À la fois brillant et discret, d’une excellente technicité et d’une noble modestie, sa pugnacité et sa détermination forcent l’admiration. Décrochant la 3ème étoile en 2020, Kei Kobayashi entre dans l’histoire de la gastronomie française et du Michelin. La même année, le guide rouge destituait Paul Bocuse et consacrait un chef Japonais. Inédit !
Pour Kei Kobayashi, la 3ème étoile n’est pas une fin en soi. Son objectif atteint, comment aller plus loin ? Il y travaille, il réfléchit. La finalité est d’être le meilleur restaurant pour ses clients, de créer un lien avec eux, de laisser une trace dans l’histoire de la cuisine française, ou plutôt sa “griffe” dans la haute gastronomie. Son troisième opus culinaire est un aboutissement livresque.
Sa parole teintée d’un charmant accent nippon est rare dans les médias. Il cherche parfois ses mots ou la bonne expression, mais rien dans ses propos ne laissent planer quelconque hésitation. Il sait aussi d’où il vient. Il sait ce qu’il veut et où il va. Il est en quête des meilleurs produits pour son menu “horizon”.
Installé dans le salon, nous feuilletons son nouveau livre, qui explique sa philosophie culinaire à ses clients mais aussi à son équipe. Au cours de l’entretien, il s’exprime sur la mode, son plat signature “le Jardin”, le gibier, l’Alsace, il dévoile son plat préféré, le dernier restaurant qui l’a marqué, sa plus belle rencontre professionnelle, son livre de cuisine-“bible”, et son restaurant au Japon.
Vidéo entretien
Il a appris auprès des plus grands, s’en montre extrêmement reconnaissant, se targuant de 30 ans de métier. Il remet chaque jour l’ouvrage sur le métier. Rigoureux, perfectionniste et persévérant, il signe un style “Kei”. Qualifier sa cuisine de classique serait un beau compliment ? Selon Kei, seuls les grands plats qui traversent les décennies, deviennent des grands classiques, ils deviennent intemporels. Dans la haute gastronomie tout comme la haute couture, l’art pictural et l’art musical, il y a des modes et des tendances. De la nouvelle cuisine, à la fusion, moléculaire ou le végétal qui surfe dans l’air du temps… Kei signe ses préférences, sa différence et sa singularité. Ni pêcheur, ni cueilleur, ni chasseur, ni jardinier, il sait qu’il doit faire confiance à ceux, dont c’est le métier. Paris est son terrain d’expression.
« La nature est une école. L’animal et le végétal ont besoin d’eau et de terre. Si nous nous bornons à les juger, à les évaluer sans les avoir connus vivants, je crains que nous passions à côté de quelque chose de crucial. Paris est une ville, loin de la nature. C’est à la fois un avantage et un inconvénient. Grâce à la troisième étoile que le Michelin nous a décernée en 2020, nous recevons les meilleurs produits de France et du monde. Mais comme il nous est impossible d’être à la fois en cuisine et dans les champs ou en mer, nous devons nouer et entretenir une relation de confiance avec les producteurs ».
Kei s’est installé dans l’ancien restaurant de Gérard Besson, situé près du musée du Louvre, du côté du Palais Royal. Dans cette discrète ruelle, la façade écaillée interpelle. La réception est une rotonde avec une belle vue sur la cuisine. La salle du restaurant est un écrin, éclatant de tubes en cristal, tout en arrondis, aux tons épurés, une ambiance élégante créée par une certaine forme de sobriété, rehaussée d’un lustre Saint-Louis. Très moderne, elle retrouve des marqueurs de grandes maisons avec les nappes blanches et la préciosité du service, à la fois savant et décontracté, respectueux et jouant la proximité.
« La gastronomie est un combat quotidien. Elle présuppose que chaque plat est une œuvre d’art. Nous ne pouvons pas nous contenter de remplir l’estomac de nos clients ; nous devons satisfaire leurs sens, leur intellect, leur cœur et leur âme. Comme tout le monde, nous mangeons quotidiennement, mais de nos jours, nos clients veulent aller plus loin, car ils sont confrontés à des expériences culinaires de plus en plus abouties. Nous avons la volonté de répondre constamment à leurs attentes, mais aussi de les dépasser, à chaque instant et sur tous les points : service, propreté, air, atmosphère, cuisine. Pas question de baisser notre garde, du serveur au directeur du restaurant, du premier commis au chef. C’est en cela que la gastronomie est difficile, même si nous aimons profondément cuisiner et servir” témoigne le chef.
En 2020, il a ouvert une maison Kei au Japon (une cuisine de terroir) et il annonce une seconde ouverture en France. (écouter l’entretien)
Menu photographié novembre 2022
Le menu débute avec ses crevettes de Palamos de Méditerranée, accompagnées d’une écume de pommes vertes, relevées au thé earl grey et avec un sorbet bicolore déposé sur du caviar Kristal Kaviari, au shiso et pomme verte.
