Toutes les subtilités de la persillade

Aujourd’hui, on m’interroge : Avez-vous déjà écrit sur la persillade ? Je trouve que la persillade est fascinante car, bien que simple de prime abord, elle pose de nombreuses questions :

  • À quelle température doit être cuit l’ail pour prendre ce goût sucré et se marier avec les autres ingrédients ? Il m’arrive de le cuire trop fort et dans ce cas, la persillade ne semble pas “fonctionner”.
  • Comment ces trois ingrédients si différents (ail, persil & huile) semblent, lorsque la persillade est bien faite, former cette pâte épaisse quasi-homogène ? Cela cache-t-il une réaction chimique ?
  • Comment est-ce possible que ma femme et moi qui n’aimons pas le goût du persil (et même dans le cas de ma femme pas celui de l’ail) raffolons de la persillade qui sert de base à la recette de linguine aux coques et autres palourdes, vongole, etc. ?
  • Y a-t-il des proportions à respecter pour réussir la persillade ?

Immédiatement, je suis bien d’accord avec mon correspondant : oui, une bonne persillade, c’est merveilleux… en supposant que ce soit bien cette pâte que l’on obtient en mixant persil, ail, beurre, jus de citron et sel.

Mais est-ce bien cela ?

Dans le Dictionnaire universel de cuisine, Joseph Favre nous livre :

PERSILLADE, s, /. — Sauce ou condiment à base de persil, estragon, oignon, échalote et quelquefois d’huile et de moutarde.

Ici, c’est raté !

Mais on trouve aussi : Persillade pour viandes grillées (Sauce chaude). — Formule 4,133. — Hacher oignon, échalote, ail, faire cuire dans la poêle avec du beurre frais, aussitôt cuit ajouter du persil et des fines herbes hachées, mouiller avec moutarde, jus de citron ou vin blanc et verser sur les grillades.

Et là, c’est encore raté, même si ça se rapproche un peu (ma version “intuitive” est moins bien).

Persil

Et encore :

Persillade froide (Sauce). — Formule 4,134 — Faire cuire à la poêle, oignons, échalotes et ail hachés, les déposer dans une terrine avec fines herbes hachées, moutarde française, poivre, sel* vinaigre, huile et jaunes d’œufs durs passés au tamis et les blancs finement hachés ; faire du tout une sauce peu liée ; on s’en sert pour accompagner les poissons et les viandes froides.

Toujours raté !
Mais m’être trompé ne me pose pas de problème : au contraire, j’ai le plaisir de me corriger ! En revanche, comment répondre correctement à mon interlocuteur, si je ne comprends pas bien sa question ? Allons, faisons l’hypothèse qu’il ne savait pas plus que moi ce qu’est une persillade, et utilisons ma mauvaise définition initiale… car la préparation ainsi définie reste vraiment délicieuse, même si trop simple.

À quelle température doit être cuit l’ail pour avoir le goût merveilleux qu’il sait prendre ?

Je n’en sais rien, parce que  je suppose que les goûts sont différents non seulement en fonction de la température, mais aussi du temps de cuisson ; personnellement, j’aime les persillades avec une large gamme de couples temps-température.

En revanche, il n’est pas difficile d’expliquer la structure de la préparation, en supposant qu’on la fasse avec ail, persil, huile ou beurre.
Notamment, si l’on mixe un tissu végétal (ail, persil) avec de l’huile, on rompt les cellules végétales, ce qui libère de l’eau, d’une part, et des protéines et des phospholipides d’autre part : il y a tous les ingrédients pour une émulsion, et l’huile ajoutée ensuite vient donc s’émulsionner (se disperser sous la forme de gouttelettes microscopiques) dans ce “olli”, en l’occurrence dans le persil-ailloli, persillolli à l’ail, aiolli au persil, selon les proportions.

Olivier Nasti : l’expérience "Chambard à domicile"
L’omble chevalier de nos montagnes, écrevisses, escargots et jus de persil ©Lukam

Reste la question du goût particulier que prend cette émulsion quand elle cuit. Je crois qu’il n’y a pas besoin d’imaginer des réactions compliquées ; il y a d’abord des molécules de l’ail fragiles, évaporables, mais aussi des composés odorants du persil qui s’en vont… et tout change, à toute température, avec cette même question du couple température.

Reste la conclusion de mon interlocuteur :
J’espère que vous m’excuserez de vous poser ces questions sûrement naïves ? Mais mes recherches ne m’ont mené nulle part.

En réalité, je ne sais pas ce qu’est une question naïve ! Car pour les variations de goût en fonction de la cuisson, c’est si peu naïf que… la réponse est inconnue. La question est TRES difficile, et l’on n’aura sans doute pas la réponse de sitôt ! Car qui fera l’exploration physico-chimique, sachant qu’il faudra y passer des années de travail intensif ?

Les recherches n’ont mené nulle part : cela ne m’étonne pas, sachant ce que je viens de dire.
Sans compter que les questions les plus élémentaires sont les plus difficiles : qu’est-ce qu’une “force” ? qu’est-ce que l’énergie ? que verrait-on si l’on était assis sur une fusée qui évolue à la vitesse de la lumière ? qu’est-ce qu’un nombre ? Et il faut des scientifiques aguerris pour oser poser de telles questions !

Par Hervé This