Chimiste, j’interroge systématiquement mes interlocuteurs quand ils disent devant moi des mots qui relèvent de ma compétence, plutôt que de la leur. C’est ainsi que je rencontre maintenant des personnes qui, quand elles ne me connaissent pas, croient pouvoir m’expliquer ce que sont des réactions de Maillard, un choc thermique, un œuf parfait, par exemple.
Dans ceux qui sont souvent prononcés ou écrits de façon incohérente, il y a certainement « acide aminés, ou « chlorophylle », ou « lécithine », ou encore « acide gras », mais j’ai déjà expliqué tout cela par le passé dans ces billets terminologiques. En revanche, je m’aperçois que je n’ai pas considéré le terme « anti-oxydant », que prononcent nombre de diététiciens pour lesquels un anti-oxydant serait « bon pour la santé ».
Un anti-oxydant serait « bon pour la santé ».
Commençons par signaler que « bon pour la santé » est une expression qui mérite que l’on se méfie dès qu’on l’entend : il n’y a pas de panacée, et ce qui est bon pour un de nos organes sera mauvais pour un autre, sans compter que rien n’est bon ni mauvais, et que tout est une question de dose ! Méfions-nous ainsi des huiles essentielles, qui sont des concentrés de composés très actifs : les modes diététiques récentes ont été jusqu’à conduire l’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire à faire une alerte à ce propos, et j’ajouterais que l’on devrait interdire la vente d’huiles essentielles de basilic ou d’estragon, pour lesquelles le composé principal est l’estragole, cancérogène et tératogène.
Cela étant dit, qu’est-ce qu’un produit « anti-oxydant » ?
Disons d’abord que la chimie connaît bien des composés oxydants, qui sont des composés capables de provoquer des « oxydations ».
Des oxydations ? Commençons par penser au dioxygène de l’air, qui fait rouiller le fer. Ce dioxygène est oxydant (c’est même le mot « oxygène » qui a donné « oxydation »). Et des composés anti-oxydants sont donc des composés qui s’opposent à cette oxydation. Par exemple, laissées à l’air, surtout s’il fait chaud et s’il y a de la lumière, les matières grasses rancissent, prenant un goût désagréable, mais, surtout, se chargeant de composés dangereux pour la santé. Et c’est un fait que des composés phénoliques des huiles d’olive, par exemple, combattent ces oxydations, et préviennent le rancissement.
Des composés phénoliques ?
Là, il faut que je fasse amende honorable, parce que, par le passé, j’ai lutté contre un usage intempestif du mot «tanin », et proposé que l’on utilise « polyphénols », ce qui est plus juste… à cela près que les instances internationales préconisent plus justement encore que l’on parle de composés phénoliques, ou de « phénols ». Je me conformerai désormais à leurs recommandations.
Bref, les couleurs des fruits et des légumes ou des fleurs sont dues à des composés variés, tels des chlorophylles ou des caroténoïdes, mais aussi à des « phénols ». Et il est vrai que certains de ces phénols sont « anti-oxydants ».
Pour autant, on évitera de penser que les composés phénoliques sont « bons pour la santé »… car les chimistes connaissent bien certains de ces composés qui sont parfaitement toxiques. D’autre part, les chimistes connaissent aussi des composés phénoliques qui ne sont pas anti-oxydants.
Finalement, on aura raison de préconiser une alimentation équilibrée, qui fait une bonne part aux produits végétaux, mais, si l’on veut dire des choses justes, on évitera des phrases aussi fausses que générales du type « les composés phénoliques sont bons pour la santé parce qu’ils sont anti-oxydants ».
Par Hervé This