Julien Binz, chef de cuisine du Chateau d'Isenbourg, 2007

Julien BINZ, le prince d’Isenbourg, par Daniel Riot

“Un alchimiste ou un magicien talentueux de l’art culinaire, ce Julien Binz, un chef qui devrait faire des “Tommeries” une salle à déguster digne des meilleurs des tables étoilées ! Il vaut déjà beaucoup plus et mieux que la plupart des guides (toujours un peu en retard) le disent…”

Le 18 novembre 2007

Daniel Riot

“Au cœur du vignoble”… Connaissez-vous un château ou une demeure de classe d’une région viticole d’Europe dont la présentation dans les meilleurs (ou les plus mauvais) des guides ne commence pas par « Situé(e) au cœur du vignoble » ? L’Europe des clichés ne connaît pas de crise… Le Château d’Isenbourg, lui, a le vignoble au cœur. Et à cœur ! Une question de philosophie de vie plus que de situation…
Sur la route des vins, il est, bien sûr, ce chateau. Bien ancré dans l’Alsace pre-vosgienne, face à la Forêt noire qui, ici, fait office de la grenouille dans son bocal du bon météorologue… Bien exposé, comme un objet de désir.

Il est trop imposant pour ne pas être hanté par des faits d’armes, des intrigues de chevaliers ou d’évêques, des cœur fléchés et des parfums de femmes. Et il est, bien sûr, chargé de cette Histoire qui fait de l’Europe non le “vieux continent”, mais une terre pétrie d’humanité qui adore les histoires…
Isenbourg ? Plongée en Austrasie ! En ce Royaume franc des Mérovingiens qui, de la mort de Clovis (511) à celle de Childeric III (751), nous a valu quelques Clotaire, Sigebert et autres…Dagobert.
Une résidence royale, ce château de Rouffach dont l’histoire …moderne commence avec l’évêque Frédéric de Blankenheim en 1380 ! Il abrite aujourd’hui un hôtel quatre étoiles des « Grandes Etapes Françaises » qui vaut détours et séjours. Y compris pour garder la forme ou la recouvrer: unspa à user sans modération…

Il offre, surtout, une cuisine… royale grâce à un jeune chef imaginatif, inventif, subtile, expert en mariage des saveurs.


Un alchimiste ou un magicien talentueux de l’art culinaire, ce Julien Binz , un chef qui devrait faire des “Tommeries” une salle à déguster digne des meilleurs des tables étoilées ! Il vaut déjà beaucoup plus et mieux que la plupart des guides (toujours un peu en retard) le disent…

“Tommeries” ? Le nom des pupitres sur lesquels on posait, avec délicatesse, des fioles soufflées qui permettaient de conserver le raisin dans les conditions les meilleures. Un nom qui est celui du village de Bourgogne où ces fioles étaient fabriquées.

Les Tommeries : un triple symbole qui sied bien à la cuisine de Julien. Respect des traditions les meilleures, soin et conscience du vrai artisan, par définition passionnément amoureux de son art, et goût de l’innovation, de la recherche, de ces trouvailles qui font, comme disait Valéry, que “le génie est une habitude que prennent certains”.

Julien est tombé dans les marmites dans son adolescence. Et il a visiblement pris cette “habitude” valéryenne : le mot “génial” appliqué à sa cuisine n’a pas l’affadissement qui faisait piquer de saines colères à Musil contre les journalistes en mal d’inspiration…
Et cet amoureux de son art sait aussi, pour rendre une autre formule de Valéry, que “le travail doit finir par effacer le travail”…

Son parcours, il est vrai, n’a rien d’un chemin de croix. De très belles stations sur la route des bons couverts ! Les Armes de France, à Ammerschwihr (67), Le Buerehiesel à Strasbourg (67), L’Auberge d’Artzenheim et (mais oui) l’Auberge de l’Ill à Illhaeusern (68).

Ce “Jeune talent 2006” a été le second de cuisine de Marc Haeberlin.

Ce parcours étoilé devrait logiquement (“l’intendance suivra”, redirait De Gaulle !) le conduire au paradis des meilleurs… si j’en juge par ce que j’ai vu, senti et dégusté.
Avec la sûreté de bouche qui vient d’une petite expérience de fine gueule que je confesse bien volontiers et d’un esprit d’épicurien non repenti, qui aime les repas non de fêtes, mais en fêtes (de tous les sens) et qui place la cuisine dans la “rubrique” culture et non “vie pratique”…

Du grand art, vos mets, “chef Julien” !

En sortant du château, je pensais à ce proverbe alsacien que Martin Graff avait remis au goût du jour et dont j’ai fait un peu ma devise personnelle : “Cultive tes racines, et plante-les dans les étoiles”…
Non seulement, parce que les étoiles peuvent et doivent devenir votre jardin professionnels, mais parce que votre art de marier (et de doser) les saveurs, donc les produits, est très “européen” dans le sens le plus noble du terme : je ne sais si vous êtes des “euro-toques”, mais votre toque est authentiquement européenne. Avec une carte “unie dans la diversité”…

Daniel RIOT (1946-2009)