Quelle belle année pour Mallory Gabsi qui a ouvert son restaurant éponyme rue des acacias à Paris (17ème) le 5 mars 2022. Le jeune chef médiatique découvert dans l’émission Top Chef (saison 11) puis Cauchemar en cuisine avec Philippe Etchebest, a réussi en quelques mois d’ouverture à rafler un Award TheFork parrainé par Hélène Darroze, Michel Sarran et Guy Savoy, ainsi que le trophée « Grand de demain » du Gault&Millau 2023.
Confirmé Grand de Demain par le Gault&Millau
Pour Marc Esquerré le directeur des enquêtes des guides Gault&Millau, « il incarne cette génération Z qui bouscule les précédentes (…) Mallory Gabsi possède un vrai talent et pas seulement de metteur en scène. Dans chaque assiette, dans chaque bouchée, il montre qu’il est avant toute chose un cuisinier ».
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« Quelle fierté pour l’équipe », s’exclame Mallory Gabsi, « Nous sommes tous des grands de demain ! Nous avons réussi l’ouverture, la carte a été élaborée en moins d’une semaine et la mise en place pré-ouverture s’est faite en 4 jours. C’est la première cuisine que je dessine, je la voulais ouverte, donnant sur deux tables du chef. Le soutien du Gault&Millau, est important. Andrea Harel, le responsable de salle et sommelier, a déjà été récompensé dans Gault&Millau Tour île de France», rajoute-t-il. Melchior Dufournier énonce les intitulés tel un sommelier, fera l’accord avec le plat. Les produits présents sont détaillés et reliés entre eux, par le jeu de textures, les acidités, les amertumes et les équilibres.
« Je ne me sens pas « top chef », je suis Mallory »
Mallory mentionne sa solide formation de 7 années dans différentes maisons étoilées Michelin avant de rejoindre le programme Top Chef, accélérateur d’apprentissage, « en termes de gestion de stress, créativité, de capacité à s’adapter », se souvient-il. « C’est un tremplin incroyable et une formidable aventure humaine », mentionne-t-il reconnaissant.
À 25 ans, sérieux et réfléchi, il suit les conseils de son entourage ; la médiatisation peut être éphémère, il faut investir et construire. L’ouverture de son restaurant permet à sa communauté de franchir l’écran pour venir le rencontrer et apprécier sa cuisine concrètement. Deux menus « Sens » et « Turquoise » (sa couleur préférée) (4 et 7 séquences) offrent un bel aperçu de sa créativité. Le menu Leon (éponyme de son grand-père) comprend l’accord mets/ vins.
Dans l’assiette
Ces deux années au poste de saucier au Sea Grill à Bruxelles 2* Michelin, permettent l’aboutissement de ses jus, sauces, et béarnaises de toute beauté. Concentration des goûts, sapidité, onctuosité, et gourmandise, sont au rendez-vous, marqueur d’un savoir-faire. Au-delà du graphisme et de l’esthétisme des assiettes, de belles puissances aromatiques, des associations de produits jugées audacieuses dans un premier temps, puis opérantes d’efficacité dans un second, confirment une identité culinaire et le sérieux du sujet.
« Le jour où le chef saucier du restaurant Sea Grill de Bruxelles est parti, je suis allé demander le poste », se remémore Mallory. « C’est Frédéric Murati qui m’a formé pendant 4 ans, j’ai souffert, reconnaît-il, « car c’était une machine de guerre et aujourd’hui je le remercie. Il m’a structuré, forgé, me prenant sous son aile, j’ai beaucoup appris. Puis Yves Mattagne a pris le relais. Nous étions déjà ensemble avec Thibaut Van Outryve, mon sous-chef, et Helmut Lewin mon adjoint. Ensemble, nous avons saisi des opportunités, nous formons une belle équipe, nous sommes soudés. »
Les associations terre-mer sont à l’honneur, le salin, l’iodé, les algues, les planctons sont ses produits de prédilection. L’anguille n’a jamais été retirée de la carte depuis l’ouverture, plusieurs jus et sauces sont des « bombes aromatiques » et son dessert « La pomme de pin en chocolat » en trompe-l’œil est un plat tiré de son passage dans Top Chef.
Menu photographié Novembre 2022
3 mises en bouche ouvrent le bal avec une cuillère de crevette grise de la mer du nord rafraichie par un gel de citron surmonté d’un espuma Nantua qui apporte de la gourmandise et la bille en chocolat blanc, jus d’arbousier/ œuf de saumon mariné au soja.
Moules/ Miel
Vient ensuite un tube croustillant garni d’un crémeux de moules, de miel et d’oignons et saupoudré de pollen d’oignons de forêt, ainsi qu’un mélange de thé et algues.
Saint-Jacques
Snackées à la plancha, déposées sur un jus de barde de Saint-Jacques, elles sont recouvertes de caviar séché et râpé qui renforce la salinité. Mousseline de céleri et crémeux au champagne qui apporte de l’onctuosité et de la gourmandise.
Homard/ ris de veau
Le ris de veau bien croustillant marié au homard bleu nacré est escorté d’une déclinaison de carottes en différentes textures avec des notes acidulées. Le condiment poutargue-combawa, ajoute un brin d’amertume. En salle, la béarnaise (homard-estragon) est mélangée et servie.
