Enfin, la saison mycologique a démarrée, timidement il est vrai. Mais quel plaisir de voir dans les près les fières lépiotes développer leurs grands chapeaux. Cueillez-les quand elles sont encore fermées “En baguette de tambour”, elles ne seront que meilleures. Le pied est fibreux, mais s’accommode bien haché et parfume les farces. J’enduis les chapeaux d’huile d’olive et les pose sur une plancha ou sur un barbecue. Sel et poivre, voilà comment je la déguste.
Dans la dernière décennie, nous avons enregistré neuf records de température et une succession de sècheresse inhabituelles. Le réchauffement climatique ? Je le pense mais à chacun sa religion. Mais les automnes ne sont plus ce qu’ils étaient. Je me rappelle autrefois. Le jour de la rentrée scolaire, il y avait presque toujours des brouillards en plaine. Il pleuvait averse durant plusieurs jours, les gelées n’étaient pas rares et les champignons croissaient en nombre. Voilà plusieurs années que ceux-ci ratent leur rendez-vous automnale, à tel point que je dois annuler nombre de sorties mycologiques.
Tous les champignons sont comestibles. Au moins une fois. La connaissance est garante de survie. Quand on ne connaît pas, quand on n’est pas sûr à cent pour cent, on laisse.
Une histoire est arrivée il y a quelques années à une bande d’amis. De retour d’une sortie dominicale, ils préparent donc un plat de champignons à la crème. Ils se régalent, puis un invité demande si le “chef” mycologue est sûr son affaire. Devant la pâle franchise du chef, le doute s’installa et les convives laissèrent le plat. Le chat de la maison, attiré par le plat largement crémé, lapa la sauce. Une heure après, l’animal se tordit dans d’étranges convulsions en passant d’une pièce à l’autre. Devant ce spectacle funeste, les quatre compères pris de panique, foncèrent à l’hôpital le plus proche. Ils passèrent une mémorable nuit, sondés, lavés à l’intérieur, perfusés ! Bref, tout penauds, le lendemain matin, ils rentrèrent chez eux. Ils ouvrirent la porte et dans un coin d’une pièce ils virent le chat…qui avait fait ses petits !
Il existe environ 35000 espèces de champignons en France. Je devrai dire 35000 espèces de carpophores, car ce que l’on nomme habituellement “champignon” n’est que le porte-graines de la bizarre “plante” qui elle, coure sous le sol. Un lacis de filament (le mycélium), voilà à quoi ressemble le véritable champignon. Celui-ci est en quelque sorte un végétal infirme car il est dépourvu de chlorophylle et ne peut donc pas s’adonner au plaisir vital de la photosynthèse. Comme nous, il est donc dépendant des végétaux pour subsister. Il doit chercher les protéines là où elles se trouvent, en parasitant le vivant, en se nourrissant de matières mortes ou en créant un rapport symbiotique (je te prends ça mais je te donne ça…) Sans champignons, pas de forêts. Eux seuls sont outillés pour assimiler le bois, désagréger les matières végétales pour les recycler. Grâce à eux, les arbres peuvent puiser dans le sol les déchets des champignons (nitrite entre autre) et profiter de l’apport de sels minéraux. Ils reconstituent l’humus. Même le plus modeste carpophore ou l’amanite phalloïde travaillent : ne les mépriser pas en leur donnant un coup de savate !
Ces curieux organismes vivants appartiennent au règne fongique. Nos 35000 espèces ne représentent qu’une infime partie du monde des champignons car la plupart sont invisibles à l’œil humain. Ce sont les micros-champignons qui font fermenter la bière, le vin, le levain ou encore les confitures. Ce sont eux qui soignent : les antibiotiques ; eux aussi qui sont responsables des maladies fongiques qui touchent tous les végétaux (le mildiou sur la vigne, les rouilles sur les cucurbitacées, etc.) Imaginez que l’exode massif des Irlandais, vers l’Amérique début du 19ème siècle a été provoqué par une famine exceptionnelle due à l’oïdium qui a ravagé toutes les cultures de pommes de terre !
