assume encore, un ardent défenseur de la reconnaissance professionnelle, totalement engagé dans la promotion du label de maître restaurateur, recensant plus de 200 titulaires en Alsace.  Dommage que les professionnels n’aient entrevu dans ce concept que le crédit d’impôt y afférent, sa récente suppression se traduisant par de nombreux renoncements et, circonstance aggravante, sans campagne de communication digne de ce nom, il est peu visible de la clientèle. 

Si le patronat de la restauration a aujourd’hui les yeux de Chimène pour ses collaborateurs devenus aussi introuvables que les troupes du Maréchal Soubise, cela n’a pas toujours été le cas et, dans ce domaine, Roger Sengel à contrario s’est particulièrement investi, n’ayant cesse de marteler que  «  nos salariés sont notre capital le plus précieux, s’ils se sentent bien dans l’entreprise leur travail s’en ressentira et rejaillira sur la clientèle ». Son engagement social il l’a expérimenté dans ses entreprises, avec une rotation de personnel insignifiante et bravant même le scepticisme paternel le qualifiant de « patron rouge ».

La bonne gestion de la pandémie

Tout au long de ces deux dernières années de crise sanitaire exacerbée, le Groupement a répondu aux innombrables interrogations et inquiétudes de ses adhérents exaspérés et impuissants face à une situation totalement inédite. Avec la Préfecture de Région c’est presque un pont aérien qui s’est instauré, en distanciel ou en réel, Madame la Préfète est devenu familière de Roger et de ses présidents délégués, Pierre Léon Siegel (hôtellerie) et Jacques Chomentowski (débits de boissons). Quant à Christophe Weber directeur du Groupement, il relayait au jour le jour, par voie électronique, toutes les informations utiles aux adhérents, les avertissant également des fausses nouvelles et des écueils à éviter. Entre la Place de la République et la Place de Bordeaux, le téléphone rouge a si bien fonctionné que la Préfète Josiane Chevalier s’est déplacée à l’Assemblée Générale du Groupement pour rendre un hommage remarqué à Roger Sengel, en insistant sur l’exemplarité d’une collaboration marquée par une objectivité réciproque, ayant permis d’aboutir à des compromis au sens noble du terme.

Roger Sengel entouré de Sébastien Malgras et Christophe Weber ©CEFFPA/Umih

Une transmission réussie

Dans la grande salle du Parc, où se tenait l’assemblée générale du Groupement, plus de cent professionnels exerçant des responsabilités dans les différents territoires du département ont suivi les travaux et surtout le discours en forme de bilan du Président sortant, qui fidèle à son inébranlable conviction du « travailler ensemble », a  égrené les temps forts de l’action commune et remercié collègues et collaborateurs engagés à ses côtés.

Pour la première fois dans l’histoire du Groupement, une femme accède à sa présidence. Véronique Siegel, n’est ni une inconnue, elle dirige deux hôtels avec Pierre son frère, ni une néophyte de l’activité syndicale, elle est impliquée de longue date dans la commission paritaire emploi/ formation. Dans ses activités, elle fait montre de caractère et de répondant et son discours d’intronisation a révélé de grandes qualités oratoires et une détermination à l’encan. Elle sera épaulée par Didier Roeckel, Président délégué à la restauration et Jacques Chomentowski, Président délégué aux débits de boissons et établissements de nuit.

Tout à gauche, Roger Sengel présent à la dernière AG des chefs d’Alsace à Barr en 2022 ©Nouvelles Gastronomiques

Et maintenant que va-t-il faire ?

Sur son Aventin, Roger Sengel ne va pas se retirer intégralement, il conserve en effet la présidence du Cefppa pour mener jusqu’à leur réalisation d’importants travaux de rénovation et d’agrandissement. Il a été de tous les combats qui ont procédé à la création d’un centre de formation digne de ce nom pour remplacer le « bidon-école du Schluthfeld », ne cessant de promouvoir l’apprentissage  « voie royale de la formation professionnelle ». La réforme de l’apprentissage ayant permis de renégocier le bail du Cefppa avec la Région Grand Est, propriétaire des murs, un investissement de 13,5 millions d’euros est arrêté, avec pour objectif l’instauration d’une nouvelle manière d’apprendre les métiers de l’industrie hôtelière. Des classes supplémentaires vont être créées ainsi qu’un nouvel économat, un restaurant d’application pour les apprentis et un autre pour les clients. L’achèvement des travaux est prévu début 2027, Roger présidera encore l’inauguration puis se retirera, mission accomplie, dans son cocon de Birkenwald.

Son seul regret, il l’a exprimé sans ambages, dans son discours d’adieu, a trait précisément à l’apprentissage. « Je ne suis pas parvenu à faire comprendre à tous mes collègues que l’humain est la condition essentielle du bon fonctionnement d’une entreprise. Le mot apprenti indique que l’intéressé est là pour apprendre et pas pour remplacer à moindre fais un salarié à part entière. Les comportements de certains collègues sont de nature à décourager nos jeunes, ces inconscients me font penser à cette phrase de l’écrivain Gilbert Cesbron; « c’est peut-être Mozart qu’ils assassinent ».

Il n’y a pas de doute, la pierre polie par Roger Sengel mérite d’être scellée dans un nouveau mur du Cefppa.

Par Maurice Roeckel

Cefppa.eu