L’anguille au vert
Mallory s’inspire d’un plat traditionnel belge qu’il revisite. Sur un crémeux vert réalisé avec une quinzaine d’herbes, échalotes et vin blanc, se dépose l’anguille fumée et laquée à la bière belge. Des perles de citron caviar, du caviar séché et râpé ainsi que du caviar osciètre de Kaviari, apportent une salinité équilibrée.
Poulette/Huitre
La poulette est cuite à basse température servie avec un jus d’arêtes. Le poireau légèrement confit, dressé en élégante verticalité, est couronné d’œufs de brochet, déposés sur un cercle de poudre de spiruline (algue). Une brunoise d’huître disposée sur le dessus, fait le lien de cette assiette.
Le chevreuil
Le dos de chevreuil est maturé, snacké à la plancha, nappé d’une sauce poivrade soyeuse, réduite pendant plus d’une semaine. Le condiment rouge à l’épinette (baie rouge iranienne) apporte du peps acidulé. La chiconette confite est surmontée d’un crémeux de wasabi, qui associe légèreté et épices.
La pomme de pin
Différents chocolats en texture font émerger cette pomme de pin en trompe-l’œil, un dessert qu’il avait réalisé lors de son passage dans Top Chef. En alternant, chocolat noir travaillé en mousse, un cœur praliné aux pignons de pins, un chocolat-caramel rehaussé de fleur de sel, on déguste avec gourmandise ce dessert qui peut aussi s’effeuiller en finger-food.
Toujours se souvenir d’où l’on vient
Né en 1996 à Ixelles, près de Bruxelles, Mallory, surnommé « Malou » par ses proches et ses fans, s’est intéressé très tôt à l’art culinaire. Très proche de ses grands-parents, il observe sa grand-mère préparer de bons petits plats, ou son grand-père Léon d’origine tunisienne s’appliquer à réaliser d’immenses couscous pour toute la famille. Un grand-père qu’il a tenu à inviter à la soirée du Gault&Millau pour partager avec lui ce grand moment d’émotion.
« J’ai voulu qu’il vive et profite de ce moment avec moi », confie-t-il. « Ma grand-mère me disait toujours qu’il ne fallait jamais oublier d’où on vient ». À 86 ans, Léon suit avec passion les aventures de Malou. Le seau à Champagne, pièce historique est familiale, est son cadeau d’ouverture. « La famille est très importante », mentionne Mallory aux petits soins pour Léon. « Maman venait souvent sur les tournages ». Son père travaille aux Nations unis, moins présent physiquement, ils s’appellent très régulièrement.
Formé à l’École d’Hôtellerie de Bruges, ses premiers concours sont les « Jeunes Talents Disciples d’Auguste Escoffier » comme commis Danièle Soru le vainqueur ; et en 2015, il participe à la Cooking Cup des Jeunes Restaurateurs d’Europe, où il se hisse à la 4ème place. Dans son CV, figurent deux années chez Yves Mattagne au Sea Grill (2*) de 2015 à 2017, puis chez Hertog Jan (3* Michelin), avant de s’installer en France pour travailler au Domaine de la Bretesche à Missillac. Fin 2018, il retourne au Sea Grill où il devient chef de parti tournant et saucier. Après Top Chef, il a ouvert des tables éphémères avec son ami Adrien Cachot. Il publie son premier livre de recettes Cuisine comme Malou en 2021 et installe d’autres restaurants concepts ainsi que les friteries 140°C Street à Bruxelles.
Je suis chez moi
Mallory a ouvert avec un associé dirigeant-fondateur d’un groupe hôtelier. C’est lui qui a déniché l’endroit, accompagnant le jeune chef de son expertise et sa bienveillance. Cet épicurien passionné de haute gastronomie laisse carte blanche au chef. Mallory détient 70 % des parts.
La décoration est signée par l’architecte Arnaud Bezhadi. Les choix des couleurs et des matières évoquent les parfums des recettes de Mallory. Ainsi, le velours des assises, associé à quelques touches de turquoise (la couleur préférée de Mallory), s’inspire du safran, ingrédient qui lui rappelle les plats de son enfance. « Arnaud Bezhadi m’a impressionné », s’exclame Mallory, « il m’a demandé ma carte pour s’inspirer des textures, des goûts, du croquant, du moelleux, et de la gourmandise. Il a respecté mes envies, il a été bien au-delà de ce que je pouvais m’imaginer. Ma personnalité culinaire s’exprime dans la décoration. »
C’est moderne, avec du bois chaleureux, un côté chic avec le marbre, cosy avec le velours, brut avec la pierre layée, fil conducteur de l’extérieur à l’intérieur, rampant sous le pass de la cuisine. « Je m’y sens bien, il y a des rondeurs et de la douceur. Les lampes brisées en laiton ont été dessinées pour mon restaurant. » Elles évoquent le croquant avec des paillettes d’or en référence à un dessert autour de la mangue et le fruit de la passion. Les miroirs circulaires légèrement occultés agrandissent l’espace. Au fond, sur la gauche, se dévoile une table discrète et plus intime.
Pour l’art de la table, des pièces en céramiques créées sur mesure (saucières, assiettes) côtoient le charme du classique et l’intemporel des assiettes Bernardaud et des couverts Christofle de « seconde main ». Les tenues de salle sont dans l’air du temps, décontractée, veste de cuisinier, tablier de sommelier et basket blanches.
« Nous sommes très attachés aux valeurs de partage et de convivialité de la belle gastronomie. Mon objectif, c’est de continuer à rendre les gens heureux avec ma cuisine et surtout de rester fidèle à moi-même », conclut-il.
Par Sandrine Kauffer-Binz