D’après les gourmets et mycophages avertis, l’amanite impériale, nommée aussi oronge ou encore amanite des Césars (A. caesarea) est le meilleur des champignons. Suivi de près par la morille, la truffe, le cèpe de bordeaux et les chanterelles. Personnellement, je n’ai encore jamais vu ou gouté l’oronge car c’est une espèce strictement méridionale. Elle fait, paraît-il, de timides apparitions dans notre région après des étés très chauds et secs. Autrefois, on trouvait la truffe noire (Tuber melanosporum) en Alsace. Charles Gérard dans son livre indispensable à tout alsacien (L’Ancienne Alsace à Table) relate le fait que les Allemands avaient des chiens truffiers. Pendant l’occupation, ils cherchaient ce diamant noir dans les forêts du Neuland (près de Colmar) et dans la Hardt. Dans un ouvrage de 1893, toujours à propos de la truffe du “Périgord” Jeanne Savarin écrit qu’il existe une colline réputée du côté de Rouffach qui est connue pour ses énormes truffes. Il s’agit probablement du Bollenberg et du Strangenberg, monts calcaires au climat subméditerranéen. Mais la vigne a chassé le divin carpophore. La truffe dite “de Bourgogne” (Tuber uncinatum) se trouve fréquemment dans notre région. Elle est même cultivée dans des endroits tenus secrets. Son goût est discret mais agréable.
La truffe blanche (Tuber Alba) ne se trouve que dans le Nord de l’Italie. Ses arômes puissants, que je trouve très aillés, mais surtout sa rareté, en font le champignon de luxe. Son prix au kilo oscille entre 2500 et 4000 €. Il y a quelques années, je suis allé réaliser un reportage au marché de la truffe, en novembre, à Alba. J’en avais ramené quelques centaines de grammes pour plusieurs amis restaurateurs. Le tout payé en espèces, après une demi-heure de négociation et au bout de trois verres de Chianti, sur un marché parallèle…Manque de bol, notre voiture a été arrêtée à la frontière suisse. Heureusement, je les avais entourées dans divers plastiques et étoffes et nos zélés douaniers avaient ce jour là perdus leur légendaire flair ! Ils n’ont trouvé que du parmesan, du jambon de parme, de la mortadelle de Bologne, de l’huile d’olive et autres délicatesses italiennes.
Différentes morilles abondent en Alsace, autant dans les Rieds, les vergers, les pelouses, les vignes non traitées et surtout les plates-bandes garnies d’écorce de pin des Landes. Depuis le tram, à Strasbourg, j’en ai aperçu de belles. Je suis descendu à la station suivante, quelle aubaine !
Attention amis cuisiniers ! Ne proposez jamais un carpaccio ou un tartare de morille. Celle-ci est très toxique crue, voire mortel. Certains cas d’empoisonnements ont été rapportés après l’ingestion de chanterelles et de cèpes crus. Méfiance !
Dans le restaurant de mon apprentissage, on servait de la gyromitre (espèce aussi toxique crue) à la place de la morille car ce champignon était deux fois moins cher que sa noble cousine. Hachée grossièrement le client n’y voyait que du feu…Aujourd’hui, la gyromitre est aussi coûteuse que la morille et la fraude n’a plus de raison d’être !
Le champignon de Paris est une valeur sûre, dégusté cru ou cuit, je l’aime toujours !
Curieusement la surgélation fait ressortir ses puissants parfums. A peu près tous les champignons se surgèlent mais ne il faut jamais les décongeler auparavant car ils noirciraient, deviendraient flasques et perdraient leur eau et parfum. Jetez-les surgelés dans les sauces ou dans une poêle brûlante.
Tous aux champignons, la vraie saison commence ! A vos paniers en osier ! Mais ne les entasser jamais dans un sac en plastique car ce sont de véritables usines chimiques : ils pourraient développer rapidement des toxines et de comestibles, passeraient toxiques.
Respectez les panneaux qui peuvent interdirent toute récolte. Le Maire d’un village peut très bien réglementer la cueillette dans les forêts communales. Allez aux champignons n’est pas un droit mais une tolérance, ne l’oubliez jamais, car tout endroit appartient à son propriétaire. Dans certaines régions, les champignons font l’objet d’un commerce lucratif et par cela deviennent un produit marchand issu de la gestion d’une forêt.A propos, un restaurateur, a-t-il le droit d’acheter des champignons auprès des ramasseurs, nombreux au cœur de la saison, à venir proposer leur récolte ?
Par Daniel Zenner