Je viens de constater que, si j’ai évoqué vaguement la « duxelle », je n’ai pas bien cherché ce dont il s’agissait. Il faut réparer cet oubli.
Le Dictionnaire de l’Académie française nous indique que le mot désigne un apprêt qui aurait été créé par l’officier de bouche du marquis d’Uxelles ; il s’agirait d’un hachis de champignons cuits au beurre avec de l’ail et des échalotes. Bon, pourquoi pas … mais d’où cela vient-il ? Et, surtout, est-ce juste ?
Le Guide culinaire, qui ne donne pas non plus de références, et que je prends régulièrement en défaut, distingue une sauce et une préparation.
Pour la « sauce Duxelles », il s’agirait de réduire de deux tiers 2 décilitres de vin blanc et 2 décilitres de cuisson de champignons, additionnés de 2 cuillerées d’échalotes hachées ; on ajouterait un demi-litre de sauce demi-glace, un décilitre et demi de purée de tomate et 4 cuillerées de Duxelles sèche ; on ferait bouillir pendant 5 minutes et on compléterait avec une demi-cuillerée de persil haché.
Le Guide culinaire ajoute que la « Sauce Duxelles » serait souvent confondue avec la « sauce Italienne », mais s’en différencierait en ce qu’elle n’admet aucune addition de jambon ou de langue écarlate. Pourquoi pas. Mais, au fait, la Duxelles sèche ? Elle aurait « pour base invariable » les champignons hachés, et on pourrait la préparer avec n’importe quel champignon comestible. Il s’agirait de chauffer une cuillerée d’oignon et une cuillerée d’échalote hachés avec 30 grammes de beurre et autant d’huile ; on ajouterait 250 grammes d’épluchures et queues de champignons hachées finement et fortement pressées pour en extraire l’eau de végétation ; on ferait revenir jusqu’à évaporation complète de toute humidité, puis on assaisonner aitde sel et de poivre, on compléterait avec une pincée de persil haché.
A ce stade, il faut observer que le mot est orthographié avec un D majuscule, et un s final, même au singulier. Pourquoi pas, mais pourquoi ?
Consultons le Dictionnaire universel de cuisine pratique de Joseph Favre, qui, lui, écrit plutôt « duxel » ! Et il est parfaitement explicite : « De Uxelet par la particule nobiliaire d’Uxel et par altération duxelle ; on devrait donc écrire duxel.— Nom d’un appareil et non pas d’une sauce, servant de base à une foule de mets ou sauces, qui doivent être préparés à la minute ». Pour la préparation : Hacher menu dans une proportion de trois quarts d’oignons pour un quart d’échalotes et de champignons crus ; ajouter une ou deux gousses d’ail selon la quantité ; passer le tout dans un sautoir à l’huile fine, sur le feu. Mouiller de vin blanc et de bon jus de boeuf ou de veau, jamais de mouton ; faire réduire en demi-glace, et ajouter une pointe de poivre de Cayenne ou du poivre du moulin. Conserver cet appareil dans une terrine émaillée ou vernissée pour s’en servir au besoin. »
C’est bien loin de ce que l’on a vu détourné par les auteurs du Guide culinaire ! Mais on pourrait craindre que Favre ne soit pas mieux qu’eux, de sorte que j’ai poursuivi la recherche, et j’ai trouvé une « Duxelle » (sans s final) dans la Cuisine classique d’Urbain Dubois et Emile Bernard. Il faut savoir que ce livre-là, publié en 1868, a servi d’inspiration aux auteurs suivants, qui l’on parfois malmené indûment. En l’occurrence, Dubois et Bernard écrivent que « la Duxelle se compose de fines herbes cuites, mouillées avec un peu de glace ou demi-glace, et celle-ci réduite avec les fines herbes, en tournant l’appareil à la cuiller. Quand cet appareil est froid, il doit être consistant et serré. » Ils ajoutent la recette d’une « sauce Duxelles » (avec s final), dont la recette est :
« Faites réduire d’un tiers de son volume 6 à 7 décil. d’espagnole avec 2 décil. de blond de veau concentré; en dernier lieu, incorporez peu à peu à la sauce un verre de vin blanc sec; quand elle est liée à point, passez-la à l’étamine; vannez-la sur feu en additionnant 5 à 6 cuillerées à bouche de fines herbes cuites, bien épongées, ainsi que 2 cuillerées de langue écarlate cuite et hachée. »
Surtout, il faut observer qu’il n’y a de champignons ni dans l’une ni dans l’autre ! Et voici pourquoi, quand on fait une duxelles de champignons, il faut des champignons… mais c’est alors une duxelles particulière, et non pas « la » duxelles !
Et pour terminer, je trouve la plus ancienne mention d’une duxelles chez Jules Gouffé, qui publia un an avant Dubois et Bernard : « Je désigne, sous le nom de fines herbes pour garnitures et sauces, le mélange connu jusqu’alors en cuisine sous le nom ambitieux, suivant moi, surtout en fait de cuisine de ménage, et assez peu intelligible dans tous les cas, d’Uxelles ». Intéressant que cette préparation, qui aurait été connue, n’ait guère été présente dans les livres de cuisine classique : ni chez André Viard, ni chez François Massialot. On la trouve, en revanche, orthographiée « d’Uxel » ou « duxelle » chez Marie-Antoine Carême, pour une sauce, avec champignons, persil, truffes, échalotes, ail, lard, beurre, girofle, muscade, laurier, thym, basilic, vin blanc, sauce allemande.
Chez François Marin, on trouve une « crème à la d’Uxelles », qui se fait avec jaunes d’oeufs, farine, crème, sucre, fleur d’oranger. On ajoute cela à du lait bouillant et l’on finit de cuire pour épaissir. Et on trouve des « pigeons à la Duxelle » : les pigeons sont cuits en casserole avec du lard, puis accompagnés de dés de veau, jambon, beurre, ciboule, échalotes, sel, poivre, truffe et blond de veau.
Bref, une duxelles est finalement une préparation avec des aromates hachés (toujours échalotes, ail, persil, ciboule), possiblement des champignons, du fond de veau, le tout étant réduit. Et on nommera « duxelles de champignons » les duxelles qui seront faites avec des champignons.
Hervé This