Le jardin de légumes croquants crus et cuits, crème roquette et épinards, vinaigrette à la tomate et mayonnaise légère. Le Jardin de légumes parfois appelé « la salade de Kei » n’est pas un plat signature figé puisqu’il évolue au gré des saisons et des inspirations. Différentes textures, saveurs et cuissons, crus ou cuits, blanchis, grillés, marinés ou légèrement fermentés.
Chaque élément est détaillé en fines rondelles, en tranches épaisses, en dés et en bâtonnets plus ou moins fins agrémentés d’herbes et de fleurs, le tout liée avec une mayonnaise légère, une crème de roquette, une vinaigrette à la tomate, ainsi que quelques dès de saumon fumé au bois de hêtre. Sur le dessus, tel un nuage, une écume de citron, saupoudrée d’un crumble d’amandes aux olives noires. Il faut absolument tout mélanger jusqu’à obtenir une sauce verte onctueuse. Pour le déguster, il faut le détruire.
Kei aime travailler les volumes et les textures, dans ce plat, le croustillant est apporté par les écailles de poissons très prisées au Japon. En France, il faut préciser au moment du service qu’elles se consomment. Le bar français est son préféré car la mer est plus salée (3%) que celle qui entoure l’île du Japon. Les écailles n’en sont que plus goûteuses. “Le bar doit être de ligne et ikéjimé, cela va sans dire. Je travaille toujours avec M. Gautier, le poissonnier qui me fournissait quand je travaillais chez monsieur Ducasse au Plaza Athénée”. Né à Noirmoutier dans une famille de pêcheurs, il fait régulièrement la navette entre Paris et son île natale. “Quand j’ai quitté le Plaza pour ouvrir mon restaurant, j’ai continué à lui commander du poisson, et, même si je n’avais pas encore d’étoile, il acceptait que je lui renvoie ses produits, quand ils ne me convenaient pas. Il me soutient depuis près de vingt ans. Comme il connait mes goûts, il me dit parfois avec la plus grande honnêteté: ” Kei, aujourd’hui, je n’ai vraiment rien pour toi” !”
Le bœuf Wagyu Kagoshima se déguste en deux services, avec un condiment moutarde à l’ancienne, raifort et cresson, jus de cuisson, et s’accompagne de gnocchis, fondants à l’intérieur et croustillants à l’extérieur.
La place de la viande est du gibier est importante à la table de Kei
Monsieur Gérard Besson était connu de tout Paris pour sa cuisine du gibier et notamment son “oreiller de la belle Aurore”. Chaque année Kei perpétue la tradition, personnalisant le plat, mais préservant la sauce au champagne et le fait de le servir chaud, juste à la sortie du four. On y retrouve 15 à 16 viandes : colvert, de la grouse, du perdreau, du faisan, de la palombe, du ris de veau et du foie gras, lapin, jambon, lard, porc, lièvre, du fond de veau et du vin rouge.
Pour apprendre à travailler la viande et le gibier, il se rend en Alsace au Cerf à Marlenheim, car la saison du gibier dure deux fois plus longtemps. “J’ai appris la viande. Je connais la viande. Je suis venu en France pour apprendre la cuisine française des Français, celle qui résiste aux influences, celle qui exalte la tradition. La cuisine classique plonge ses racines profondes dans l’histoire du pays. En France, l’art culinaire repose sur la transformation. On marine, on cuit, on mijote et on assemble. La cuisine française se définit par la superposition d’étapes de transformation. Et c’est dans la cuisine alsacienne que cette caractéristique est le plus évidente.”
Toshiya Takatsuka, le chef pâtissier du restaurant Kei, l’a rejoint en 2013, deux ans après l’ouverture du restaurant. « Sans lui, nous n’aurions jamais pu obtenir la troisième étoile », mentionne Kei, qui hisse son chef pâtissier au rang de ses mentors aux cotés de Gilles Goujon, Alain Ducasse ou encore Jean-François Piège. « Cela peut sembler étrange d’appeler «mentor» mon propre pâtissier. Dans un restaurant, il y a un menu, que l’on divise habituellement en « plats » et en «desserts ». Les plats sont généralement salés, et les desserts, sucrés. Ces derniers sont servis quand les clients sont déjà rassasiés et ainsi, plus exigeants devant les desserts et mignardises qui clôturent l’expérience. Or il est rare que les plats et les desserts aient la même identité, le même univers. Quand je parle avec Toshiya, je lui apprends beaucoup de choses, c’est normal, je suis son chef, mais je sais que lui aussi m’enseigne énormément. D’abord parce que je ne suis pas pâtissier et le dessert est à offrir à l’apogée du menu car telle est sa position dans un repas français. Pour réussir à créer de l’émotion à ce moment là, j’ai besoin de Toshiya. Il m’a appris comment réussir cela et continue de me former tous les jours à la « réflexion pâtissière». Souvent quand il n’est pas forcément d’accord avec moi, il m’oppose des arguments pragmatiques comme la météo et l’humidité qui pourraient influer une dégustation”.
Par Sandrine Kauffer-Binz
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