Voilà un bien curieux animal, fascinant à plus d’un titre. Adulé en gastronomie, sa chair exquise s’invite sur toutes les tables de fêtes. Sauvage ou d’élevage, il est recherché et apprécié dans tout l’hexagone. Presque toutes les régions de France, revendiquent une spécialité culinaire à base de ce mollusque terrestre, qui a plus d’un tour dans sa coquille.
Symbole de la paresse, l’escargot est bien mal noté dans la tradition judéo-chrétienne, car, par son aspect visqueux et son calme légendaire, il est la manifestation du péché mortel ! Réhabilitons donc ce délicieux gastéropode, par un petit voyage, tout en lenteur, aux côtés de nos sympathiques colimaçons.
L’escargot : animal bizarre
« Escargot » est le nom vernaculaire, qui désigne des gastéropodes à coquilles, terrestres ou aquatiques. Les plus petits ne mesurent guère plus de 2 mm, les plus gros avoisinent le kilo.
Ce mollusque, car c’en est un, possède deux paires d’antennes rétractiles nommées aussi cornes. Le sommet des premières est pourvu d’un œil. Il possède une langue râpeuse garnie de plus de mille petites dents. Ses poumons se situent juste à côté de l’anus (bonjour les odeurs !). Pour avancer, il doit glisser. Pour cela il produit un mucus, riche en matières mystérieuses, utilisé en médecine et en cosmétique. Sa vitesse de croisière peut atteindre, dans les meilleures conditions, sept centimètres par minute ! On peut donc affirmer qu’il glisse à 4.20 mètres par heure. Il est hermaphrodite, car il produit autant de spermatozoïdes que d’ovules. Les escargots candidats à la reproduction se font une cour assidue pendant au moins deux heures. Les plus amoureux font ensuite durer le plaisir de la copulation pendant plus de douze heures en se pénétrant mutuellement et s’inséminant réciproquement : ils s’échangent autant d’ovules que de spermatozoïdes…Plus tard, ils pondront chacun une bonne centaine d’œufs. Mais le plus extraordinaire est le fait qu’un escargot chante. Il barbotte dit-on. Près de son pied, il expulse violemment de l’air sous pression par un orifice étroit encombré d’un liquide visqueux. Cela produit un son, tel celui d’un baiser. Certains escargots, comme Hélix aperta, produisent des sons plaintifs lorsqu’ils sont attrapés.
Ils vivent ordinairement de cinq à sept ans, voire 30 ans en captivité. Enfin, l’heureux animal hiverne. Pour qu’on le laisse tranquille, il opercule sa coquille avec un mélange de mucus et de calcaire appelé épiphragme. Grand voyageur, on le nomme différemment selon la région qu’il explore lentement. On trouve donc l’escargot turc, grec, africain, de Bourgogne, de Quimper, de Corse, de Vénitie, pour ne citer que les meilleures des cagouilles, qui abondent aussi dans le marais poitevin.
L’escargot Hélix
Il existe sur notre planète plus de 200.000 espèces d’escargots, terrestres ou aquatiques. Des milliers restent encore à découvrir. Ils sont consommés partout dans le monde, sauf en Angleterre où, en ce pays pluvieux, ils abondent pourtant. En Italie, à Rome, ils se nomment ciumacata. Il est ordinairement mijoté dans une sauce tomate agrémentée de menthe fraîche. Aux Philippines, on le trouve frit, dans les échoppes éphémères des rues de Manille. En Indonésie, il est servi en brochette épicée. Au Maroc, j’ai eu le courage, il y a plus de quarante ans, d’en goûter sur la place Jemaa el Fna. Ces limaçons baignaient dans une sauce rouge extrêmement gluante et pimentée : je me rappelle encore aujourd’hui, l’effet que cette sensation texturelle m’avait produit… En Pologne, ils sont cuisinés cuits au bouillon gras, puis accommodés avec du beurre et du raifort. Les recettes françaises ne manquent pas : « à la bordelaise » avec des champignons dans une sauce liée, ou « à la bourguignonne », dans une recette de 1863, où ils sont apprêtés avec du fromage de Suisse, « à la provençale », servis avec de l’aïoli.
