La ballottine, ce n'est pas un ballot

La ballottine, ce n’est pas un ballot !

On dit de certaines situations ou de certaines actions « c’est ballot », pour dire que c’est bête, regrettable. Cette expression vient du mot « ballot », qui désigne une petite balle de marchandises ou de vêtements, un paquet de marchandises enveloppé de grosse toile et fortement ficelé pour être transporté plus aisément. Mais en cuisine ?

Le dictionnaire de l’Académie française nous dit que c’est un pâté fait de viande ou de volaille, et généralement farci, roulé en forme de ballot. Mais même à notre époque, il y a des contradictions, parce que le Trésor de la langue française indique, plutôt, qu’il s’agit de viande, volaille, gibier, poisson désossés, parés ou non, et roulés, cuits en cocotte ou dressés en gelée.

Qui faut-il croire : l’Académie française ? ou le CNRS ? ou aucun des deux ?

Comme souvent, je propose de revenir aux écrits anciens, et notamment aux écrits de cuisine, puisqu’il s’agit de cuisine. D’abord le Dictionnaire universel de Joseph Favre, au début du 20e siècle :
BALLOTINE, s. f. — L’étymologie de ce mot vient de ballot, c’est donc une faute d’écrire balotine. Mets froid composé de plusieurs petites galantines réunies, dont le tout forme la ballotine. Les ballotines d’agneau ou de toute autre viande de boucherie seulement, sont d’une seule pièce. On les farcit avec une farce à galantine, pressées en forme de ballot, décorées et garnies de gelée. Les ballotines de gibier ou de poulet sont composées de petites galantines dressées debout, réunies, garnies de gelée et surmontées d’attelets et de tête de gibier si elles en sont composées.

La ballottine, ce n’est pas un ballot

Mais j’ai trop souvent pris Favre en défaut pour que je me laisse à cette définitions… d’autant qu’il écrit « ballotine », et non pas « ballottine », avec deux t, comme on l’écrit aujourd’hui. J’ai donc remonté les textes jusqu’à 1806, où je vois André Viard (parfois écrit Viart) nous donner une recette de « noix de veau en ballottine » :
« Vous envelopperez votre noix d’une mince barde de lard dessus et dessous, et vous l’envelopperez d’une feuille de papier, de manière que votre assaisonnement ne s’en aille pas, puis vous la recouvrirez d’une autre, ainsi de suite, jusqu’à ce que vos six feuilles soient employées; ayez soin que votre noix soit hermétiquement renfermée que votre ballot ait une belle forme, et que vos plis soient bien faits; vous ficellerez votre ballot comme on ficelle une pièce de bœuf, afin qu’étant sur le gril, le papier ne se déploie pas une heure avant de servir, vous mettrez votre noix sur le gril et un feu très-doux; prenez garde que votre papier ne brûle et que votre assaisonnement ne sorte de votre papier; quand votre noix sera grillée, vous ôterez seulement la ficelle, et vous servirez votre noix dans le papier. La sauce se trouve dedans. En cas que la première feuille ait trop de couleur, il faudrait l’ôter. »

C’est donc très clair : ce n’est pas un pâté, mais une viande ficelée dans du papier, comme les ballots dans du tissu. Une sorte de papillotte, donc, mais avec du lard autour de la viande. Est-ce là l’origine de la ballottine ? Non, car en 1739, François Marin (Les dons de Comus) donne une recette de « Balotines de Lapreaux », dans les « hors-d’oeuvres » :
« Prenez des lapreaux de bon fumet, dont vous levez des filets & les émincez comme pour des bresoles. Marinez les comme les poulets à la Garonne. Formez-en des balotines & les faites cuire entre deux plats fur des cendres chauds, & les servez avec jus d’orange ou autre petite sauce. La plus simple est la meilleure. »

