Pierre Gagnaire et Hervé This

La capillarité en cuisine et le Shitao de Pierre Gagnaire

Dans le mot « capillarité », il y a le mot « cheveu », mais le phénomène physique de capillarité dépasse largement le cheveu.
Commençons par prendre un pinceau, dont le manche se termine, comme chacun sait, par une touffe de poils plus ou moins durs. Quand on trempe le pinceau dans la peinture, dans l’encre, ou dans l’eau, on voit le liquide monter entre les poils, ce qui permet ensuite de le déposer sur une feuille, si l’on veut peindre.

Le Navet shitao de Pierre Gagnaire ©Hervé This

Il y a là deux phénomènes : la montée, et la descente. Pourquoi ont-ils lieu ? Pour comprendre la montée, je propose de commencer par regarder le bord d’un verre empli d’eau : on voit que l’eau monte sur le bord, formant un « ménisque » (du latin « petite lentille »), à savoir que la surface s’incurve vers le haut.

Le phénomène de Capillarité en cuisine

Pourquoi ? Parce que les molécules d’eau se lient par des forces faibles aux atomes de la surface. De même, si l’on plonge un tube en verre dans de l’eau, alors on voit le liquide monter d’autant plus haut que le diamètre du tube est petit. C’est cela, le phénomène de capillarité. Et, entre les poils d’un pinceau, c’est comme pour un très petit tube : la distance entre les poils est très petite, et c’est la raison pour laquelle le liquide peut y monter.

Le phénomène de Capillarité en cuisine

Voilà pour la montée, mais regardons maintenant la descente : si l’on peint une feuille avec un pinceau chargé d’encre ou de peinture, le liquide de la base du pinceau est en contact avec la feuille, et il y a d’abord une descente d’un peu de liquide, parce que ce dernier est également attiré vers la feuille. Mais, surtout, si l’on bouge le pinceau, alors il y a ce fait que, dans un écoulement d’un liquide, par exemple dans une rivière, le liquide est immobile au contact de la berge, et il avance d’autant plus vite qu’il est au centre de l’écoulement. Pour la peinture, le papier est comme la berge, et le liquide qui vient au contact y reste, tandis que le pinceau entraîne le reste.

Tout cela, c’est parce que les liquides s’immiscent dans les interstices par « capillarité ». D’ailleurs, c’est par capillarité que l’eau de pluie entre dans les fissures du sol, et casse les routes en hiver. Et c’est par capillarité que l’on peut faire entrer un liquide qui a du goût entre les faisceaux de fibres d’un poisson, ou bien entre les feuilles d’épinard, par exemple.

Par exemple, mon ami Pierre Gagnaire a utilisé cette idée que j’avais imaginée, et nommée « shitao » : il a donné un goût merveilleux à des navets… et il avait peint l’assiette, puisque Shitao est le nom d’un peintre chinois du 17e siècle.

Par Hervé This

Shitao de Pierre Gagnaire © Jacques Gavard

La recette du navet Shitao de Pierre Gagnaire

Ingrédients pour 4 personnes

  • 650g de navet long daïkon
  • 200g de betterave rouge crue
  • 400g de jus d’orange
  • 100g de campari
  • 50g de rhum ambré
  • Fécule de pomme de terre
  • Sel et poivre

Procédure

  1. Chauffer le jus d’orange avec le campari et le rhum, ajouter la betterave crue taillée en fines lamelles, retirer du feu et laisser infuser toute une nuit.
  2. Eplucher le navet, tailler le en quatre cylindres d’un diamètre identique et de 7cm de long.
  3. Cuire ces tronçons de navet à l’eau salée.
  4. En fin de cuisson, les sortir de l’eau, les déposer sur du papier absorbant, et laisser refroidir à température ambiante.
  5. Couper en deux chaque navet dans le sens de la longueur.
  6. Emincer sur les ¾ de la longueur chaque demi-navet sur la hauteur, procéder de même sur l’épaisseur. Vous obtenez un ensemble de petits bâtonnets reliés les uns aux autres par le morceau resté entier.
  7. Remettre sur papier absorbant pour finir d’égoutter.
  8. Filtrer le jus rouge de la veille, le porter à ébullition et le lier légèrement à la fécule.
  9. Tremper pendant 30 minutes environ les « poils » du pinceau de navet dans le jus rouge bien chaud.
  10. Le jus colorera par capillarité toutes les parties incisées du navet en laissant blanche la partie intact.