Les Français consomment principalement quatre espèces du genre hélix :
- Hélix aspersa aspersa : dit petit-gris. Il pèse de 7 à 15 grammes. C’est une espèce méridionale apprécié sur tout le pourtour méditerranéen.
- Hélix aspersa maxima : dit gros-gris. D’un poids de 20 à 30 grammes, il est apprécié de la Bretagne au Nord de la France.
- Hélix pomatia : le fameux escargot dit le Bourgogne. Il revendique fièrement un poids oscillant entre 25 et 50 grammes. Son élevage est très compliqué, ce qui fait qu’il est le plus souvent issu de ramassages en pleine nature, ce qui lui confère une saveur exceptionnelle. Ceux ramassés autrefois en plaine d’Alsace possédaient une saveur végétale prononcée. Ceux récoltés en montagne, dans les zones d’éboulis, avaient la coquille claire, presque blanche. Leur goût était plus fin, ils pesaient souvent plus de 60 grammes.
- Hélix lucornum : il s’agit d’un escargot importé principalement des Balkans et de Turquie. Il ne peut prétendre à l’appellation de Bourgogne, même cuisiné à la bourguignonne…
L’animal nommé achatine n’appartient pas au genre hélix mais à celui des Lissachatina. Appelé aussi escargot géant africain, il n’a donc pas le droit de prétendre à l’appellation escargot. La tromperie est courante, car issu d’élevage, il est bien moins cher que son cousin bourguignon.
Tradition et histoire autour de l’escargot en Alsace
Les Romains, qui occupaient l’Alsace il y a deux mille ans, raffolaient des escargots. Ils étaient passés maîtres dans leur élevage réalisé dans des viviers. Ils les engraissaient avec du blé et du vin cuit pour les rendre plus digestes. Les monastères ont pris la relève pendant tout le Moyen Âge. Les chroniques de l’époque, vantant la générosité des diverses escargotières fournissant les cuisines monastiques, ne manquent pas. Car ce mollusque, à l’instar du castor et des grenouilles, était classé parmi les poissons. On pouvait donc s’en gaver en temps de Carême, période longue sans consommation de viande, avant Pâques.
Charles Gérard, toujours dans « L’ Ancienne Alsace à Table » (1877), affirme que les escargots ramassés dans les vignes et les houblonnières sont les meilleurs. Les escargotières des capucins de Weinbach et de Colmar jouissaient d’une solide réputation. Les escargots n’étaient consommés qu’au sortir de l’hiver, avant qu’ils ne se nourrissent à nouveau. L’Hôtel – restaurant de l’Aigle à Sélestat servait les meilleurs : « aussi succulents et aussi fins, qu’oncques ne les apprêtèrent les moines, voire même les Chartreux…». Dommage que Charles Gérard ne nous livre pas la recette…
Les escargots « à l’Alsacienne »
Cette recette bien connue ne semble pas jouir d’une antériorité historique ancienne. Sur les blogs culinaires ou dans des livres de cuisine contemporains, on peut lire des dizaines de variantes de cette préparation gastronomique. La base est constituée de beurre, d’ail et de persil. Certains cuisiniers ajoutent de l’échalote hachée, de la mie de pain, de la gelée, du quatre-épices, une liqueur anisée, etc. Quoi qu’il en soit, la recette de mon enfance comportait un simple beurre agrémenté de persil et d’ail haché, de sel et de poivre. Les escargots,cuisinés dans un court bouillon au vin d’Alsace, étaient replacés dans leur coquille puis recouverts d’une belle noix de ce beurre. C’est tout. Cette façon de procéder s’apparente à celle dite « à la bourguignonne ». D’après mes recherches, l’escargot « à l’alsacienne » se différencie de l’escargot « à la bourguignonne » par l’adjonction de gelée au fond de la coquille, ce qui rend moins gras la préparation.