La ballottine, ce n’est pas un ballot

Là, nous confirmons que les ballottine ne sont pas des pâtés… mais que sont les « poulets à la Garonne » ? et des « bresoles » ?
Pour la préparation à la Garonne, je trouve des « artichauts, ainsi traités : il sont mis sur une tourtière avec de l’huile, sel, poivre concassé, et cuits sur des cendres chaudes. Ce qui ne nous éclaire guère. En revanche, avec la piste des « bresolles », c’est plus clair, parce qu’il nous donne une recette de « bresolle de veau à l’huile » :
« Coupez de petits morceaux de la noix de veau en travers de la largeur d’un gros écu, bien mince & bien battu ; marinez avec persil, ciboule, échalottes, truffes & champignons hachés, sel, poivre, un peu d’ail, de l’huile. Quand ils sont assez marinés, vous arrangez vos bresolles dans une grande casserole, de manière qu’elles ne soient pas les unes sur les autres. Mettez sur un grand feu. Quand elles sont refaites, d’un côté, vous les retournez de l’autre. »

On comprend qu’il s’agit de battre de la viande et de la diviser en lamelles que l’on marine, avant de cuire.

Mais, surtout, je trouve deux recettes qui finissent de nous donner la clé du mystère. D’abord avec une « balotine de langues de mouton » :
« Ayez une petite farce fine de foies gras é moelle de boeuf, des tranches de truffes, de foies gras & de langues de mouton coupées minces. Et formez ainsi vos balotines. Vous mettez un peu de crépine dessous & dessus la farce, un lit de langue, un lit de truffes, un lit et foies gras, ensuite de la langue et de la farce. Renversez la crépine & trempez dans une omelette. Panez avec de la mie de pain bien fine. Faites de même à toutes les autres. Faites-les frire de belle couleur ».
Là, il apparaît bien que l’on a des lamelles de langue, des lamelles de truffes, des lamelles de foie gras, et cela est pané à l’anglaise.

Quant à la « balotine de veau » :
« Coupez douze petites rouelles de veau de la rondeur de deux écus & de l’épaisseur d’une lame de couteau, & deux douzaines de la rondeur d’un écu. Coupez de même de grosses truffes & des foies gras. Ayez un peu de farce fine pour les composer. Il faut d’abord mettre une rouelle large, ensuite un peu de farce, puis de la truffe, ensuite de la farce, puis de petites rouelles de veau. Assaisonnez à chaque lit d’un peu de sel, poivre, & persil haché, & un peu de basilique, de la farce, ensuite du foie gras. Continuez de même jusqu’à ce que votre balotine soit formée. Recouvrez avec une rouelle de veau. Enveloppez bien le tout d’une crépine légère. Faites cuire dans une petite braise bien doucement. Ensuite ôtez la crépine, & servez en mettant dessous une sauce. ».

La ballottine, ce n’est pas un ballot

Et là, à nouveau, pas de papier mais de la crépine, et une cuisson braisée. Et c’est ainsi que nous avons le fin mot de l’affaire : une ballottine, c’est d’abord un petit ballot, qui peut se faire avec une viande d’une seule pièce, ou avec des lamelles de viandes et de champignons, par exemple… mais pourquoi pas avec seulement de la farce. C’est enveloppé soit dans du papier, soit dans de la crépine… soit dans autre chose : il suffit qu’il y ait une forme approximativement sphérique, de « balle ».

Mais… de la farce dans une boule de pâte ? Oui, c’est un pâté puisque cuit dans la pâte, et non pas une terrine, puisque cela n’est pas cuit dans un récipient nommé terrine. On peut diffe aussi une ballotine, si la forme est celle d’un ballot.

Bref, tout tient dans :
1. le fait d’envelopper la préparation
2. le fait d’avoir une forme de ballot.
Cela peut être chaud, avec une sauce, ou froid.. Salé, ou sucré. Gros, ou petit… Qu’importe, ce qui compte, c’est le « ballot ». Et avec des truffes et du foie gras, vous ne direz plus qu’un ballot est un lourdaud, un imbécile !

Par Hervé This