Les plus anciennes recettes d’escargots que j’ai trouvées dans un livre de recettes d’Alsace, figurent dans « La Cuisinière Alsacienne » de Marguerite Spoerlin, édité en 1842 à Mulhouse. Les formules sont surprenantes : Déjà, on ne trouvait pas d’escargot en conserve ou surgelé… Il fallait les préparer vivants, en saison.
Ils cuisaient cinq à six heures dans un court-bouillon riche (vin blanc, couennes de porc ). Puis ils étaient replacés dans leur coquille avec la farce suivante : 250 g de beurre, 16 g d’anchois, de l’écorce de citron, six à huit échalotes, une pincée de persil, du macis, des clous de girofle, poivre et sel. Les escargots étaient ensuite placés dans un plat avec du bouillon et du persil haché puis enfournés trente minutes. Dès la sortie du four, le bouillon était lié avec le reste de farce au beurre.
Ce plat, réalisé à Mulhouse en 1842, semble sortir des coutumes de la fin du Moyen Âge… J’adore la recette de Jeanne Hertzog dans « Le recueil de la Gastronomie Alsacienne » édité par la SAEP en 1985 : les beignets d’escargots à la sauce blanche. Les gastéropodes sont trempés dans une pâte à beignet avec beaucoup de ciboulette, frits, puis servis avec une sauce épaisse réalisée avec du bouillon lié au roux blanc, crème fraîche et jaune d’œuf. Un régal !
Comment préparer des escargots sauvages ?
Sachez d’abord que leur ramassage est interdit du 1er avril au 30 juin, période pendant laquelle ils prennent tout leur temps pour se reproduire. Leur habitat est restreint à quelques friches encore sauvages et quelques zones montagnardes. L’urbanisation galopante, les nouvelles routes et zones industrielles et commerciales ainsi que l’agriculture intensive, font de l’hélix pomatia une espèce protégée.
Mon père laissait quelques jours les escargots jeûner, en ajoutant du son de blé dans une grande caisse en bois. Puis, il lavait les bêtes à grande eau. Ensuite, il déversait sur les malheureuses bestioles des kilos de gros sel. Violemment agressés, les escargots bavaient à n’en plus pouvoir. On les entendait suinter. Il les laissait ainsi pendant une heure, puis il les rinçait. Ensuite, pendant de longues heures, il prenait chaque escargot un par un, pour leur ôter le maximum de bave. Ensuite ? ébullition, décoquillage puis cuisson au court-bouillon. Je ne recommande pas cette méthode, car l’animal en bave inutilement. Agressé par le sel, il produit du mucus qu’il ne génère pas ordinairement. Sa chair devient coriace et il perd beaucoup de saveurs.
Voici comment je procède :
J’installe mes escargots sur un lit de foin, dans une large caisse en bois. Je leur offre du son de blé, afin qu’ils se purgent, au cas où ils auraient ingurgité quelques plantes toxiques. Au bout d’une semaine, je les lave bien, puis je les remets dans la caisse propre que je place dans l’endroit le plus frais de la cave (au réfrigérateur, cela va bien aussi !). Je les laisse une bonne semaine : ils vont rentrer bien au fond de leur coquille et dans certains cas, même commencer à construire l’opercule. De bon matin, sans leur demander leur avis, je les précipite subitement dans une grande quantité d’eau bouillante. Je les laisse cinq minutes, les refroidis puis les décoquille. J’ôte le tortillon et une partie de l’intestin. Maintenant ils vont cuire une bonne heure dans un parfait court-bouillon. Afin de les conserver, je les mets en bocaux, avec leur bouillon de cuisson, puis je les pasteurise pendant encore deux heures. Avec le temps, leurs saveurs s’enrichissent.
Par Daniel Zenner